@ffinités

Premier avril 2010
[En roulant en écrivant, stylo-scooter — Pause pipi.]

Persuadé qu’à Paris toutes les vespasiennes ont depuis longtemps disparu – en avril 1977 très précisément, comme je l’avais noté dans Plutôt que rien –, et qu’elles ont été remplacées par des bunkers autonettoyants mais payant, me voilà démenti, sitôt engagé sur le boulevard Arago. J’hallucine: en voilà une, là, sous mes yeux, chiotte vestige avec son double urinoir alvéolaire, au pied du mur d’enceinte de la prison de la Santé.

Je pile net et me gare juste derrière un taxi. Lui, tous feux de détresse clignotant. Moi pareil, clic-clac.

Un presque retraité sort justement des dites toilettes à claire-voie, en l’occurrence le chauffeur du taxi qui redémarre en trombe. À peine le temps de zoomer sur les tags qui couvre le monument d’aisance qu’un deuxième taxi vient se ranger à ma hauteur, puis un autre. Les deux conducteurs s’empressent d’aller faire leurs petits besoins, chacun dans son coin. Aucune valse-hésitation ambiguë, ni jeux de regards troubles, rien qu’une halte hygiénique. En attendant on ne sait trop quel signe de vie – un souvenir passe-muraille de Jean Genet ? –, j’allume une clope sur place, tête en l’air, vers les fenestrons grillagés de la taule en surplomb.

Déjà, les deux soulagés sont sur le départ. Une conversation s’improvise avec le moins pressé. Intarissable sur le sujet, il m’apprend que cette vespasienne est bel et bien la dernière de tout Paris intra muros, conservée en l’état pour la commodité des policiers qui, chargés de surveiller les abords pénitentiaires, pouvaient ainsi aller pisser sans interrompre jamais leur ronde. À ces usagers très particuliers s’en sont donc ajoutés de nouveaux, les damnés du volant qui, vu leurs cadences infernales, n’ont plus trop le temps entre deux courses de décompter la moindre pause pipi au sous-sol d’un café. Drôle d’idée, je me dis, que cette borne taxi clandestine jouxtant une maison d’arrêt. Même s’il ne suffit pas d’avoir une voiture à disposition en bas de chez soi pour réussir à se faire la belle.

Post-scriptum du premier avril 2014 :
Au hasard de mes tours et détours via les moteurs de recherche numériques, ces deux photos aperçues sur le site www.gavroche-pere-et-fils.fr, qui viennent confirmer indiscrètement le témoignage ci-dessus.

Pour faire circuler ce texte, le lien est ici même

30 mars 2010
[Portraits crachés — Mâle à propos.]

Au Venezuela, il y a un sacré bail, les Amérindiens ayant survécus aux croisades coloniales d’Amazonie comptaient quatre femmes pour un homme. C’est un très corpulent inconnu qui l’affirme, à l’autre bout de la tablée nocturne, avant de vider son verre d’un trait d’esprit douteux… enfin en moyenne, mais y’en a des pas mal. Ce qui ne fut pas sans conséquences, encore sensible aujourd’hui, enchaîne-t-il doctement en commandant la bouteille suivante. Cet ancestral déséquilibre démographique a laissé des traces profondes, insiste-t-il en resservant les convives d’autorité. D’où cette drôle de coutume qui perdure dans les mœurs du cru : une polygamie sans légitimation religieuse – et hop, il conclut sa phrase cul sec. Chez ces mâles dominants, aucun effort à fournir, ni régime alimentaire, pour plaire au sexe opposé, juste bouffer et picoler tout son saoul.
« Garçon, la même chose ! »
Un peuple d’obèses sans honte, au-delà du bien et du mâle, bien dans sa peau quoi ! triomphe-t-il en trinquant avec son voisin quelque peu réticent. Là-bas, tous avachis les mecs, vu qu’ils ont que l’embarras du choix pour se faire materner, engraisser, dorloter… et plus si affinités. C’est l’occasion ou jamais de porter haut un nouveau toast, dans l’air saturé d’utopie virile. Y’a qu’à lever le petit doigt, et ça emballe sec… d’ailleurs cul sec derechef. Trois petits point de suspension, on s’y croirait presque, ponctué d’un rire gras face à l’auditoire condamné au silence. Et voilà, notre conquistador sexuel a achevé son récit de voyage. Toute langue déliée, il en a plein la bouche de sa surpopulation féminine.
Je me défile au comptoir, et propose à la seule femme ici présente, la serveuse, un arrangement à l’amiable : l’addition s’il vous plaît.

