@ffinités

29 avril 2013
[Texticules & icôneries
Mais où donc avais-je la tête?]

Legs-vitrine, corps & âmes.

Pour faire circuler ce texte, le lien est ici même

24 avril 2013
[Tractatus Politicus
Best-of des années 68-75.]

À la demande de la revue Charles, je suis allé exhumer, dans le foutoir de mes archives, une dizaine de tracts datant des années 68-75. En m’efforçant de remettre chacun dans son contexte.


Ci-dessous le texte intégral de l’avant-propos.

«Le tract s’est colporté bien avant que le mot n’existe. D’abord sous forme d’opuscule polémique, de bref pamphlet, de libelle. Ensuite, une fois le terme inventé par les Anglais à l’approche du XIXe siècle, ça a perdu des feuillets, c’est devenu un dépliant élémentaire de quatre pages, puis un simple recto-verso, voire un recto sans rien écrit derrière, bref un bouquin d’une seule feuille volante. Révolution industrielle oblige, le tract s’est imposé comme un mode de propagande soit politique, soit commercial : Appel à manifester vs Accroche promotionnelle.
Et dans ce dernier cas, l’originel tractatus s’est rebaptisé prospectus. Même si ce distinguo importe peu, vu que la plupart du temps, ce genre de sous-littérature – d’agit-prop ou de pub –, on s’en débarrasse illico à la poubelle.

Pourtant, les tracts, ça me renvoie à une autre histoire, à deux légendes familiales. La première concernant mon défunt père qui, pendant l’Occupation, était membre d’un groupe clandestin en rupture avec le trotskisme (l’Organisation Communiste Révolutionnaire) et faisait circuler sous le manteau des tracts bilingues (en franco-deutsch) pour appeler les soldats allemands à déserter les rangs du nazisme au nom de la fraternisation prolétarienne. Le récit de cet acte de résistance ultraminoritaire, en marge du credo «anti-boche» des staliniens, m’a sans doute marqué. Je me souviens d’ailleurs que mon père utilisait le mot «papillon» pour désigner ces feuillets qu’il allait déposer ou coller non loin des casernements de la Wehrmarcht. Ce «papillon» a dû faire son chemin dans ma tête… jusqu’à l’apparition du flyer peu avant l’an 2000.
Côté maternel, autre flash-back. Quelques années avant sa mort, j’ai appris que ma mère, gréviste active pendant le printemps 68 au sein d’un Laboratoire de psychologie sociale, avait relevé systématiquement tous les graffiti de la Sorbonne occupée (recension dont j’ai fait un livre aux éditions Verticales). Plus tard, en rangeant ses affaires posthumes, j’ai découvert les milliers de tracts collectés par ses soins de 1968 à 1975. N’étant membre d’aucun parti ni groupuscule, juste du Comité d’Action de son quartier, elle avait vécu cette période avec la passion solidaire des électrons libres, tout en ressentant l’intime nécessité de conserver, puis classer les tracts qui se démultipliaient alors, hors sentiers (re-) battus et langues-
de-bois.

Ainsi cette archive, tant partielle que partiale, rend-elle compte des terrains de lutte d’un «gauchisme» non encarté. Je n’y ai puisé qu’une dizaine de spécimens marquants. Entre les lignes, on y découvre un refus épidermique de la hiérarchie, des «petits chefs» ou des «notations», le goût de l’aventure communautaire chez la jeune génération et l’émergence d’une parole féministe & homosexuelle. Certains n’y verront que grandiloquence verbeuse et germes de désillusion. Tant pis pour eux. Ces documents, écrits à chaud, nous offrent pourtant l’occasion de saisir le ton d’une époque, à rebours du récit dominant des témoins professionnels de l’Histoire, tant journalistes qu’universitaires ou, pire encore, ex-leaders contestataires en voie de repentance accélérée.
On notera que, faute de temps et de moyen, la plupart de ces tracts sont trop ou insuffisamment encrés, que leur bloc texte a tendance à pencher d’un côté, bref que ça doit se lire de travers. Même si ce n’était pas fait exprès, ce genre de vice de forme aide à se replonger dans l’urgence du contexte, à y préserver la part irréductible d’un certain désordre.»

Quant à la reproduction en format lisible des dix tracts, ainsi que de leur petite légende associée, on les lira plus aisément sur le document pdf de la revue, et sa mise en page très soignée. C’est juste là.
Avec d’autres documents sur la même époque dans les parages.

Pour faire circuler ce texte, le lien est ici même

22 avril 2013
[Texticules & icôneries
Tomber dans le panneau, ou pas.]


Cinéma du réel, version originale sous-titrée.


Pour faire circuler ce texte, le lien est ici même

18 avril 2013
[Souviens-moi — (suite sans fin)]

De ne pas oublier que si l’homo sapiens, depuis la guerre du feu, s’était soucié de breveter chaque nouvel outil élémentaire, plante médicinale, invention locomotrice, matériau de construction, nous en serions restés à l’âge des cavernes avec des propriétés intellectuelles si jalousement gardées que jamais mises en œuvre, faute de l’être en commun.

De ne pas oublier que, aux jours derniers de son hospitalisation, la nécrose lui ayant noirci phalange après phalange l’extrémité des deux mains, ma mère finissait par avoir les doigts crochus d’une sorcière, tandis que son visage comateux conservait les traits insondables d’une belle au bois dormant.

De ne pas oublier qu’en cette matinée du 14 juillet, place de la Bastille, une fois tapé mon code secret sur le clavier de l’automate bancaire, puis validé le retrait de plusieurs fois vingt euros, la machine ne m’a rien délivré du tout, sauf un ticket m’annonçant un solde débiteur de 1789 euros, oui, un découvert d’un montant comment dire, mnémotechnique, maintenant que je sortais des brumes ensommeillées d’une sieste commémorative.

De ne pas oublier cette comédienne qui, suite à un accident de vélo, est littéralement tombée sur la tête, puis dans un coma profond, et a dû pour retrouver l’usage réflexe de sa langue maternelle prendre en note d’anciennes expressions lui traversant l’esprit, on ne sait par quel détour, dont celles-ci parmi les toutes premières : Poser un lapin et Toucher au but.

De ne pas oublier que, le jour où mon fils, du haut de ses treize ans, m’a congédié sur le seuil de sa chambre d’un désinvolte «Salut les gens!», j’ai rajeuni d’un seul coup et vieilli d’autant, ravi de pouvoir partager son terrain de jeu verbal et aussitôt renvoyé hors champ à ma ringardise crasse.

De ne pas oublier qu’il y a soixante ans en France métropolitaine une femme allumant une cigarette dans la rue ou offrant aux regards mâles ses cheveux lâchés sans un carré de soie, un chignon tiré à quatre épingles, des double tresses sinon à la rigueur une queue de cheval, passait, comme sur les trottoirs d’Alger aujourd’hui, pour une fille de petite vertu, de mauvaise vie, de rien.

De ne pas oublier, ce lecteur d’une vingtaine d’années qui, lors d’une séance de dédicace, me confia que le centre de désintoxication lui avait accordé une permission de sortie exceptionnelle, en attendant que sa cure lui permette de choisir entre deux passions irréconciliables : l’envie de boire ou l’envie d’écrire.

De ne pas oublier la recette du pain perdu – tranches bien rassis à tremper dans un bol de lait où l’on aura battu un œuf, le tout mis à frire dans une poêle puis saupoudré de sucre –, cet art d’accommoder les restes, en l’occurrence ceux de ma défunte grand-mère.

De ne pas oublier que, croyant être le premier à user du mot «hontologie» pour moquer le sophisme culpabilisateur visant les «profiteurs de l’assistanat», j’étais loin de me douter que ce néologisme avait déjà fait l’objet, au début des années 70, d’une glose interminable par Jacques Lacan qui, lui, rajoutait un «h» à ontologie pour conceptualiser un «être-pour-la-mort».

[La série des Souviens-moi ayant
fait son chemin sur ce Pense-bête, 
elle fera l’objet d’une publication
en mars 2014 aux éditions de l’Olivier.

Pour sa déclinaison iconographique c’est .]

Pour faire circuler ce texte, le lien est ici même

15 avril 2013
[Texticules & icôneries
Subdivision d’un visage au carré.]


Parmi les baies vitrées, arrondir les angles en beauté.

[Pour voir toutes les photos de l’an 2013,
cliquez sur le diaporama de ce côté-là.]

Pour faire circuler ce texte, le lien est ici même

11 avril 2013
[The Wire et Street Voice,
deux regards sur l’envers du décor
de l’American Dream à Baltimore.]

