11 juillet 2013
[Le Street Art dans tous ses états —
Graffiti des quarante dernières années,
textes & images à méditer pendant l’été.]
Les manuels scolaires ont déjà embaumé les graffiti du printemps 68 en une sorte de défouloir scriptural sans lendemain. Et pourtant, des seventies à l’immédiat aujourd’hui, ça n’a pas cessé de proliférer, se renouveler, passer de main en main, n’en déplaise à ceux qui voudraient traiter les tags au Kärcher sous prétexte de vandalisme autistique.
Alors, pour donner à voir la permanence clandestine des expressions murales depuis quatre décennies, on a fureté à tous les coins de rue, traqué les bribes de phrases à la craie, au marqueur ou à la bombe dans des livres, des revues, des archives photo et parmi les sites consacrés au « Street art », malgré l’indifférence manifestée par les pros du Graff pour la créativité textuelle qui continue d’exister à rebours du carriérisme narcissique de ce milieu, obnubilé par le colorisme XXL à l’aérosol et la monomanie du blaze territorial. N’empêche, ici ou là, les murs ne cessent de prendre la parole, de produire du sens, entre mots de passe urbains et petites annonces anonymes, il suffit d’aller y voir de plus près, de prêter attention par exemple au renouveau du pochoir ironique & révolutionnaire à Tunis, Istanbul, Barcelone, Lisbonne ou au Caire, en passant par les petits mots doux & rageurs qui font des petits un peu partout : à Besançon ou Melbourne, Toulouse ou Oakland, Marseille ou Montréal, Paris ou Montreuil, même si l’efficacité implacable de la vidéosurveillance et des équipes de nettoyage privées ou municipales gagne chaque jour du terrain.
D’où cette compilation numérique, comme un chantier à ciel ouvert, qui voudrait recenser ces bribes d’écritures malhabiles, potaches, dyslexiques, absconses, lapidaires, complaisantes, lacunaires, puériles ou sidérantes, glanés depuis quelques années sur des sites web ou, pour les plus contemporaines, avec mon appareil photo toujours prêt à zoomer d’inédites inscriptions sauvages, sans oublier l’aide précieuse de quelques comparses amateurs… notamment Frédéric Aceituno, Jeanne Guyon, Ariane Audouard, Alexis Berg & Grégoire, Philippe Bretelle, Frédéric Ciriez, Daniel Dzierzgowski, Pierre Fraenkel, «Frimousse45», Joanna Grudzinska, Henry Landroit , Diana Maloyan, Yannick Maufras, Alexandre Mouawad, Louise Pagès, J.F. Platet, Philippe Rekacewicz, Natacha de la Simone, Jorge Valadas, Delphine Werner & Marianne Zuzula. Ainsi que certaines archives du Net, parmi lesquels:
atelierdecreationlibertaire.com/croix-rousse-alternative/
villenotre.blogspot.fr/
motsville.canalblog.com
https://archeologue.over-blog.com/
fragmentdetags.net/
loeildelecureuil.wordpress.com/
senorcalderon.wordpress.com/
memoireenbeton.wordpress.com/
plaques-sensibles.hautetfort.com/
kl-loth-dailylife.hautetfort.com/
urbietorbi.canalblog.com/archives/François Bonneau
paristofs.over-blog.com
expotempo.blogspot.fr/
les2nouilles.com/
lesbeauxdimanches.hautetfort.com/
flickr.com/photos/zerbihancok/
flickr.com/photos/grusia4ever/with/8581197739/#photo_8581197739
flickr.com/photos/66944824@N05/
flickr.com/photos/jblndl/
louiseverdonephotos.ca/
Nul souci d’exhaustivité dans cette collecte, puisque la tâche est infinie par définition même. Mais, tout de même, ce recueil provisoire compte déjà plus de 3000 graffiti distincts – transcrits tels quels, datés et localisés autant que possible. Juste le work in progress d’un recensement partiel & partial, qui un de ces jours deviendra peut-être un gros bouquin, mais dont on peut déjà feuilleter ou télécharger l’état actuel en format pdf ici même…
Et dans la foulée, pour donner envie à quelques transcripteurs dilettantes de me prêter main-forte, pour enrichir la liste de leurs trouvailles in situ ou pour en inventer d’autres à taguer par ses propres moyens, on lira ci-dessous quelques messages & aphorismes plus ou moins récents extraits de ma collecte, piochés parmi tant d’autres.
ihr habt die macht
doch wir haben die nacht
[vous avez le pouvoir
nous avons la nuit]
[Berlin, Mur, 85]
sans honte
et sans emploi
[Montréal, 90]
allez tous vous
faire connecter
[Bruxelles, Waterloosesteenweg, 27 février 03]
– internet
+ cabernet
[Italie, Lecce, 20 juin 06]
les proverbes de vieux
font mourir de faim les jeunes
[Rennes, papier collé, «Mathieu Tremblin», 08]
aimer les inconnus
[Lyon, 10 février 08]
creemos ser pais
y a penas somos paisaje
[nous croyons être un pays
et à peine sommes-nous un paysage]
[Bolivie, La Paz, mai 08]
jusqu’ici
tout va mal
[Strasbourg, à la craie sur trottoir, 21 avril 09]
l’odeur de l’ordre
dure où l’or dort
[Poitiers, Fac de droit, 22 mai 09]
l’amour est
un sens unique
[Lyon, au pochoir, 28 juin 09]
je suis la femme
de ma vie
[Le Bourget, près du Musée de l’Air, 27 juillet 09]
rien est possible
tout est probable
[Belgique, Ixelles, 14 avril 10]
l’infini attaque
mais un nuage sauve
[Paris X, «R.C.», 25 juin 10]
why so alone?
