8 mars 2010
[Antidote au pessimisme ambiant— Exception aux lois d’exception.]

Prénommons-le Kateb, en souvenir de l’écrivain Yacine, kabyle comme lui. Plus d’une décennie qu’il fait le maçon en Île-de-France, six mois sur douze, ça tombait plutôt bien, tant que sa carte de séjour était encore valide. Il retournait au bled automne et hiver, pour donner un coup de main dans la marbrerie de son frère aîné, puis rappliquait aux belles saisons pour trimer en plein air chez un sous-sous-traitant du BTP ou se la couler plus douce dans un pavillon de banlieue à rafraîchir ou, mieux encore, des fois qu’il y aurait une piscine à installer dans quelque résidence secondaire au Sud de la France.
Mais depuis cinq ans, il n’a plus droit à rien d’officiel, tous ses papiers nuls et comme si jamais advenus. Désormais, qu’il s’avise de rentrer au pays, consoler le frangin dont la boîte vient de faire faillite, et c’est sans retour possible à la case départ. Du coup, il reste ici pire qu’en taule pour ne pas perdre son gagne-pain et, cloué sur place sans plus pouvoir partager sa vie à sa guise, il s’enracine mal dans la clandestinité et tant qu’à hiberner loin du frangin, culpabilise et picole sec, avec les accros du PMU, en bas de chez lui, une chambre de bonne que lui prête sa voisine de palier contre une nuit d’amour à l’occasion, même si elle aurait plutôt l’âge d’être sa mère. Hors période de chantier, il s’exile dans l’alcool, malgré les remontrances de sa protectrice. Il boit jusqu’à plus soif, c’est sa dernière liberté, se foutre la gueule à l’envers deux trois fois par semaine, à moins qu’une patrouille ne vienne à croiser le contrevenant, l’interpeller et puis le coffrer pour ce double motif qui n’en fait qu’un : état d’ébriété et défaut d’identité. Et là, c’est trente jours de dégrisement en Centre de Rétention Administrative avant expulsion.
Par chance, un des habitués de son comptoir, turfiste du week-end, l’a pris en sympathie. Nul besoin de leur faire un dessin, ils se sont deviné l’un l’autre. Lui bosse en civil dans la police nationale ; l’autre sous pseudo dans le bâtiment. Et alors ? S’en fout des préjugés mutuels, ils se sont payés des tournées, à charge de revanche et ainsi de suite. Et quand une opération de contrôle massive est programmée en haut lieu préfectoral, pour faire du « chiffre » à la sortie de telle station de RER, Kateb reçoit un SMS de son complice anonyme : gaffe à la rafle, place de la République, demain vers 18h.

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