En 1995, David Simon, journaliste depuis une quinzaine d’années à la rubrique «police» du Baltimore Sun, est licencié à la suite d’un plan social. Quatre ans auparavant, il avait signé un bouquin d’enquêtes, Homicide, life on the street (1991) adapté en une série assez conventionnelle sur NBC à partir de 1993. Désormais free-lance, il a tout loisir de nourrir la matière de son prochain livre, recentré sur la «guerre de la drogue». Le voilà qui s’installe avec Ed Burn, un ex-inspecteur devenu enseignant, au cœur d’un West Side dévasté par la misère. Là, dans un de ces «corner» tenu par un gang de dealers, à la croisée de Fayette et Monroe streets, ils vont prendre des notes à découvert, nouer des relations de voisinage, se fondre une année durant dans le décor. Leur enquête de longue haleine, sans commanditaire ni visée sensationnaliste, leur permet de gagner la confiance des petits revendeurs, et sous couvert d’anonymat, de recueillir leur témoignage direct, de s’imprégner de leur way of survival, au plus infime du quotidien. «Ils nous ont permis de comprendre les règles complexes de l’économie de la drogue qui régit leur vie», expliquera le duo de reporters quelques années plus tard. Entre-temps, ils auront mis à profit ce lent travail d’observation – qui emprunte moins aux méthodes de la sociologie empirique qu’à l’immersion complète des ethnologues en terre inconnue – pour synthétiser ce reportage au long cours dans un livre – The Corner, a Year in the Life of an Inner-City Neighborhood –, lui-même adapté en une série TV de 6 épisodes, produite par HBO, tournée avec une poignée d’acteurs et quelques figurants du coin, justement, puis diffusée à partir d’avril 2000. Éloge critique oblige, pour ce vrai-faux documentaire, s’ensuivra le projet de «construire» à plus grande échelle, une seconde série qui confronterait la chronique de ces «corners» avec d’autres milieux sociaux (enquêteurs de police, magistrats, enseignants, dockers, journalistes, personnel politique local). Pour ce faire, les deux comparses vont être épaulés par des écrivains & scénaristes chevronnés du roman noir, dont Dennis Lehane, Georges Pelecanos et Richard Price. Une première saison passe sur HBO durant l’été 2002. Le succès d’estime fait son chemin, gagne en audience de saison en saison pendant six ans… jusqu’au sacre final par le Président Obama himself, déclarant que The Wire est sa série préférée et Omar un héros exemplairement « complexe ». Sur place, les autorités municipales de Baltimore n’auront plus qu’à faire bonne figure en transformant ce cadeaux empoisonné en coup de pub. Pour preuve, une aile entière du Museum of Industry local habritant l’exposition permanente des costumes et accessoires des stars, si peu reluisantes a priori, de cette successfull tragedy.

Avec son lot de produits dérivés, ces toys respectant la parité de base (flics & dealers) du casting à l’horizontal de la série, toutes et tous sur un même pied d’égalité précaire.

Sans oublier le jeu de société qui va de pair.

Même décor, même période, tout autre histoire. Au terme des années 80, Curtis Price, un travailleur social bossant dans une association d’aide aux séropositifs, tente d’élargir ses activités au-delà de la communauté gay pour toucher une autre population décimée par le VIH, les consommateurs de drogues. Première étape, il constitue un groupe de discussion avec des toxicomanes séropositifs, puis projette la création d’une publication régulière qui donnerait des informations pratiques élémentaires et permettrait à des gens par nature très isolés et dispersés de rester en contact. Ayant déjà eu l’expérience, au sein de groupes gauchistes, de «bulletins d’usine» distribués dans les entreprises de la région – du temps où la sidérurgie faisait de Baltimore un bastion ouvrier et syndical –, il propose au noyau dur des junkies et homeless qui participent à l’association de s’inspirer de ce modèle militant pour diffuser un journal gratuit dans l’arrière-monde des ghettos. Ainsi naît Street Voice en décembre 90, très marginalement financé par une bourse d’aide à la prévention du sida délivrée par l’État du Maryland. La large diffusion du premier numéro, reposant sur un activisme informel, la question du financement par des fonds officiels provoque quelques dissensions internes. Curtis Price profite d’une occasion inespérée : la mise à disposition par la Mairie d’une caserne de pompier comme centre d’hébergement – pour couper cours aux orageuses polémiques en plein conseil municipal sur les coupes budgétaires et la spéculation immobilière. Le groupe Street Voice est choisi pour administrer ce lieu d’accueil réservé aux sans-abri de sexe mâle, l’Eutaw Center, l’hiver seulement, puis au final toute l’année. Contrairement aux espaces caritatifs traditionnels, les règles d’admission n’excluent pas d’emblée les usagers de drogue; de même, horaires et durée de séjour y demeurent aussi souples que possible matériellement. D’où l’extrême popularité, des années durant, de cette zone d’entraide désintéressée, hors humiliation, ségrégation et répression. De son côté, le bulletin Street Voice s’étoffe et, outre les infos sanitaires, publie désormais des récits de vie, témoignages, coups de gueule, devenant ainsi le florilège épistolaire du courrier de ses lecteurs/contributeurs. À partir du milieu des années 90, le ton du journal change, se fait plus provoquant et subversif. Avec Curtis, le groupe initie même des rassemblements (contre l’augmentation du prix de la méthadone, entre autres) ou s’associe aux manifestations du groupe local d’Act Up. En 1997, le journal prend le format d’un 4 pages tabloïd, imprimé à cinq mille exemplaires. La reprise en main de l’Eutaw Center et la difficulté de tenir un tel projet sur la durée, surtout quand la plupart de ses pionniers sont morts d’overdose ou du sida, n’empêcheront pas Street Voice de colporter ces voix d’outre-monde, sans médiation ni porte-paroles, jusqu’en 2004.

Deux ans auparavant, via l’ami Charles Reeve, les éditions Verticales avait proposé à Curtis Price de réunir de larges extraits du journal en un petit livre de la collection Minimales, avec l’aide précieuse de la traductrice Gaëlle Erkens. Ce petit volume a vu le jour courant 2003.

La fabrique de ces deux projets coïncide donc d’une façon troublante, mais on se gardera de sourcer ici des influences directes – en l’occurrence les traces d’une transposition fictionnelle de l’expérience Street Voice dans tel ou tel épisode de The Wire. On gagnerait à s’y pencher plus en détail, mais on se contentera ici d’interroger leurs dénominateurs communs, complémentarités ou lacunes, sinon d’irréductibles divergences quant à leur point de vue respectif sur une même réalité.
Et pour entamer cet examen comparatif, on citera un large extrait de la préface de Curtis Price qui ouvrait l’édition française de Street Voice. L’initiateur de ce journal de rue y dressait l’état des lieux d’une dévastation urbaine avec pour citation liminaire ce tag de dealer sur le mur d’un logement social : Bullet-More, Murder-Land.