[Ukraine, Kharkiv, 9 août 10]
tous asthmatiques
comme che guevara
[Paris XI, rue Alibert, 14 août 10]
j’aime mon quartier sous cellophane
[Brest, 31 décembre 10]
poëtiquement correct!!
[Lyon, Croix-Rousse, octobre 11]
je veux quitter
ce monde
et vous?
[Montréal, à la craie, mi-décembre 11]
pour des siècles et des siècles
ta mère
[Montpellier, décembre 11]
arrête de m’aimer si fort
ça m’étrangle
[Paris XX. rue des pavillons, fin décembre 11]
anastrophe
[Berlin, près du buste de Ernst Thälmann,
au pochoir, avril 12]
être à l’ouest
[Pau, 16 avril 12]
la normalita uccide
[la normalité tue]
[Italie, Vérone, 7 mai 12]
i am not me
[Canada, Montréal, 8 mai 12]
on est ce qu’on fait
pour changer ce qu’on est
[Nantes, Université , Bât. Tertre, 7 novembre 12]
révolution de l’indignité
et sommeil des cimetières
[Tunis, «Zwewla», mi-novembre 12]
nous sommes
notre seule limite
[Canada, Montréal, Université du Québec, fin-novembre 12]
souriez, vous êtes tous
des «ready made» cellulaires!
[Amiens, rue des Teinturiers, face à la fac
d’Art & de Design, 10 janvier 13]
veuillez-nous excuser pour le désagrément…
nous mourons pour vous
[Syrie, Damas, «ALS», mi-janvier 13]
je ne sais pas pourquoi je vis
[Besançon, mars 13]
aux héritiers de la bonne étoile
j’offre le reste du ciel
[Lyon, rue Louis Blanc, 5 mars 2013]
la vraie vie est
• ici
• ailleurs
[Paris XX, rue du Retrait, 11 mars 13]
un désert de soupirs
des lézardes de hasard
[Paris XIX, rue Botzaris, annexe
Ambassade de Tunisie, mi-mars 13]
partout où je suis
j’écris un point de ma vie
entre guillemets
[Paris VI, rue de l’Échaudée, «Haiku», 17 mars 13]
les murs renversés sont des ponts
[Saint-Ouen, rue du Dr Bauer, 18 mars 13]
ni argent ni talent
[Paris XVIII, rue du Ruisseau, papier collé, 19 mars 13]
je tuerais père et mère
pour avoir une famille
[Nantes, papier collé, 20 mars 13]
n’oublie pas ton créateur [baise ton père]
[Paris X, rue Saint-Maur, 28 mars 13]
à partir de 30 ans
on perd 100 000
neurones par an!
[Paris XI, passage Rochebrune, 31 mars 13]
iron lady? rust on peace
[dame de fer? rouille en paix]
[Irlande du Nord, Londonderry,
après décès de Margaret Thatcher, 10 avril 13]
notre civilisation est un château de cartes
[Besançon, «Ber», 12 avril 13]
sans dec!?
j’ai une tête
à payer ta dette?
[Paris XVIII, au pochoir, 17 avril 13]
goudou inch’allah
sous les pavés
la cuisine équipée
[Paris, rue de la Fontaine au Roi & rue Boyer,
«Tagtical Media», mi-avril 13]
pour aimer assez
il faut aimer trop
[Paris XX, rue des Partants, 7 mai 13]
hypocrisy
is a culture
[Nantes, La Courrouze, au pochoir, 9 mai 13]
to buy or not to be
[Portugal, Lisbonne, au pochoir, mi-mai 13]
arrête le tch@t
parle à un chat
[Paris XVIII, rue du Chevalier-de-la-Barre, 16 mai 13]
l’amour c’est
une occupation
de l’espace
[Paris XX, rue Florian, 17 mai 13]
revolution till infinity
[Égypte, Le Caire, 26 mai 13]
bienvenue au festival
des gaz lacrymogènes
[Turquie, Istanbul, près Institut Français, 1er juin 13]
j’ai envie de
serrer nité!
[Angers, 4 juin 13]
le partisan du moindre est fort
[Lyon, rue Flesselles, au pochoir, mi-juin 13]
rien 2 tel
qu’un pigeon voyageur
[Paris XVIII, 27 juin 13]
nique les clones
[Lyon, Croix-Rousse- 2 juillet 13]
Outre cette compilation systématique & hasardeuse de quarante ans d’écritures murales, on trouvera sur le site deux diaporamas sur le même sujet, l’un consacré aux bombages des années 70 et l’autre s’enrichissant au jour le jour d’inscriptions plus récentes, glanées sur le Net ou prises sur le vif, sur cette page-là.
Et une quarantaine de graffiti en image, issus de mes découvertes des derniers mois, soit empruntés sur le Net (avec le nom du photographe sur le .jpg), soit photographiés par mes soins.
Pour faire circuler ce texte, le lien est ici même