12 juin 2020
[Au pays du déni policier,
rien n’a jamais eu lieu…
que le non-lieu judiciaire.]
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Quand mardi 2 juin, à l’appel du Comité Vérité pour Adama, devant le mégalomaniaque building du nouveau Palais de Justice, des dizaines de milliers de lycéens, étudiants et jeunes précaires de Paname et ses quartiers périphériques – stigmatisée deux mois durant pour son « relâchement » et son « indiscipline » –, ont débordé dans la rue pour dénoncer les violences policières systémiques, mettre à bas les fausses gloires coloniales statufiées et en finir avec toutes les « distanciation sociales », de classe, de couleur de peau, de genre, ça nous a toutes et tous rajeunis d’un seul coup. Face à cette évidence enfin remise en lumière – la brutalité des rapports sociaux mise en état de marche forcée économique par ses zélés gardiens de la « paix » –, quelque chose a tremblé dans l’édifice des donneurs d’ordre, un séisme ouvrant sur des abîmes d’incompréhension.
Et il ne faudrait pas que cette brèche se referme sous la pression des leaders corporatistes de l’institution policière, si attachés à leurs droits à « l’étranglement », au « plaquage ventral », aux armes sublétales, au nassage routinier des manifestants, à l’insulte raciste, antisémite, sexiste, homophobe, anti-pauvres sur les réseaux sociaux, dans les cités de banlieue où quand tels ou telles grévistes battent le pavé. L’anti-antifascisme assumé de secteurs entiers de la police (BRI, BAC, CRS, BRAV-M) – composés aux deux tiers de fonctionnaires votant pour l’extrême-droite –, doit être nommé pour ce qu’il est : la constitution de brigades fascistoïdes tenant par la barbichette le ministère de l’Intérieur, autrement dit, pour emprunter à la phraséologie gaulliste datant de la guerre d’Algérie : des factieux.
Or, c’est bien ce terme que Macron avait employé au début du mouvement des Gilets Jaunes, inversant comme à son habitude le sens des mots, pour masquer sa propre impuissance face à « l’état profond » des esprits au sein de la hiérarchie préfectorale. Mais comme l’offensive néo-libérale en cours depuis trois ans nécessitait de militariser la répression des mouvements sociaux, les EnMarchistes ont eu vite fait de choisir leur camp : plutôt la trique du préfet Lallement que la chienlit aux portes de l’Elysée, et peu importe les dizaines d’éborgnés et de mains arrachées, les centaines de blessés graves, les milliers de gardes à vue abusives. Monopole de la violence «légitime» oblige, pour défendre manu militari des lois inégalitaires, le loto-entreprenariat précaire et la ghettoïsation ethno-urbanistique, tant pis si l’on faisait appel, parmi ses troupes de choc mobilisées, aux pires préjugés phobiques. Il s’agissait de réformer les « gaulois réfractaires » et les banlieues « séparatistes », et cela hier comme aujourd’hui… « quoi qu’il en coûte » aux principes minimaux d’une démocratie représentative aux abois.
D’où la fragile espérance qui peut changer nos lendemains, en faisait coïncider plusieurs sensibilités en lutte contre le sexisme ordinaire et les féminicides, la répression des racisé.e.s dans les quartiers, l’ubérisation des rapports sociaux, l’exploitation des premiers de corvées avec ou sans papiers, les soutier.e.s du milieu hospitalier, etc. Pour que le concept un peu trop théorique « d’intersectionnalité » prenne enfin corps collectivement et l’immunise contre tout repli sectaire.
POST-SCRIPTUM 1 : Ces quelques affichettes conçues et collées par mes soins font suite à pas mal d’autres qu’on retrouvera ici. Pour mémoire, précisons que la première adresse aux «policiers» est inspirée de la couverture du journal Action de janvier 1969, ci-dessous.