«Des façades d’églises et de liquor stores qui s’étendent à l’infini, des carcasses de poulets qui pourrissent dans la chaleur d’une nuit d’été, et selon Time magazine “plus de fils barbelés et d’immeubles abandonnés qu’au Kosovo”. Lieu de rencontre, entre le nord et le sud, où vit une population de 650.000 personnes, constituée majoritairement d’une classe ouvrière noire-américaine prise dans les contradictions de ces deux régions. Une “cité du désespoir”, où le “pauvre blanc” et le “pauvre noir” se disputent les “mêmes logements  de béton gris,/ les mêmes boulots gris / pour lesquels ils sont tous deux venus dans le nord”, comme le dit le poème de Phil Levine sur cette ville ouvrière sur le déclin. Rue après rue des rangées de maisons comme des boîtes, toutes avec ces typiques marches de marbre blanc appelées des perrons, tout cela transpirant tellement la claustrophobie et l’oppression que B. Traven dans The Cottonpickers prête à la maison de Baltimore les mêmes qualités qu’au taudis mexicain. Remplies de ce type de logements, les avenues serpentent pour se transformer en rues de plus en plus petites et de plus en plus étroites, avant de finir par se perdre dans des allées aussi labyrinthiques que des terriers de lapins. Comme un reptile enroulé sur lui-même, ce quartier pauvre encercle – avant de déboucher sur – un quartier d’affaires éteint. On y trouve des rues comme Park Avenue, l’ancien Chinatown de Baltimore, maintenant délabré et plein de bars miteux, de salons de beauté, de soupes populaires, de centres d’hébergements et de magasins de discount. De l’autre côté du vieux centre se trouve l’Arrière-Port, un groupement de restaurants chics et de boutiques de luxe étalés au coeur du vieux front de mer. L’Arrière-Port est vraiment un monde à part du reste de la ville, une cour de récréation criarde, une fantaisie hors de prix que bien peu de gens des quartiers pauvres peuvent se permettre de fréquenter. (…)
État de la Santé publique, taux de criminalité et autres statistiques sociales sont la preuve de l’inégalité croissante et de la chute brutale du niveau de vie. Il y a encore peu de temps, Baltimore comptait un nombre d’homicides par habitant trois fois supérieur à celui de la ville de New York, et un taux d’homicides annuel aussi élevé que celui du Canada entier. Pendant des années, le taux d’admission aux urgences pour overdose de Baltimore était le plus fort du pays, conséquence de la présence estimée de 50.000 consommateurs de drogues dures. Dans les quartiers pauvres, cancers, alcoolisme, malaises cardiaques, sida sont endémiques. Avec une telle concentration de causes de mort prématurées dans le ghetto, il n’est pas surprenant d’apprendre, selon une récente étude de Santé publique, que l’espérance de vie pour un homme noir des quartier défavorisés de Baltimore n’atteint que 63 ans : la même que celle des indiens et des boliviens. Comme le firent remarquer les chercheurs, lorsqu’on replace ces chiffres dans le contexte du pays entier, cela équivaut à trouver des “parcelles de Sierra Leone au milieu du Japon”.
Avec presque un habitant sur dix consommateur de drogues dures, il n’est pas surprenant qu’à Baltimore une industrie répondant à la demande incessante de drogue prospère. Malgré cela, dans les cercles officiels, personne ne reconnaît publiquement l’influence de cette industrie sur l’économie de la ville dans sa globalité. Car pour les élites de Baltimore, reconnaître que la “dope”, sous une forme ou une autre, est un facteur clef de l’économie locale serait un aveux de défaite discréditant entièrement leur “guerre à la drogue”. Au lieu de ça, tout comme le toxicomane refusant d’admettre l’importance de sa dépendance, le sujet est minimisé, dissimulé, ou bien relégué à des actes d’une toute petite minorité. La police et les politiciens annoncent de nouvelles mesures de répression, toutes vouées à l’échec, comme les précédentes. Pendant ce temps, grâce à ce marché fleurissant, les rues de Baltimore sont presque aussi sauvages et incontrôlables que la campagne afghane.
Pour comprendre l’évolution du marché actuel, forme de capitalisme “sauvage” et parallèle, il faut revenir en arrière. Dans les années 40 et 50, la présence de l’héroïne à Baltimore était très discrète. Dans les années 70, au réveil des émeutes, elle explosa. Pour certains, ce phénomène fut la conséquence d’une politique délibérée de l’Etat consistant à abreuver les quartier noirs d’héroïne bon marché pour calmer le ghetto. Mais on pourrait aussi défendre la théorie inverse : ce seraient les défaites et les espoirs brisés du mouvement Black Power des années 60 qui auraient ouvert la voie à cette inflation de la consommation. Dans tous les cas, et quelle qu’en soit la raison, les rues furent bientôt inondées de dope.
Au début des années 80, le statu quo des cartels locaux qui régnait depuis les années 60 s’effondra avec l’intensification de la répression policière, laissant un vide vite remplacé par une nouvelle génération de dealers, plus jeunes et plus impitoyables encore que leurs aînés.
Comme dans les autres villes américaines, le crack envahit peu après les ghettos de Baltimore, désintégrant les réseaux de distribution d’héroïne ; une force terrible, irrésistible, écrasant tout sur son passage. Sa place dominante dans l’économie de la drogue est autant liée à ses caractéristiques chimiques qu’aux astucieuses techniques de marketing des dealers. Cela est visible lorsqu’on compare les effets du crack et ceux de l’héroïne. Selon sa pureté, l’héroïne est prise une ou deux fois par jour, et permet au consommateur de tenir pendant vingt-quatre heures. Comparativement, il ne faut que quinze minutes après une dose de crack pour ressentir un manque intense. Dans ces conditions, la demande explose inévitablement, faisant du crack le produit parfait.
L’arrivée de cette drogue dans les rues de la ville eut des effets dévastateurs sur la vie quotidienne des quartiers pauvres. Parce que le crack n’agit que pendant très peu de temps, il faut voler des centaines de dollars pour s’approvisionner. C’est l’entourage direct qui est victime de ces vols : famille, amis, voisins. Ainsi, le crack détruisit des liens déjà fragilisés dans ces quartiers, laissant flotter dans les rues une atmosphère de suspicion et de méfiance.
Le crack agit aussi sur d’autres problèmes sociaux, comme par exemple le nombre de sans-abri. Celui-ci subit une forte augmentation, en grande partie à cause de la diminution de logements bon marché disponibles (grâce à une réduction de 80% du budget du logement publique durant les années Reagan). Mais la drogue fut également responsable de cette hausse, les travailleurs se retrouvant au chômage et les revenus s’évaporant rapidement dans la fumée d’une pipe à crack.
À cette époque comme maintenant, sortis du ghetto très peu de gens prêtaient attention à ces problèmes. La situation différait peu de ce qu’écrivait Nelson Algren dans le milieu des années 50 à propos des habitants des taudis : “Ils habitaient un monde visible de tous, dans les rues de la ville, mais les gens qui ne vivaient pas dans ce monde disaient :  Ça n’existe pas, ils ne sont pas là, nous savons qu’ils ne sont pas là, et s’ils sont là ça n’a pas d’importance, parce que nous sommes ici et nous ne vivons pas dans ce genre de monde”… il n’y a aucun moyen de convaincre, ou même de faire prendre ne serait-ce qu’un peu conscience à la classe moyenne américaine qu’il y a des gens qui n’ont pas d’alternative…Ce n’est pas admis. Le monde du toxicomane n’existe pas. Le monde du criminel n’existe pas…”. Renforçant cette invisibilité des décennies plus tard, les articles de journaux, les discours des politiciens, les sermons des pasteurs dépeignent régulièrement le trafic de drogue comme l’activité d’une toute petite minorité déviante. Et les solutions ? Une simple histoire de nettoyage des “quelques poches d’activités criminelles”, comme par exemple ces marchés de la drogue à ciel ouvert qui prolifèrent maintenant dans la ville.
Petit à petit, l’économie de la drogue s’implanta solidement dans l’économie ordinaire de Baltimore. Un grand nombre de gens bénéficièrent indiscutablement, directement ou indirectement, de la distribution, de la vente et de la consommation de drogue. Les mères tournaient la tête quand leurs fils au chômage revenaient à la maison les mains pleines de billets. Les grands-mères touchant l’aide sociale laissaient leurs petits-fils utiliser leur appartement comme “planque”. La drogue devenait un moyen satisfaisant de compléter les chèques des services sociaux et de gagner de l’argent avec des boulots à temps partiels au salaire minimum. De cette façon, elle complétait le marché du travail officiel en offrant des débouchés aux chômeurs de longue durée et aux personnes incapables de travailler. Durant toute cette période, par exemple, les statistique gouvernementales ont montré une baisse de la présence des hommes noirs des quartiers pauvres sur le marché du travail, ceux impliqués dans l’économie de la drogue n’apparaissant pas dans les chiffres officiels de l’emploi. Comme quelqu’un le fit remarquer alors, pour ces quartiers vivant à l’heure de la post-prospérité, l’économie de la drogue était la seule forme de capitalisme qui semblait encore fonctionner.
Mais en réalité, tout cela n’était qu’une illusion. L’économie de la drogue ne “marchait” que pour une toute petite minorité. Comme toute entreprise capitaliste, il y avait là aussi des gagnants et des perdants – et les perdants étaient de loin bien plus nombreux. En bas de la hiérarchie, les petits revendeurs, parfois accros eux aussi, travaillant seize heures d’affilées dans la rue, par tous les temps, juste pour une dose journalière de drogue, essuyant l’essentiel des arrestations et des violences infligées par la police et les réseaux rivaux de dealers. Et plus bas encore, les toxicomanes, une marée montante s’engouffrant chaque jour dans les rues à la recherche de leur “fix”.»

Cet exposé détaillé fournira aux addicts de The Wire les pièces manquantes de l’Histoire d’une ville ayant inexorablement dérivé, en l’espace d’un demi-siècle, vers un «sous-développement de masse». On pourra d’ailleurs regretter que, au sein de la série elle-même, si peu d’éléments ne viennent éclairer les origines du désastre actuel (à part la deuxième saison consacrée au déclin du port de marchandise, ses docks étant promis à la fermeture et ses permanents syndicaux à une dérive maffieuse obligée), mais c’est la loi du genre : pas de background rétrospectif, que du behaviorisme in situ. Comme si toute tentative télévisuelle de décrire les symptômes du Présent (essentialisé) devait faire l’impasse sur d’autres causalités plus profondes et invisibles à l’œil nu, contribuant insidieusement à déshistoriciser notre perception face à des comportements et mentalités donnés comme purement systémiques ou contingents. Mais cette absence de recul sur un certain passif (de la défaite du Black Power au début des années 70 au démantèlement du Welfare state durant l’ère Reagan des années 80) n’empêche pas The Wire d’actualiser avec une force rare un panorama sociopolitique assez proche du bilan (de faillite) établi par Curtis Price. Lui qui, pour décrire les décombres des quartiers Ouest, les compare tout au long de sa préface avec des pays dévastés par des conflits armés (de l’Afghanistan au Kosovo, en passant par le Sierra Leone), instillant ainsi une analogie plus globale : Baltimore ressemblerait pour partie à une ville assiégée, bombardée, en ruines… ce dont The Wire témoigne avec une brutale efficacité. Ce point de convergence conduit à faire le lien avec un essai consacré à cette série paru il y a deux ans, The Wire, reconstitution collective (co-édition Prairies ordinaires/Capricci, 2011).

Les sept auteurs du livre ont beau y développer, chapitre par chapitre, saison par saison, des angles d’attaque et des interprétations fort distinctes, tous partent bien du même constat d’hallucination : une ville soumises à un blitz invisible. Non pas un corps social au bord de l’explosion, mais un état d’implosion permanente, à la fois périurbain et subconscient (par contagion psycho-géographique, comme dirait les situs). Ces décombres résulteraient d’une guerre (de «basse intensité», selon la terminologie des experts en contre-insurrection), mais surtout d’une guerre qui n’a jamais été déclarée officiellement et ne connaîtra aucun armistice. Bref, d’une confrontation fratricide sans début ni fin. Sans ligne de front non plus (puisqu’elle fuit par tous ses «coins»), sans commandement unique (puisque côté policier comme côté trafiquant, la roue ne cesse de tourner on and on). D’où l’extraordinaire ambition de ce documentaire-fiction : décrire à travers une brochette de vrais personnages incarnés, attachants, trop humains, le pur processus d’une perpétuation catastrophiste. Aucun de ces infra-héros collectifs ne court à sa ruine, puisque la ruine le précède et lui survivra, selon un turn over structurel implacable.
Au cœur de ce monde fatalitaire, The Wire démystifie le leurre des fausses oppositions et des pouvoirs constitués, pour ne nous montrer que des interactions provisoires, des jeux de mimétisme langagier, des rôles antagoniques en miroir, des alliances tactiques mouvantes où se dissout la pseudo-confrontation initiale entre policiers et dealers justifiée par une hypothétique lutte contre la criminalité liée au commerce de stupéfiants. La soi-disant «guerre à la drogue» montre alors son nouveau visage : une pure et simple addiction à la guerre. Tous camés aux stimuli du processus en cours, et cela bien au-delà des seuls inspecteurs de police et caïds de la dope, par une contagion mentale touchant tous les milieux, de l’école au syndicalisme ouvrier, du journalisme au personnel politique. Mais cet ersatz de camisole chimique qui régit les gestuelles, habitus et affects de tout un chacun(e), c’est aussi le prix à gagner/payer pour retarder sa chute, l’enjeu de la motivation/consolation du management de la survie: un état de manque permanent dans l’entre-deux de la dette/plus-value… avec bad trip généralisé et overdose plus ou moins différée. Bref, la fameuse «guerre de tous contre tous» qui est bien la seconde nature, régressive, du capitalisme post-moderne.
En témoignent ces photos qu’un reporter local, Peter Barry, a consacré durant les années 90 aux autels de fortune rendant hommage aux jeunes victimes de ce no man’s land livré à d’incessants règlements de compte. S’y expose, sur un bout de trottoir, l’art funéraire, brut ou naïf, des vétérans en sursis d’une apocalypse banalisée.