Pour faire circuler ce texte, le lien est ici même

29 mars 2010
[En roulant en écrivant, stylo-scooter — Brûler la politesse.]

Un motard précédant le fourgon pénitentiaire, suivi d’une voiture de police bondée d’hommes en armes, canons braqués à chaque portière, arrive au carrefour des Arts et Métiers. Sans doute un détenu sous bonne escorte. Mais déjà, un deuxième convoi d’exception, du SAMU 93 cette fois, se fraie un chemin vers le même carrefour, toutes sirènes hurlantes, mais plus stridentes encore, au milieu d’un embouteillage monstre.
Qui va brûler la politesse à l’autre et forcer le passage ? Taulard avec menottes ou comateux sur brancard ? Droit de vie ou de mort. Dilemme de la circulation auto-immobile. À cheval sur sa grosse cylindrée, le policier ne va plus tarder à trancher. Il stoppe net, du plat de la main, l’ambulance qui s’apprêtait à doubler par la gauche, et reprend la tête de son transport de prisonnier. « Priorité cellulaire », le mot de la fin m’est venu en allumant ma clope au feu rouge suivant.

Pour faire circuler ce texte, le lien est ici même

28 mars 2010
[Credo pour de faux — 2.]

Femme enceinte qui prend le métro, rate sa station puis s’endort jusqu’au terminus, accouchera prématurément d’un fils si la ligne est paire et d’une retardataire du sexe opposé si elle est impaire ; en outre, si son conjoint, sous l’effet de la couvade, s’assoupit pareillement, il faudra user de grandes cuillères pour sortir le nourrisson, engagé les pieds devant plutôt que tête la première, de son tunnel.

Pour faire circuler ce texte, le lien est ici même

25 mars 2010
[Texticules et icôneries — Nul si découvert.]

« Ce n’était pas difficile de me trouver,
maintenant que tu m’as découvert,
l’important est de me perdre. »

Quelques jours après avoir ciselé ce haïku testamentaire, Friedrich Nietzsche perdait définitivement l’usage de la parole.

Pour faire circuler ce texte, le lien est ici même

22 mars 2010
[Portraits crachés — Suite sans fin.]

Faute d’autonomie financière, Julia, bientôt 24 ans, habitait encore récemment le centre de Paris, chez papa-maman. Même à court terme, ça lui pourrissait la tête en journée et tout le reste en insomnies. Mais son nouveau job d’infographiste, un contrat à durée très limité, renouvelable sous condition imprévisible à l’heure qu’il est, lui permet enfin d’envisager ric-rac soit une chambrette en soupente soit un studio en colocation, pas trop loin de chez ses pieds-noirs de parents, juste la porte à côté, disons à quelques pâtés de maison, une minute à vol d’oiseau, ou le triple à pieds grand maximum, mais l’idée qu’elle aille se déloger on ne sait où, dans un autre arrondissement, à quatre stations de métro de là, sinon pire encore, extra muros, dans une banlieue limitrophe, ce serait pas imaginable tu te rends compte de nous faire ça, trop d’émancipation à la fois.
Alors, plus caricaturale que nature, sa mère juive lui a proposé de coucher sur le papier un code de bonne conduite : deux dîners par semaine à la maison, en plus du déjeuner dominical avec tous les cousins au sens large. Moi, Julia R***, fille de Monique et Lazare R***, m’engage à… Signé par l’expatriée imminente, contresigné par l’autre partie en présence, avant de vider les assiettes du repas de famille pour fêter ça, le prochain et les suivants, en tout quelques tonne de gravats combleront à la longue le fossé des générations.