POST-SCRIPTUM 2 : Même si je ne suis pas dans les catégories rituelles de la discrimination policière, quelques souvenirs en vrac de propos énoncés à mon égard par des agents en uniforme (ou en civils avec ou sans brassard). En 1977, après mon interpellation devant le centre Beaubourg où je protestais sous ma tignasse blonde contre l’extradition de Klaus Croissant : « P’tit con, va te faire couper les cheveux! » ; en 1992, lors d’un tournage en plein Barbès avec des étudiant.e.s en cinéma de la fac de Saint-Denis, un commissaire nous intimant d’arrêter de filmer sur le toit ouvrant d’une bagnole et concluant son injonction par ces mots : «De la viande froide, j’en ai emballé pour moins que ça !» ; en 1994, après avoir troublé une cérémonie en hommage au groupe Manouchian devant l’Hôtel de Ville au cri de « Oui, Manouchian était un sans papiers ! » : une bousculade, mes lunettes qui tombent par terre, un CRS qui les écrase sciemment d’un coup de talon en commentant « p’tit pd d’intello, va ! » ; en 1996, après le meurtre « à bout touchant » de Makomé dans un commissariat du dix-huitième arrondissement suivi d’une émeute devant le mairie : un pierre renvoyé en pleine face par des flics en civil et quelques « enculés ! » à mon encontre ; 2003, étant le témoin solidaire d’un blocus lycéen devant un établissement du quartier Latin, cette réplique « Retourne à Pyongyang, connard !» de la part d’un gradé dirigeant l’évacuation ; en 2004, après un contrôle routier positif de 0,5 gr d’alcool dans le sang sur mon scooter, mon menottage à un banc dans le hall du commissariat sous les Invalides, puis ma chute après somnolence et saignement de nez ainsi commentés : « Ben alors, on joue à la bavure ! » ; en 2008, lors d’une manifestation de sans papiers faisant halte devant le commissariat central de Montreuil, avant d’être brutalement réprimée par des membres de la BAC, me voilà visé par un lanceur de balles dite « de défense » alors que je prenais en photo un colosse en train de briser le coude à coup de tonfa d’une jeune femme à terre tout en lui balançant « Retourne faire la vaisselle, salope ! » ; en 2010, devant le lycée Jean Jaurès où était scolarisée ma fille, tandis qu’un policier venait de cibler avec son flashball un gréviste de 16 ans, Geoffrey, gravement blessé sous l’œil, et alors que j’interpelais le tireur en tant que parent d’élèves, le canon de son arme approché à quelques centimètres sous mon menton par le même flashballeur éructant «Vous aviez qu’à les garder chez vous, vos chiards ! » ; sans oublier les innombrables excès de langage racistes ou sexistes lors de contrôles au faciès dans le métro ou sur un trottoir auxquels j’ai pu assister depuis trente ans, un autre souvenir datant d’un samedi de mobilisation des Gilets Jaunes, me retrouvant dans le dos d’une ligne de robocops ayant surgi en plein cortège : « Allez bosser, bandes de faignants ! », tout en se barrant un œil de la paume de la main en guise de menace d’éborgnement. Et encore, très récemment, lors du confinement à Montreuil, le 1er mai dernier très exactement, alors que la Brigade de Solidarité Populaire distribuait pains et légumes sur la place du Marché et que, venu soutenir cette action à la fois concrète et symbolique, je m’étais trouvé pris à parti par un motard de la BRAV descendu de son gros cube, qui, sans masque ni respect des distances élémentaires, me pointait son doigt ganté dans l’abdomen (peu musclé il est vrai), cherchant à me faire déraper verbalement, puis voyant que je reculais de plusieurs mètres pour échapper à sa pression m’a moqué d’une air goguenard : « Regardez-le, c’est qu’un lâche ! »
POST-SCRIPTUM 3 : Je serais malhonnête si je ne signalais pas quelques contre-exemples à propos de la maréchaussée, certains « justes » ayant contrevenu aux consignes ou désobéi en conscience, comme ce flic du centre de Paris, ayant fraternisé au comptoir d’un bar kabyle avec un maçon algérien sans papiers, avait pris l’habitude de lui signaler par sms les lieux et heures de contrôles massifs dans le métro, ou aussi, cet OPJ de Montreuil qui, ayant délibérément laissé repartir sans lui chercher noise un sans papier s’étant interposé lors d’un cambriolage chez moi, m’avait confié mezzo voce : « Ceux-là, ils se la jouent grave, c’est insupportable » en parlant de ses collègues de la BAC. Ultime souvenir qui est ressorti des limbes : au début des années 2000, un 1er mai, où Jean-Marie Le Pen s’apprêtait à prendre la parole devant ses ouailles, j’avais assisté, comme observateur prudemment à l’écart, au renversement de l’étal d’un vendeur de saucisses au teint mat par une bande de skinheads, laissant sur le pavé une mare de ketchup qui faisaient glousser ces crânes rasés et lyncheurs en puissance. Faute de pouvoir intervenir, j’avais trouvé quelque réconfort dans le regard outré d’un agent de la circulation, non loin de là. Après m’être rapproché de lui, je l’avait encouragé à intervenir. Et lui, haussant tristement les épaules m’avait glissé à l’oreille : «C’est une honte de voir ça, mais je suis tout seul, je peux rien y faire».