Ainsi cette saga urbaine d’exception nous décrit-elle, de façon implicite, non pas des dégâts collatéraux mais l’envers du décor d’une guerre économique qui soumet à ses business plans, objectifs chiffrés et tests d’évaluation tous les secteurs d’activité humaine, privé ou public, légal et illégal, professionnel ou intime. Et les auteurs de la «reconstitution collective» n’ont pas tort de souligner que la lucidité sans concession de The Wire tient à sa façon de montrer combien ce «système» est incapable de se réformer de l’intérieur. Zone franche d’usage dépénalisé des drogues, programme pédagogique alternatif, changement des priorités dans la répression, tous ces aménagements s’avèrent voués à l’échec, tant les forces en présence (faute d’un hypothétique rapport de force) tendent à reconduire un statu quo qui ménage à minima leurs petites pertes & grands profits respectifs. Et c’est là le ressort paradoxal de cet univers – avec comme devise «plutôt conserver en l’état ce néant familier que courir le risque de la moindre évolution» – qui produit ce captivant temps mort que le téléspectateur ressent à la vision de la série, captivant aux deux sens du terme. Qui perpétue un climat de survie post-traumatique où chacun pour soi – éphémères puissants ou éternels misérables – partage un destin commun, celui de zombies, en uniforme de flic ou de guetteur cagoulé, traversant le désert d’une Cité fantôme. Avec, selon l’ironique question de ce graffiti tagué sur un immeuble de Baltimore en 1999, peu d’espoir que l’Enfer quotidien ne se reconduise pas à l’identique… dans l’au-delà.

Quant aux personnages de The Wire – ces morts-vivants qui se dépeuplent à mesure que les saisons se succèdent – leurs psychés ne connaissent de salut que dans le parjure, le mensonge ou la duplicité, autrement dit selon l’intériorisation schyzoïde des contradictions alentours. Côté inspecteurs, ça ne donne pas des caricatures de«Ripoux», mais des êtres écartelés par trop de dilemmes et d’échecs à répétition, qui vont l’un après l’autre trahir leur fonction, jusqu’à ne plus être que des «mauvaises consciences» en autodestruction larvée. Côté seconds couteaux et éminences grises du trafic, ça ne donne pas des «indics» archétypaux, mais des gardiens becketiens de carrefours qui, du loyal D’Angelo au vengeur Omar, finissent par chercher auprès de leur frères ennemis policiers une oreille à l’écoute, le réconfort illusoire d’un tiers extérieur, avant que leur inconduite transgressive ne solde les comptes d’un suicide annoncé. Tous hybrides, impurs, mutuellement contaminés par leur désenchantement ontologique, purs effets secondaires d’une cause perdue d’avance. Ni héros, ni anti-héros, juste des singularités plurielles. À l’exception peut-être de Omar et de McNulty.
Le premier, Omar, est l’un des rares à avoir droit à sa part d’héroïsation mythologique sous l’apparence d’un Robin des bois volant la came des gros bonnets pour la redistribuer gratis aux moins que rien. Mais sa légende urbaine, aux allures de tragédie shakespearienne, butera sur un os : le flingue d’un gamin prépubère le mettant hors-jeu sans autre motif qu’un acte gratuit, accidentel, arbitraire. Avec l’inspecteur McNulty, l’héroïsation est plus fragile encore, l’idéalisme de son combat contre les chefs de gang étant d’emblée entaché par ses habitudes éthyliques et l’irresponsabilité dont fait preuve dans sa vie familiale. Pourtant, lui qui a la lourde charge d’ouvrir et de conclure les 5 saisons de The Wire, en viendra même à affabuler l’existence d’un tueur en série – ce faux prétexte sensationnaliste des politiques ultra-sécuritaires ici génialement mis en abyme – pour mener, par-delà le bien et le mal, son impossible mission. Et, par la même occasion, se brûler les ailes en prototype de l’archange déchu, perdre in fine sa place, et comme tous les survivors de ce documentaire-fiction, ravaler toute prétention, se fondre dans le décor, retomber dans l’anonymat de leur home sweet home, chacun chez soi, dans une normalité qui pue la défaite et l’amertume.

Redonnons maintenant la parole à Curtis Price, auquel j’ai demandé par mail, il y a deux trois mois, son avis sur la cultissime série The Wire.

«Yves;
Sorry for the late reply. I have not watched The Wire enough to formulate an impression. The couple episodes I saw didn’t have an impact on me, I guess because having seen so much of what The Wire addressed first hand, my impression of the show was a bit like, ”so what’s the fuss about? That is ordinary life in Baltimore”. However, I decided a few weeks ago I should give the show a second chance and I plan to start seeing the episodes on DVD.
Nearly all of the people from Street Voice and shelter days are dead now. The last person. Tracker Horse, «The Darkman», who wrote several of the pieces in the book, died two years ago, of AIDs and heart failure. Another moved to Philadelphia where he became very active in the ACT UP branch and prison issues there. So hundreds of people I knew from that era, a little over a decade ago, have just disappeared, many due to AIDS and overdoses, many more due to premature heart attacks, shot in drug deals, knifed in senseless arguments, or by kidney and liver failure brought on by years of drug use and living on the street. All were younger than 50 years old. Some may be in jail (one robbed several banks and has many years prison sentence from what I later heard second hand)
Of course, others may have moved out of the city or, like one man, recovered from drugs and who became a preacher or made some other radical break with the past where I would no longer run into them. But most I suspect have died from one of the reasons I list above. Their places have been taken on the street corners by anonymous others, whom I don’t know, and their lives are equally bad or worse than the men I knew. The cycle continues here – and no one ever speaks about the dead.
Curtis.»

Que l’ex-fondateur de Street Voice n’ait pas eu envie de mater l’intégrale de The Wire – saturation et méfiance oblige – n’a en soi rien de très significatif. Reste que, dans sa réponse, il enchaîne aussitôt sur un bilan qui figurait déjà dans sa préface : l’hécatombe qui a décimé les membres actifs de cette expérience de presse alternative. Et ce rappel funèbre fait émerger un aspect que The Wire élude presque totalement : aux décès par homicides, on doit ajouter tous les disparus infectés par le sida, les victimes d’overdose et d’autres maladies induites par la misère. Les tableaux de la santé publique de Baltimore aident à saisir ce point crucial : derrière les meurtres spectaculaires (300 par an à la fin des années 90), la pandémie mortifère de la paupérisation assassine bien plus de monde à très bas bruit. Et les deux phénomènes ne se peuvent pas découpler, au risque de passer à côté de l’essentiel.

À force de focaliser sur le taux record d’homicides, on finit par en faire l’arbre qui cache la forêt. On en oublie tant d’autres dégâts collatéraux, mortels eux aussi, qui touchent de plein fouet chaque année les 50 000 consommateurs réguliers de drogue, et plus largement encore, les centaines de milliers de travailleurs sous-payés & chômeurs sous-indemnisés de Baltimore qui sont d’ailleurs, souvent, comme ici, les mêmes. Ceux-là vivent aux abords de la zone de combat ritualisée entre flics et dealers ; ils forment la masse anonyme qu’on baptise en cas de conflit militaire une «population civile», souffrant de toutes les maladies chroniques induites ou aggravées par la guerre en cours. Et il faut bien convenir que dans The Wire, ils sont quasi absents. Le bouleversant Bubbles mis à part – et son jeune protégé atteint du VIH puis rayé de la carte par overdose –, tous les utilisateurs de psychotropes n’apparaissent qu’au troisième plan, comme des silhouettes furtives. De même, la cohorte des homeless qui émerge dans la cinquième saison est traitée en masse indistincte sans qu’aucun parmi eux n’échappe à une pure figuration muette. On objectera que c’est la loi du genre : en matière de série thématique sur le crime organisé, il n’est jamais question que d’un face-à-face restreint entre enquêteurs et délinquants. Les conditions de la survie alentour, et les trépas prématurés qui vont de pair, y sont quantité négligeable, entraperçus bord cadre, hors champ (de bataille). En l’occurrence, les innombrables précaires, avec ou sans emploi, avec ou sans abris, avec ou sans leur dose de tranquillisants, tous zappés d’office.
Ne faisons cependant pas un mauvais procès à ce documentaire-fiction qui a déjà le mérite d’avoir su camper un décor urbain d’une rare justesse, mais il ne faudrait pas tomber non plus, comme certains commentateurs, dans une aveugle fascination qui lui prêterait le don d’une sorte d’expertise sociologique sans faille. Si les scénaristes de The Wire – dont le panel correspond pourtant au modèle hollywoodien du thriller à succès : un ancien flic, un rubriquard de fait-divers et des auteurs de polar – ont évité les écueils habituels du cinéma de propagande sécuritaire, ils en ont gardé un certain biais : le prisme et les œillères d’une subjectivité policière. Ce point de vue faussé d’avance qui zoome sur tel terrain d’action spectaculaire et floute artistiquement le reste, qui suit une logique de tension dramatique en excluant du cadre la majeure partie des drames humains, faute d’y trouver matière à assez de suspens. Ils auront eu beau déplacer
subtilement les frontières des préjugés, faire bouger les lignes du manichéisme ordinaire, ils n’en ont pas moins manqué les personnages principaux du théâtre d’ombre des ghettos : les working poors qui occupent ces corners-là et, parmi eux, les amateurs intermittents de la dope. Autrement dit, entre autres, les rédacteurs et lecteurs irréguliers de Street Voice, à la même époque.