Pour faire circuler ce texte, le lien est ici même

8 mars 2010
[Antidote au pessimisme ambiant— Exception aux lois d’exception.]

Prénommons-le Kateb, en souvenir de l’écrivain Yacine, kabyle comme lui. Plus d’une décennie qu’il fait le maçon en Île-de-France, six mois sur douze, ça tombait plutôt bien, tant que sa carte de séjour était encore valide. Il retournait au bled automne et hiver, pour donner un coup de main dans la marbrerie de son frère aîné, puis rappliquait aux belles saisons pour trimer en plein air chez un sous-sous-traitant du BTP ou se la couler plus douce dans un pavillon de banlieue à rafraîchir ou, mieux encore, des fois qu’il y aurait une piscine à installer dans quelque résidence secondaire au Sud de la France.
Mais depuis cinq ans, il n’a plus droit à rien d’officiel, tous ses papiers nuls et comme si jamais advenus. Désormais, qu’il s’avise de rentrer au pays, consoler le frangin dont la boîte vient de faire faillite, et c’est sans retour possible à la case départ. Du coup, il reste ici pire qu’en taule pour ne pas perdre son gagne-pain et, cloué sur place sans plus pouvoir partager sa vie à sa guise, il s’enracine mal dans la clandestinité et tant qu’à hiberner loin du frangin, culpabilise et picole sec, avec les accros du PMU, en bas de chez lui, une chambre de bonne que lui prête sa voisine de palier contre une nuit d’amour à l’occasion, même si elle aurait plutôt l’âge d’être sa mère. Hors période de chantier, il s’exile dans l’alcool, malgré les remontrances de sa protectrice. Il boit jusqu’à plus soif, c’est sa dernière liberté, se foutre la gueule à l’envers deux trois fois par semaine, à moins qu’une patrouille ne vienne à croiser le contrevenant, l’interpeller et puis le coffrer pour ce double motif qui n’en fait qu’un : état d’ébriété et défaut d’identité. Et là, c’est trente jours de dégrisement en Centre de Rétention Administrative avant expulsion.
Par chance, un des habitués de son comptoir, turfiste du week-end, l’a pris en sympathie. Nul besoin de leur faire un dessin, ils se sont deviné l’un l’autre. Lui bosse en civil dans la police nationale ; l’autre sous pseudo dans le bâtiment. Et alors ? S’en fout des préjugés mutuels, ils se sont payés des tournées, à charge de revanche et ainsi de suite. Et quand une opération de contrôle massive est programmée en haut lieu préfectoral, pour faire du « chiffre » à la sortie de telle station de RER, Kateb reçoit un SMS de son complice anonyme : gaffe à la rafle, place de la République, demain vers 18h.

Pour faire circuler ce texte, le lien est ici même

20 janvier 2009
[Texticules et icôneries — Non événement.]

L’arc-en-ciel typographique, bombé non loin du Bazar de l’Hôtel de Ville, annonçait justement la couleur.

Aux premières heures du lendemain, zèle des effaceurs municipaux oblige, la trace in situ de l’éphémère « aujourd’hui » avait disparu.

Pour faire circuler ce texte, le lien est ici même

24 décembre 2009
[Credo pour de faux — 1.]

Qui rate ou bute sur la neuvième marche d’un escalier doit éviter de s’habiller en noir le lendemain sous peine de perdre ou gâcher définitivement sa relation avec un ami de longue date.

Pour faire circuler ce texte, le lien est ici même

16 novembre 2009
[Allergie à l’air du temps — Monstruisme.]

J’aurais beau vous recompter chacun pour soi,
sans eux, y a plus personne entre ton toi et le mien ;
et comme moi privé du leur ne fait nous que de majesté,
ça revient plus ou moins à quantité négligeable ;
d’où il ressort cette identité peu remarquable
qu’outre la somme des subdivisions nationales
il y a de plus en plus d’étrangers dans le monde.

Pour faire circuler ce texte, le lien est ici même

Pour etre tenu au courant de temps en temps