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22 mai 2020
[Pseudo-Dico, idiot & logique –
Extraits d’un abécédaire en cours.]
Parmi d’autres chantiers textuels, il y a ce petit opuscule : Pseudo-Dico, idiot & logique, qui s’épaissit au fur à mesure, sans régularité ni but précis, juste me sortir de la tête cette manie précoce : mettre chaque mot en porte-à-faux, le faire dévier de sa définition routinière pour le trahir au pied de la lettre ou l’exposer à ses dépens cul par-dessus tête.
Dans sa «pseudo-intro», j’ai essayé de revenir sur le «Comment du pourquoi » de ce projet qui hésite entre le goût du fautif et la faute de goût.
« […] Seul défi minimal, commenter chaque mot par association d’idées, esprit de conflagration, étymologie intuitive, amalgame accidentel, contresens inopiné, déduction analogique, méprise significative, sinon par défaut mineur ou faute d’étourderie. Et surtout, lâcher la bride, perdre contrôle, laisser sortir les bouts d’énoncé à l’oreille, faire confiance aux courts-circuits intérieurs, aux paradoxes venus d’ailleurs. Projet impur et simple, trivial et mégalo. D’où son sous-titre – idiot & logique – qui me revient de loin, l’éternel adolescent jamais lassé de singer les sapiences de l’homo academicus, avec force grimaces et effets de manches. […]
Mon principe de base: mettre en relief des hiatus poétiques. J’ai dû croiser cette drôle d’intuition entre 15 et 16 ans, à force de dévorer du Nietzsche en n’y comprenant qu’une ligne sur trois, puis en laissant décanter ma lecture d’alors. Et j’y suis encore fidèle, à ma façon bâtarde. Une fois détrôné le surmoi littéraire, tout redevient permis: métaphores bancales, alexandrins boiteux, citation détournée, faux amis volontaires, coq-à-l’âne ou amalgame abusifs. Ça passe ou ça lasse, peu importe.
Bien sûr, j’aurais pu faire le tri au départ, chasser la blague facile, neutraliser le calembour dérisoire, ne garder que le meilleur du début à la fin. Mais quand on vide son sac de vocabulaire, il vous passe de drôles de couacs par les méninges, et c’est souvent d’assez mauvais goût, entre autres foutaises et débilités. J’aurais pu me cacher derrière mon petit doigt d’auteur, mais l’idiotie a sa logique implacable.»
On pourra feuilleter le glossaire entier, c’est ici même.
Sinon, pour se faire une vague idée de ces words in regress,
un bref aperçu de leur définition alternative ci-dessous.
APOCALYPSE : franglish., happy end for happy few.
BANQUEROUTE : ce qu’il en coûte à spéculer sur la croissance
éternelle (voir Pari stupide & Crise d’obsolescence).
COACH : happy-culteur (voir Rush & ruche).
DYSTOUPIE : ce qui ne tourne pas rond chez soi.
ÉDITEUR : agent de texture (voir Additif & Excipient).
FRENCH KISS : anatomiq., bi-langue.
GASTRONOMIE : astronomie viscérale (voir Voie Lactée & Intestins
Graal).
HOLD-UP : franglish, retour à la caisse départ.
IMPUISSANCE MASCULINE : bas-latin, coïto ego scum.
JUDAS : ni saint ni sauf.
KAMA SUTRA : littérature à massages.
LIVREUR À DOMICILE : porteur saint du consumérisme pathologique.
MANNEQUIN.E : porte-manteau à visage humain.
NÉO-COLONIALISME : de pire Empire.
OUBLIER : perdre date.
PERSONNE : qui est présentement vivant (ou en son absence même).
QUARANTAINE : psycho. maritime, sas d’isolement sanitaire avant la cinquantaine.
RÉGRESSION INFANTILE : conte à rebours.
S.O. : acronyme, selon le contexte, Service d’Ordre ou Sans Opinion.
THRAPIE COGNITIVO-COMPORTEMENTALE : canalysation du
flux de conscience.
VEGAN : espèce d’anti-spéciste.
W.-C. : fosse d’aisance où dévider en toute discrétion son Witæ
Curriculum.
ZEUGMA : esprit de synthèse, de famille, d’escalier et d’autres circonstances dépareillées.