On pourrait s’étonner que The Wire ne se soit pas inspiré explicitement de l’expérience originale qu’a constituée ce journal de rue, de son auto-organisation exemplaire, de sa gestion alternative d’un lieu social, de sa participation à des protestations publiques – à moins que Street Voice n’ait servi de source indirecte au prétexte fictif de la troisième saison, l’éphémère zone franche de dépénalisation des drogues, dite Hamsterdam. Mais si les créateurs de la série ont fait l’impasse sur le sujet, c’est surtout, répétons-le, parce que le regard policier sur le réel n’a pas vocation à prêter attention aux tiers exclus du jeu de miroir (et de pouvoir) entre flics et dealers. Pour preuve, il suffit de confronter les citations qui figurent en exergue de chaque épisode de The Wire et les brèves de rue qui servent d’encadrés aux unes de Street Voice, pour sentir la différence. Qu’on en juge ci-dessous.

Ça parle évidemment de la même chose, fondu au noir d’un désenchantement commun, mais pas sur le même ton. Les bribes de phrases des activistes précaires de Street Voice ont une humeur conflictuelle, un tonus combatif et un parfum de solidarité qui a encore des liens ténus mais sensibles avec les révoltes émancipatrices des seventies. Leurs défis verbaux réarticulent en filigrane, sans mot d’ordre encarté ni langue de bois, les voix fragiles d’une repolitisation par la lutte collective. Et c’est bien cette forme d’expression-là – tout simplement l’esprit critique – qui manque cruellement dans la bouche des damnés des corners de cette série TV. En lieu et place, un message y fait l’unanimité de tous les protagonistes : It’s all a Game, no way out ! On ne niera pas que ce fatalisme, et son esprit de résignation générale, a le vent en poupe dans les faubourgs de Baltimore et d’ailleurs, mais il s’agirait de ne pas oublier que cet adage dépressif est aussi le décalque de l’idéologie du «laissez-faire» (néo)-libéral, l’acceptation subliminale de ses justifications sociologiques : «l’autorégulation du monde» par le rééquilibrage permanent des contradictions centrifuges. Avec au milieu des individus qui doivent s’adapter tant bien que mal à ce jeu de rôle managemental. Alors, entre la lucidité du constat d’échec global et l’adhésion à une morale ludique de l’aliénation relative, il y a un pas à ne pas franchir.

En ce sens, inutile de prêter à The Wire une quelconque visée subversive. Faute de permettre l’expression de voix réellement discordantes, ce documentaire-fiction demeure autocentré sur le jeu de dupes qu’il dénonce et survalorise tout à la fois. Il est temps d’inverser la tendance en redonnant leur place  aux «paroles de l’ombre» qui figuraient dans Street Voice, ou du moins quelques extraits marquants.

« Ce message s’adresse à mes frères pris dans le cercle vicieux des boulots par intérim, plus connus sous le nom de réservoirs de main-d’œuvre. Ces agences proposent une embauche ou un salaire à la journée. L’idée de gagner de l’argent à la journée, si vous êtes assez chanceux pour avoir des missions, est séduisante pour nous, frères de galère. On peut utiliser l’argent pour des déplacements afin d’essayer de trouver un boulot stable. Ce but très recherché devient bientôt impossible à obtenir parce que la réalité s’installe brusquement. On est pris au piège.
Quel est le sens de ce paragraphe ?
Voici ce que la plupart d’entre-nous se dit: “Pourquoi prendre une journée pour chercher un boulot que je ne décrocherai probablement pas et sacrifier une journée de salaire que j’aurais pu gagner?”. Vous retournez à l’agence. On est alors pris dans une situation sans fin, sans espoir, de boulots où les intérimaires sont moins payés que les employés permanents. On travaille plus dur, plus longtemps et souvent mieux et plus efficacement qu’eux. J’ai fait des missions où les superviseurs disaient aux employés permanents “Relax! Ne vous étalez pas dans cette crasse et cette graisse. C’est pour ça qu’on les engage.” Qu’est-ce qu’il faut si ça ce n’est pas de l’esclavage moderne.
Entre avant et maintenant, on peut pas dire que ça a beaucoup changé. On se tue toujours la santé avec des petits boulots qui ne mènent à rien. Écoutez ça. J’étais embauché par une agence appelée “Tous intérimaires”. Ça aurait dû s’appeler “Tous pigeons, bouffons et esclaves”. J’ai bossé pendant 15 jours au salaire minimum. Un jour je tapais la discute avec un plombier qui m’a demandé, “alors petit, ça te plaît d’être aussi bien payé?”. J’ai répondu: “De quoi tu parles?”. En fait on était censé être payé au barème syndical puisque c’était un contrat fédéral1. Finalement après qu’on ait fait un scandale on nous a payé la différence rétroactivement. Ça devrait vous donner une idée des temps dans lesquels on vit!
Il est temps de se réveiller et de prendre conscience de ce qui se passe autour de nous parce que nous dormons alors que l’heure est grave. Et le dormeur ne fait que rêver. Frères et sœurs ne vous laissez plus utiliser ou exploiter. Réagissez et battez-vous.

GERALD STROKES
[street voice #56, Labor pools:
the slaves Baltimore rents]

« Quand je suis revenu du Vietnam, on pouvait trouver du boulot dans n’importe quelle usine. J’ai eu beaucoup de boulots à cette époque – j’ai travaillé dans une entreprise qui fabriquait du plastique et je l’ai quittée pour travailler ailleurs. On trouvait facilement du boulot à ce moment là. Mais maintenant, je dois aller travailler pour une agence d’intérim. Beaucoup de sociétés comme Proctor and Gamble utilisent des intérimaires. J’ai travaillé là-bas – en fait, ça a été mon dernier boulot, avant qu’ils me licencient. Ils ont licencié une centaine d’entre-nous – ils ont simplement coupé la chaîne en disant “Bon, il faudra nous rappeler – si vous ne le faites pas, votre contrat sera automatiquement résilié”. Qui pourrait se lever pour les appeler tous les jours? Quand tu appelais, la ligne était toujours occupée. Alors, j’ai laissé tombé.
Je crois que ce système économique repose sur la guerre. Quand il y avait une guerre, beaucoup d’entreprises avaient des contrats et on trouvait du boulot. De nos jours, il n’y a plus de syndicats – ils embauchent tous des intérimaires. Quand BSI nous a missionné à Proctor and Gamble, les contrats démarrent et ne durent que six mois. Après les six mois, ils se débrouillent pour vous renvoyer ou vous licencier avant que les six mois soient finis pour que vous ne puissiez pas réclamer le chômage et c’est l’entreprise qui en profite. Voilà comment ça se passe de nos jours.
Dans les années soixante-dix, on pouvait perdre un boulot à cause de la boisson et en retrouver un juste après. C’était beaucoup plus facile de retomber sur ses pieds. Aujourd’hui, tu te retrouves tout à coup sans boulot et t’es à la rue et c’est encore plus facile de se remettre au caillou ou à autre chose. Et puis le crack est arrivé. Je n’ai jamais rien pris d’aussi terrible que le crack – ça doit venir du laboratoire de Satan! Maintenant ça touche tout le monde, mais surtout la communauté noire déjà parce que nous sommes pauvres. La communauté n’a pas tellement de ressources et elles sont aspirées par la cocaïne. Si tu vas dans un quartier ouvrier, la drogue suce la communauté jusqu’au sang et ne donne jamais rien en retour.
Quand j’étais jeune, les familles étaient plus soudées, plus étendues – tu pouvais toujours aller voir ta grand-mère, tes tantes, tes oncles. Maintenant, certains d’entre eux aussi sont accros à la cocaïne. Je suis allé dans la maison d’une fille qui se shootait – je voulais qu’elle me prépare du crack. Elle est dans la salle de bain en train de chauffer le truc et elle s’est mise à piquer une crise, à tout jeter par terre… J’essaie de lui parler et voilà sa MÈRE qui arrive en se plantant une aiguille dans le cou! Sa propre mère! J’ai vu ça plus d’une fois.
On vit dans une société capitaliste et ils font tout un tas de choses parce que le but d’une société capitaliste c’est de tirer profit de la misère des autres – et ils ne s’en sont pas privés ces derniers temps! Il y a toujours des gens en haut de l’échelle qui font du profit alors qu’est-ce que ça peut leur faire que la cigarette ou la drogue tuent plein de gens?

Roderick B. [street voice #35, Hard times]

« Un endroit à moi dans une prison où je paie pour être enfermé.
J’ai vécu beaucoup d’années dans les rues de la ville. Et tout ce temps, j’ai prié pour avoir un endroit à moi. Et même une petite amie – parfois à nouveau une femme et des enfants. J’ai prié pour avoir des amis, des vrais, car ça fait très longtemps que je n’ai pas eu d’amis. La rue semble être ma pire ennemie, car quand j’y étais, je ne dormais pas et je ne mangeais pas. Et je restais toujours sur le qui-vive. Mais maintenant que j’ai un peu de sécurité, j’ai trouvé un ennemi bien plus puissant: LA SOCIÉTÉ.
Quand je suis finalement passé de l’autre côté du miroir et que j’ai cessé d’être un sans-abri, et donc qu’on s’est mis à me traiter comme un demi-humain, je me suis imaginé que tous mes problèmes seraient résolus.
Mais je ne me doutais pas que je finirais par me comparer à l’ancien reflet dans le miroir, ou que j’aurais le cran de mettre dans la balance ce que je possède maintenant et ce que je ne possédais pas alors. Que la vie est fourbe et déroutante! Mais j’ai découvert qu’en fait parfois même le bon choix pouvait être pour moi un poison mortel. J’ai souvent remercié Dieu d’être toujours sain d’esprit après tout ce que j’ai vu et traversé. Je me suis plongé dans un style de vie qui était de la pure démence. Comment ai-je pu croire que je n’en serais pas affecté?
Je déambulais chaque jour, une vraie bombe à retardement, m’apitoyant sur mon sort, avec le sentiment d’être un bon à rien et de n’avoir aucune sécurité économique. Les choses dont j’ai parlé sont les événements quotidiens et habituels que les gens normaux ont appris à considérer comme faisant partie de la vie de tous les jours. Mais quelqu’un comme moi, et ceux qui sont allés là d’où moi je suis revenu, nous sommes allés là où ces gens soi-disant normaux se battent chaque jour pour ne pas se retrouver. Des choses qui à nous,dehors, nous faisaient faire des trucs de dingues.
Mais je suis bien conscient du fait que ma peur pourrait, et va me détruire. Car n’était-ce pas d’abord la peur et la honte d’être un bon à rien qui m’ont poussé à la rue et m’y ont laissé? Car ces mêmes sentiments ne m’avaient-ils pas dit que j’étais faible et fragile et que je n’arriverais à rien dans la vie? Et à mon tour j’ai cru tout ce que je me disais.
Non, mes problèmes ne disparaîtront pas en un clin d’œil. Et ils ne s’en iront pas avec une bonne douche. Et la question de savoir où est ma place – ou trouverai-je un jour ma place? – dans la vie “normale” ? n’aura peut-être jamais de réponse. Alors, il y aura toujours une fêlure dans mon miroir pour me glisser à nouveau si jamais je me sentais fatigué de vivre ce présent. »

Un cœur reconnaissant, Freddie G. Phillips.
[street voice #39, Crack in the window]

« Planant au septième ciel
Espérant ne jamais redescendre
Des traînées blanches de poussière
Qui te suivent
Pris au piège
Parce que tu as goûté à l’appât
Ne jamais retourner dans ton décor habituel
À cause de ce destin, le tien
Tout le monde s’en moque
Parce qu’il y a de l’argent en jeu
De la cocaïne-base
Un caillou qui te défonce
Un trip marijuana
Du LSD pourrissant au plus profond de ton cerveau
Mélodrame dont tu ne te souviens plus
Quand tu as tiré en plein dans l’oreille de ce mec
Parce que le besoin de drogue était si fort
Alors ils t’ont enfermé
Le traitement dont tu as besoin
Le petit jeu qu’il faut boucler
Pour retourner dans la société
Avec toute la haine
Pour tout recommencer. »

DAVID SHELDON
[street voice #46, Life in the haze]

« Méfiez-vous de certains organismes publics qui prétendent que leur mission est de changer ou d’améliorer quelque chose ou quelqu’un. Le plus souvent, leur définition “d’améliorer” signifie nous prendre des choses que nous trouvons agréables, ou bien chercher une excuse pour se mêler d’une façon ou d’une autre de nos vies.
Un cas récent en exemple.
Au cours des dernières semaines, tous les bancs du centre commercial Lexington, entre Howard et Eutaw Streets, ont été embarqués au milieu de la nuit.
Ils n’ont pas été volés par des junkies défoncés, des mendiants, ou un gang de vendeurs des rues avec leurs charrettes. C’est-à-dire, par le type de gens qu’on accuse généralement d’être responsable de tout ce qui va “mal” dans le coin du centre ville.
Mais même si nous ne connaissons pas l’exacte identité de l’organisme coupable, (bien que nous puissions probablement supposer que l’Association Commerciale du Centre Ville y est mêlée) nous pouvons parfaitement imaginer le raisonnement qui a abouti à une telle décision. Une décision qui a été prise en privé, sans aucune consultation du soi-disant grand public, qui paraît-il était très menacé par “ce qui se passait” au centre commercial.
Et le raisonnement ressemblait probablement à ça: les bancs attiraient beaucoup trop de sans-abri et de personnes de la rue. Ces gens faisaient des choses ignobles et terribles, comme par exemple boire du vin caché dans des sacs en papier, chanter a capella (au lieu d’acheter des CDs et des walkmans), faire des rencontres, et peut-être le pire de tout: traîner pendant des heures sans dépenser d’argent dans les magasins alentours.
Mais si nous retirons les bancs, la racaille, les bons à rien s’en iront et le problème sera résolu.
Il y a juste un petit problème dans ce raisonnement.
Les bancs étaient utilisés par TOUT LE MONDE.
Des personnes âgées, des mères avec leurs enfants, des secrétaires, des étudiants, et des artistes. Et même un ventriloque, et son singe, qui débitait des grossièretés. Toutes ces différentes personnes utilisaient les bancs parce que, contrairement à ce que des groupes comme l’Association Commerciale du Centre-ville peuvent penser, les gens s’asseyent sur les bancs pour reposer leurs pieds ou observer ce qui se passe autour d’eux, et non parce qu’ils sont sans-abri, ou mendiants, ou d’une façon ou d’une autre peu recommandables. Alors, quand vous retirez les bancs vous privez TOUT LE MONDE, et pas seulement les quelques-uns que vous avez choisi de punir, du droit de s’asseoir dans un espace public.
Et ensuite? Est-ce que tous les bancs autour du bâtiment de la compagnie du gaz et de l’électricité vont disparaître pendant la nuit? (Si vous pensez que nous exagérons, essayez de trouver une fontaine où coule vraiment de l’eau en centre-ville un jour de plein été: elles ont toutes été secrètement coupées!)
Il semble que plus ils prennent de choses aux gens ordinaires, plus ils se vantent “d’améliorer” ou de “remettre à neuf” le centre de Baltimore.
Nous, à Street Voice, aimerions lancer une campagne à propos de ça, et notre slogan est très simple:
NOUS, LA RACAILLE ET LES BONS À RIEN, NOUS VOULONS RETROUVER NOS BANCS
Parce qu’aux yeux de l’organisme qui a retiré les bancs du centre commercial, toute personne qui a éprouvé le désir de s’asseoir sur l’un d’eux doit faire partie de la racaille et des bons à rien.
SI VOUS SOUHAITEZ PARTICIPER, CONTACTEZ-NOUS »

« Cher répondant;
Je suis heureux que des gens comme TOI aient accès à un journal comme STREET VOICE. Dans ta lettre, tu as fait part d’une énorme quantité de préjugés et d’opinions fondés sur de fausses informations dont tu as été nourri par la télé et les journaux.
Tu demandes pourquoi j’étais en prison. J’ai acheté un demi-litre de vodka et je l’ai mélangée avec un litre de tonic pour célébrer un nouveau boulot. Je n’avais pas bu d’alcool fort depuis un mois et j’ai avalé le demi-litre en moins d’une heure. Je l’ai bu dans le parc près de Sant Martin drive. La vodka m’a filé un tel coup que je ne savais plus où j’étais. Je suis allé au Science Building, à Hopkins, en pensant que je pourrais utiliser un téléphone pour appeler un ami qui pourrait me ramener chez moi. Les hommes de la sécurité m’ont arrêté à l’entrée d’une façon extrêmement agressive; ils ont vu que j’étais saoul et ont profité de ma vulnérabilité. Ils m’ont bousculé plusieurs fois et m’ont jeté à terre.
Je me suis réveillé en prison avec deux yeux au beurre noir, la lèvre fendue, une main en bouillie et des coupures sur le visage et sur les jambes. La police m’avait traîné sur le sol et hissé jusqu’au panier à salade le visage contre terre. J’ai été retenu en prison un mois, attendant mon procès. Les gardes m’ont accusé de les avoir frappés. Ils n’avaient aucune preuve de leurs soi-disant blessures.
Tu t’imagines que tous les gens qu’attrapent les flics sont mauvais et sont des criminels. La plupart des hommes que j’ai rencontrés en prison étaient là pour de petits délits. Un homme était accusé de viol pour avoir déboutonné le chemisier d’une fille. Un autre était accusé de voies de faits pour avoir claqué une porte sur le visage de ses voisins. Tes préjugés te diraient qu’ils mentaient, mon expérience personnelle avec les flics et les tribunaux me dit de les croire.
De façon générale, les hommes que j’ai rencontrés en prison étaient serviables, amicaux, généreux, jeunes, et noirs. La plupart d’entre eux vivaient dans différents degrés de pauvreté. Il faut payer dix pour cent de la caution à un garant pour pouvoir sortir. Les cautions sont si élevées dans le Maryland que la plupart des gens arrêtés ne peuvent même pas payer les dix pour cent.
Quand tu ne peux pas travailler pendant un mois tu perds ton boulot, ton appartement, tout ce qu’il y a dedans et le respect de ta famille et de tes amis. Ce que te font les juges et les avocats ressemble à une farce. Ils savent très bien ce que doivent affronter les hommes qui sortent de prison après un mois de détention. Beaucoup d’hommes que j’ai vu en prison, je les ai vu dans les soupes populaires et faire la queue pour des vêtements. Ils ne se sont pas retrouvés là par hasard, on les y a poussés.
Les médias t’ont appris à croire des choses qui ne sont pas vraies. Tu as des idées sur les tribunaux et sur le système que tu perdrais très vite si tu avais affaire à eux. En réalité, tu n’as pas le droit de te former une opinion sur le sujet, parce que ça n’a pas touché ta propre vie.
Si tu voyais un animal, sale, frissonnant de froid, mal nourri, enchaîné dans un coin et assis dans sa propre merde et sa propre urine, tu te dirais que c’est de ton devoir de l’aider. D’une façon ou d’une autre, on t’as appris à croire que les hommes en prison sont moins que des animaux. Selon toi, je serai un jour ou l’autre de retour en prison. Je pense que ton opinion ne vaut pas plus qu’un tas de merde.
Il est possible que quelque part dans ta tête tu devines qu’il y a une différence entre ce que tu vois, ce que tu entends, et ce qu’on te raconte. Tu dois aussi réaliser qu’il est plus prudent de rester “politiquement correct”. CE QUE LES AMÉRICAINS APPELLENT “POLITIQUEMENT CORRECT”, LE RESTE DU MONDE L’APPELLE “FASCISME”.
Quand je suis allé au tribunal, j’ai demandé un procès avec un jury; l’avocat commis d’office m’a répondu qu’il n’y avait pas de procès avec jury possible avant deux ou trois mois. Elle m’a dit de plaider coupable et de purger ma peine. Je lui ai dit que mon casier était vierge et que je ne voulais pas plaider coupable pour quelque chose que je n’avais pas fait, surtout quand c’était moi qui avais des preuves d’avoir été blessé. Elle a répondu que je ne pouvais pas prouver que je n’avais pas frappé les gardes. En réalité, je n’ai pas à le faire. C’est le plaignant qui doit apporter les preuves. Elle sait cela. Elle a dit que si je ne plaidais pas coupable, je resterais en prison deux mois de plus, mais que quand j’aurais mon procès avec le jury, l’avocat commis d’office ne ferait rien pour moi. Un vrai avocat aurait pu faire annuler l’affaire pour manque de preuves. Si le Maryland n’était pas un état complètement policier, je n’aurais pas eu à croupir un mois en prison pour rien.