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12 mai 2020
Images arrêtées & idées fixes —
Photomanies, deuxième série [3].
Il y a quatre ans et demi, Fabienne Pavia publiait au Bec en l’air un recueil des mes lubies photomaniaques selon un principe élémentaire : mettre en regard, selon des affinités perceptives, deux images, en laissant jouer ces correspondances, sans blabla parasite. Via l’ascèse verbale de ces accouplements élémentaire, il s’agissait de me fier à la libre association des idées fixes ou des assonances, visuelles, mais en faisant cette fois l’économie d’une quelconque paraphrase hors champ. Laisser ces natures mortes s’impliciter, même si ce verbe pronominal, d’après le dico, n’a pas l’air d’exister.
Une fois le bouquin sorti en librairie, j’ai provisoirement cessé de chasser le moindre détail papillonnant aux alentours, d’en épingler les cadavres exquis, bref de prendre quoi que ce soit en photo. L’envie retrouvée de laisser filer le réel, sans vouloir aussitôt en capter le mystère au vol, même si une autre lubie — la collecte des graffiti textuels —, m’obligeait encore à garder des traces, via mon téléphone portable cette fois. Et dans les marges de cette traque épisodique, entre deux inscriptions murales, m’est revenu le goût du déclic urbain. Sauf qu’entre-temps, je me suis essayé à un autre format, aussi carré qu’un coup de dés hasardeux, pour échapper à l’éternel dilemme du smartphone, saisir l’horizon en grande largeur ou en étroite hauteur. Et voilà que cette révolution géométrique – une fenêtre sur le monde aux quatre côtés égaux –, a changé la donne et renouvelé le désir d’en agencer, sans commentaire, quelques bribes.
D’où le petit panorama, ci-dessous, de mes visions un peu louches, triées et réagencées durant le laps contemplatif de ces deux derniers mois.
Pour jeter un coup d’œil sur la maquette provisoire du deuxième volume de Photomanies, cliquez ici même.
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28 avril 2020
Il n’y aura pas d’après viable
si ce monde reste irrespirable…
Contre l’union sacrée mortifère,
reprenons la parole en plein air.
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À la fin des années 70, selon l’adage « En mai, fais ce qu’il te spray », le graffitiste bruxellois Roger Avau avait un aphorisme fétiche qu’il bombait au hasard de ses flâneries : Arrêtez le monde, je veux descendre… L’ayant sans doute vu en photo dans un fanzine, je l’avais recopié mot pour mot au-dessus de mon lit, en écoutant l’album Alertez les bébés d’Higelin. La devise allait bientôt faire des petits dans ma tête, en la rapprochant de celle du film L’An O1 : « On arrête tout, on réfléchit, et c’est pas triste». Et nous y voilà, à l’arrêt, sauf que là c’est malgré nous, via un virus qui nous confine à l’absurde, nous télé-travaille de l’intérieur, renforce les ségrégations urbanistiques, les inégalités de sur-vie. De quoi vacciner la population, se réjouissent nos experts en « distanciation sociale », cette maladie servira d’antidote contre tout esprit de démobilisation générale, de « grève des gestes inutiles » comme disait l’anarchiste Libertad durant le Belle Époque, sinon d’un farniente à temps choisi, décidé d’un commun accord anti-productiviste pour mieux se répartir les tâches entre bonnes volontés coopératives, sans carottes ni bâtons, ni gâchis ni profit.
Pris en étau par le chantage ultra-binaire de nos gouvernants (de drauche & groite confondus) – stopper la pandémie vs relancer l’économie –, nous ne sommes plus confrontés qu’à des doubles injonctions culpabilisantes : ne plus sortir pour s’en sortir du côté des télé-employés et bosser en-deçà du minimum sanitaire quand on est au bas de l’échelle salariale, ou pire encore, pointer aux banques alimentaires bien qu’on soit déjà en déficit immunitaire chronique, etc. Tous les ministres et DRH qui depuis des décennies ont mis à sec les précaires pour renflouer les actionnaires, coupé les fonds de l’hôpital public pour préserver les fric des rentiers, mis en coupe réglée le droit du travail pour mieux fournir aux Big Uber Brothers une main d’œuvre corvéable au doigt et à l’œil, sous prétexte d’auto-entreprenariat, vont bientôt nous déconfiner au compte-goutte, une fois les mômes renvoyés à un simulacre de halte-garderie, et puis viendra le temps de rembourser la dette, et de courber l’échine sous la trique austéritaire. On connaît la musique – la «stratégie du choc» – : après les appels martiaux à la « guerre contre un ennemi invisible », d’autres métaphores officielles nous contraindront à remplir nos devoirs de citoyens pour « retrousser nos manches », « bosser plus dur en touchant moins » et arrêter de « vivre au-dessus de nos moyens », comme on l’a tant répété aux Grecs à bout de souffle déjà il y a une douzaine d’années.