Steve D.
[street voice #48
They didn’t fall in the gutter;
they were
shoved there]
(STREET VOICE: Nous souhaitons toujours essayer de faire quelque chose concernant les rations de nourriture à la prison. Nous voyons trop de gens sortir de là comme des squelettes. Intéressés? Contactez-nous.)

«Ils ont trouvé un autre corps là-bas au coin
Derrière les murs abandonnés de l’usine
L’usine qui employait jadis 2000 ouvriers
L’usine qui maintenant n’emploie plus
Que des rats, des cafards, et quelques clodos
Le corps a été trouvé près d’un champs de hautes herbes
Personne ne savait qui était cet homme
Et probablement que personne ne le saurait jamais
Son crâne était défoncé et son cerveau étalé partout sur le trottoir.
Après que l’ambulance soit partie
Les petits enfants sont venus gaiement
Sautiller sur le sol au contour de craie jaune
Comme à la marelle
Et c’était de fait le seul jeu auquel ils pouvaient jouer
Maintenant qu’à cause des restrictions budgétaires on avait fermé le centre d’animations
Et que les accros au crack avaient occupé le terrain.
Cette nuit-là
La pluie est tombée
Et a lavé les dernières traces de ce pauvre inconnu qui était mort
La pluie a traîné
Toutes les ampoules de crack dans la rue
Les ampoules brillaient et étincelaient
Et on aurait dit que toutes les étoiles étaient tout à coup tombées du ciel noir dans le caniveau.
Cette nuit-là
Je n’ai pas pu dormir
Chaque nuit
Toute la nuit
Le son des balles et des sirènes
Le son, les cris, les hurlements, déchirant
Le cœur des ténèbres
Un homme de la mairie en costard-cravate
Est passé à la télé
Il a dit
Que la communauté financière était contente et prospère
Il a dit
Que la ville était fière de consacrer plusieurs millions de dollars
À la construction près du port d’une nouvelle marina
Où tous ceux qui ont déjà trop
Pourront garer leurs yachts et leurs limousines
Il a dit
Que la ville changeait enfin de visage et je me suis dit:
DE QUELLE VILLE EST-CE QU’IL PARLE?

[street voice #60, Baltimore diary – 1]

DANS LES ANNÉES 80, ON SE MIT À BEAUCOUP PARLER DE LA PAUVRETÉ ET DE LA CLOCHARDISATION.
«Mais généralement, seules deux visions étaient exprimées dans les innombrables spots télévisés, journaux, articles ou discours de chefs politiques. L’ancien Président Reagan en tête, une grande partie des gens rendait les pauvres responsables de leur situation: ce sont des bons à rien, des malades mentaux ou des gens qui vivent dans la rue par choix. De l’autre côté, les politiciens et les journalistes libéraux présentaient les sans-abri et les pauvres comme de pathétiques victimes de l’économie, mais ils les traitaient comme s’ils n’avaient pas d’intelligence et de volonté propre. Ils ont besoin de réintégration, de traitement et d’aide des services sociaux pour les aider à voir combien ils ne savent pas s’y prendre pour vivre.
Mes propres conversations avec les gens de la rue amènent à penser que c’est l’opinion publique qui ne comprend pas les réalités de la pauvreté et de la vie dans la rue, pas ceux qui la vivent. Les gens veulent croire que tout va bien dans le monde – dans le monde du travail, de la famille, des services sociaux – et que le problème c’est vous. Je vais cependant brièvement suggérer le contraire ici.
LA DEMANDE GÉNÉRALE: “TROUVE UN BOULOT!”
LE TRAVAIL À BAS SALAIRE, C’EST PAS SI CHOUETTE
La plupart du temps, quand les gens voient un SDF traîner dans la rue ils disent avec colère: “Trouve un boulot!” Même les libéraux n’arrivent pas à comprendre pourquoi les pauvres ne sautent pas de joie quand on leur offre un boulot payé au minimum dans une pizzeria ou une supérette. Il y a longtemps, le célèbre philosophe Bertrand Russell suggéra que l’éthique du travail sert les riches, pas les pauvres. Quand on gagne moins d’argent en travaillant qu’en fonctionnant “à la débrouille”, en ramassant les bouteilles ou la ferraille, en vivant aux marges de la société. POURQUOI LES GENS DEVRAIENT-ILS ÊTRE FORCES DE TRAVAILLER POUR PRESQUE RIEN sans avantages sociaux, et être reconnaissant envers des employeurs qui licencient les pauvres et les sans-abri quand ils le veulent et les traitent comme des esclaves? Pour la personne qui gagne 50 000 $ par an, “Trouve un boulot” semble assez rationnel. Pour quelqu’un appartenant à la classe moyenne, gagner de l’argent illégalement (“à la débrouille”) est aussi acceptable, mais si un sans-abri fait la manche, vit d’allocations ou partage ses biens avec ses copains, les gens sont furieux. C’est vrai: CERTAINES PERSONNES, PAUVRES ET SANS ABRI, NE VEULENT PAS TRAVAILLER POUR UN SALAIRE MISÉRABLE. Pourquoi leur reprocher de comprendre les limites de “l’éthique du travail”?
LA FAMILLE: PAS D’UN GRAND RECONFORT
Quand les gens voient une bande de SDF, ils se demandent où se trouvent leurs familles, et pourquoi les mômes des rues ne sont pas chez eux avec leurs parents. Mais la réalité, c’est que les bonnes familles aimantes que nous montrent la télévision et les journaux n’existent pas pour la plupart des pauvres et des sans-abri! Beaucoup de personnes vivant dans la rue sont physiquement, sexuellement ou psychologiquement maltraitées par leurs familles. Ou bien elles sont rejetées parce qu’elles sont pauvres ou différentes. Beaucoup de sans-abri, particulièrement les mômes des rues, me disent qu’ils préfèrent être à la rue que “chez eux”.
CENTRES D’HÉBERGEMENT ET SERVICES SOCIAUX: UN BIEN OU UN MAL?
Si les gens voient une personne à la rue, et qu’ils ne veulent pas l’envoyer directement en prison, ils se disent: “Pourquoi ne va-t-elle pas dans un centre d’hébergement?” Pourquoi n’est-elle pas suivie par une assistante sociale? Les gens ont l’air de croire que les services pour les sans-abri et pour les pauvres sont merveilleux (et que grâce à eux les gens peuvent “mener la grande vie”). En réalité, beaucoup de gens de la rue à travers tout le pays racontent que les centres d’hébergement les privent de leur dignité, de leur liberté, et de leur intimité, que bénéficier de la plupart des avantages sociaux implique une profonde intrusion dans leur vie privée et que les avantages et “l’aide” de l’État se paient bien cher. Parfois même on vous enlève votre enfant ou bien on vous colle en hôpital psychiatrique ou autre institution après que vous en ayez trop dit sur vous-même.
Même ceux qui aident les pauvres et les sans-abri n’ont souvent pas conscience de la réalité de l’Amérique des années 90. Le problème ne vient pas des sans-abri ou des pauvres et de leurs modes de vie, qu’ils soient “malades mentaux” ou non, alcooliques ou non, le problème vient de la société dans laquelle nous vivons. Plutôt que de créer d’avantage de centres d’hébergement ou de petits boulots payés au salaire minimum, c’est un changement radical qu’il faudrait dans notre pays pour vraiment résoudre les problèmes de pauvreté et de clochardisation. EN AMÉRIQUE, PEU, SINON PAS, DE POLITICIENS OU DE PUISSANTS SOUHAITENT RÉELLEMENT S’OCCUPER DE CETTE QUESTION. »

DAVE WAGNER.
[street voice #60, The Public’s Myths
About The Poor and The Homeless]

Enfin, on ne saurait conclure ce panorama comparatif sans évoquer le récent mouvement Occupy Baltimore, que The Wire ne pouvait anticiper. Ce qui s’y joue et déjoue depuis deux ans, tient à l’émergence de la voix des inaudibles, à la volonté de construire un rapport de forces antagonique, au refus des règles de ce soi-disant jeu de rôles. Pour être plus concret, la dernière mobilisation locale a porté sur un sujet sensible : la dénonciation de l’imminente construction d’une nouvelle prison pour adolescents au dépens des crédits alloués aux services sociaux. Avec, à l’unisson des campeurs manifestants, ce slogan principal : «School not Jails!» et ses variantes.

C’est bien peu, dira-t-on, mais déjà quelque chose
plutôt que la perpétuation du rien.

Le même article avec ses photos en noir & blanc
sous format pdf ici même.

Pour faire circuler ce texte, le lien est ici même

6 avril 2013
[Texticules & icôneries
Quadrillage des surfaces corporelles.]

Corps à géométrie invariable.

Pour faire circuler ce texte, le lien est ici même

1er avril 2013
[Fausses-bonnes intentions, hors saison
Soixante irrésolutions permanentes
.]

Chaque nouvel an, ça recommence : l’improbable ultimatum. On a l’entier mois de janvier pour prendre du recul, réviser son audit existentiel, peser le pour & le contre, changer de régime élémentaire, arrondir ses angles, tirer des plans B sur la comète… Bref, faire vœux à volonté! Bonnes résolutions, ça s’appelle, à mots couverts, en aparté, via le surmoi qui vous interpelle : bouge d’ici! arrête ça! essaye autrement!
Pas besoin d’un ange gardien, on la connaît déjà par cœur la litanie des injonctions entre soi et soi. Velléités perpétuelles, avec leurs mots de passe inchangés d’un millésime à l’autre. Méthode Coué, en boucle tautologique : «Si c’était à refaire, j’aurais dû le parfaire.» Et puis merde, ça repart comme c’était venu, ces voix de la raison ressassante. Perte sèche sans grand profit, sitôt dit que déjà dans le déni. On s’était pourtant engagé juré craché, sauf que ces codes de conduite assistée, ça ne rime à rien de précis, une fois que le double bind quotidien vous a repris en traître. Promesse d’ivrogne & serment d’hypocrite, et au bout du compte, à rebours: gueule de bois & camisole psychique.
Du coup, plutôt que de céder à ce foutu impératif fantasmatique – juste fais-le –, selon le rite obligé du calendrier, on a préféré attendre le 1er avril pour prendre date. Canular ou pas? Trop tard pour tergiverser, c’est parti. Et puisqu’il est bien connu que ce jour-là même le ridicule ne tue pas, on a relevé le défi, glané ici et là des expressions fétiches, des formules presque magiques, dès qu’on en médite le sens au pied de la lettre.
Attention, il ne s’agit pas de procrastiner dans le vide, ni de regretter ses futurs antérieurs ou d’autres imparfaits du subjectif. Rien à voir avec les méthodes du développement personnel, sa cure de sevrage et son mieux-être palliatif. Juste rouvrir les perspectives du possible, de l’ailleurs, du commun. Et pour mettre des mots sur ces envies provisoires, faillibles, disparates, trouver les moyens termes qui font cohabiter l’éthique et la pratique. Alors, sans se bercer d’aucune illusion ni s’aigrir des déceptions qui vont de pair, on a couché sur le papier quelques hypothèses fétiches, histoire de rêvasser à voix haute. Au total, soixante suppositions en l’air qui, faut de répondre à mes dernières volontés, s’attachent à un état d’apesanteur familier. Nulle déclaration d’intentions mort-nées, mais l’inventaire de mes irrésolutions permanentes. Autant de bouteilles à la mer, sans aucun programme à la clé puisqu’on ne saurait conjuguer ensemble des verbes à l’infinitif. Et que, une fois mis bout à bout, ces segments de phrase ne trament aucun message unitaire, mais un tissu épidermique de contradictions.



[Un grand merci à l’ami Alex Mouawad,
pour son regard inventif sur la maquette.
On retrouvera ce recueil d’autosuggestions

illustrées par quelques photos de mon cru
sous format .pdf de ce coté-ci ou bien là.
]

Pour faire circuler ce texte, le lien est ici même

29 mars 2013
[Texticules & icôneries
Troisième larron, à l’occasion.]

Dernier supplice, œillade complice.

Pour faire circuler ce texte, le lien est ici même

27 mars 2013
[Photo-fiasco & co,
troisième série —
Non-événements &
déclics à retardement.]

On aimerait parfois stopper net le cinéma du réel pour photographier tel détail, portraiturer tel personnage, capturer sur écran telle situation, et figer leur incongruité magnétique. Faute de mieux, on se contente d’un petit déclic oculaire qui cadre, fait le point et zoome à la dérobée. Mais comme le quotidien a d’autres priorités, ces arrêts sur image se perdent en cours de route. À peine un laps de persistance rétinienne, et l’on n’y pense déjà plus, idées fixes effacées d’elles-mêmes. Mirages entraperçus sur le vif, aussitôt tombés dans l’oubli. Tant pis, bord cadre, hors champ, nul et non advenu.
Sauf que certaines visions sont plus tenaces et finissent par refaire surface. Instantanés qu’on regrette de n’avoir pas su saisir au vol, faute d’avoir eu le bon réflexe et l’appareil à portée de main, même si l’idée ne vous en est venue que la minute suivante, le lendemain ou plusieurs années après.
Et soudain, l’occasion manquée de ce cliché-là se met à vous manquer vraiment. Photo-fiasco dont on voudrait pourtant garder trace, en creux, sur le tard, par défaut. Avec des mots postiches à la place des pixels. Des loopings verbaux pour remonter la boucle de ce qui s’est loupé: quelques non-événements en latence.
Alors pour témoigner de ce ratage initial, il suffit de se glisser dans l’ancienne ligne de mire. De rendre hommage à cet état de grâce perdu de vue. D’écrire des semblants d’ex-voto en lieu et place d’ex-photos.

• Le dos tourné d’un noctambule entre deux âges ondulant du bassin au plus près d’une palissade, lui qui se retourne une fois pissé tout son saoul, moi qui le vois me prendre en flagrant délit de voyeurisme.

• La toile d’araignée, fragilement tissée durant la nuit, qui fait le grand écart entre les deux rétroviseurs de mon scooter, mais dont l’arborescence ténue ne cesse de trembler, à flou tendu, sous la brise du petit matin.

• Une piscine à boules multicolores, parmi d’autres stands d’une fête foraine, où ma fille vient de plonger la tête la première jusqu’à disparaître entièrement, il y a deux secondes puis dix quinze vingt trente, en indistincte apnée, avant qu’une main ressurgisse à une extrémité du bac géant, la sienne, puis ses genoux ailleurs, ou peut-être le haut de sa tête blonde ici, non plutôt vers ce coin-là, inutile de me braquer, nulle part et partout à la fois.

• Une chinoise traînant d’une main un caddy, de l’autre un énorme sac plastique Tati, avec pour couronner le tout un imposant cadre de bois peint en bandoulière qui découpe sa frêle silhouette de biais et gêne sa fuite sur le pont surplombant la périphérique, porte de Bagnolet, tandis qu’une patrouille de police longe le trottoir jonché des fringues éparses abandonnées par d’autres revendeurs à la sauvette.

• Un panneau publicitaire ayant perdu ses couleurs depuis l’été dernier, à tel point que le logo n’est plus déchiffrable ni la nature du produit mis en relief, le tout presque aboli selon plusieurs nuances de gris, et faute d’un réglage adéquat, ça vire au même carré blanc sur fond blanc.

• Trois silhouettes qui courent sur des tapis roulants, à travers la vitrine embuée d’un club de Fitness, chacune nimbée d’un halo phosphorescent qui, à l’œil nu, fait l’effet d’une auréole enluminée de feuilles d’or, mais dont le contour improbable perd son aura dès que figée sur le vif, démystifiée sur l’écran.

• L’échafaudage ceinturant la statue de Marianne, place de la République, et ne laissant à découvert que sa monumentale poitrine où deux hommes casqués manœuvrent, de si loin que le tableau d’ensemble ne se peut zoomer à petite échelle ou recadrer dans toute sa largeur, ni la sainte aux gros seins ni ses protecteurs lilliputiens.

• Les lettrages majuscules, à travers la vitre du train, annonçant une imminente arrivée en gare SAINT-HAZARD, et non LAZARE, suite au bombage presque parfait d’un arpenteur nocturne de voie ferrée, lapsus typographique vite remis au norme, comme j’ai pu le vérifier sur place dès le lendemain.

[Pour feuilleter ou télécharger
le recueil provisoire de cette
nouvelle série, cliquez
ici même.]

[Pour aller voir NON FACT
le dégradé visuel
qui va de pair,

c’est.]

Pour faire circuler ce texte, le lien est ici même

Pour etre tenu au courant de temps en temps