D’où l’urgence à ne pas nous plier au séquençage propagandiste du pouvoir en place, à ouvrir des brèches dès maintenant dans leur scénario de reprise d’activité, à déserter les rengaines des médias dominants, à faire perdurer nos entraides informelles, nos réflexes critiques, nos refus d’un retour à la case départ, à renforcer nos solidarités envers tous les confinés d’office de l’ordre social qui vivent ce huis clos domestique depuis belle lurette, et ça en fait du monde, ces mis à l’écart qui ne mettent le nez dehors que pour bosser le plus souvent sous le seuil de pauvreté. Deux échéances s’offrent à nous aujourd’hui : populariser la «grève des loyers» qui a déjà pris de l’ampleur en Espagne, Italie ou au USA et ne pas manquer de faire entendre nos voix discordantes dans la rue (dûment masqués mais sans contact) le 1er mai prochain (puis les samedis suivants…), en rejoignant certaines initiatives de proximité. Bref, si l’on veut que toutes les victimes de l’hécatombe pandémique ne soient pas « morts pour rien », il faut conjurer nos chagrins et fatigues, se méfier des syndromes paralysants – entre sidération et résignation – et sans attendre conspirer ensemble à à empêcher les lendemains qui déchantent et remettre au jour certaines utopies concrètes, en se souvenant de cette phrase empruntée à Kierkegard par Gilles Deleuze en 1969 dans Logique du sens : « Du possible, du possible, sinon j’étouffe » et qui réaparaîtra sous sa plume et celle de Félix Guattari en 1984 dans « Mai 68 n’a pas eu lieu », tirant les conséquences du virage pragmatico-gestionnaire de la gauche de gouvernement dont nous n’avons toujours pas fini de payer les roses fanées.
En attendant, pour nous oxygéner les neurones et semer la discorde en plein, quelques bribes textuelles et visuelles glanés sur les murs ces temps derniers.
ICI
on crève
2020 SDF
Paris XI, près Gare de Lyon, craie sur trottoir, 14 février 20
les rêves ôtés créent des révoltés
Toulouse, écluse Saint-Michel, bombage, mi-février 20
ESTADO FEMINICIDA
Mexico, près du Palais présidentiel, bombage, mi-février 20
FOUFOUNE DANS TA BOUCHE
Lyon, Croix-Rousse, bombage, mi-février 20
NO SYSTEM
BUT ECOSYSTEM
Prague, bombage, 21 février 20
ADVIENNE QUE
POURAVE
Toulouse, 22 février 20
Your lips, my lips
APOCALYPSE
Alger, Said Hamedine, bombage, 24 février 20
Dans quel
Etat j’errrrre.
Nantes, craie, 24 février 20
LEGALIZE
FREEDOM
AGAIN
Islande, Reykjavik, 29 février 20
YOU ARE THE SOURCE AND
THE TARGET OF BIG DATA
Barcelone, pinceau, 3 mars 20
CULTIVONS L’ÉCART
Rennes, bombage, 5 mars 20
How’s God ?
She’s black
Berlin, Kreuzberg, pinceau, 8 mars 20
L’ENTRAIDE BORDEL !
[FACILE À DIRE !]
VIVONS HEUREUX
VIVONS CACHETS
Alger, El Biar, bombage, mi-mars 20
Tousse
ensemble
Déjà la crise de la Quarantaine
Rouen, bombage, mi-mars 20
GRÈVE DES LOYERS
CONTRE LA PRÉCARTIÉ
DU CONFINEMENT
Barcelone, bombage, 19 mars 20
– de pandémie
+ de pain de mie
Lyon, bombage, 22 mars 20
la roue à tournée
ou peut-être pas
Alger, Hydra, pinceau, 23 mars 20
NIQUE LES SURVIVALISTES
INDIVIDUALISTES
Paris XI, rue Victor Gelez, bombage, 26 mars 20
On va tous mûrir
Nantes, lettres végétales, 27 mars 20
Le monde
sera celui
que l’on
IMAGINE
Belgique, Mons, bombage, 27 mars 20
J’souris
a l’envers
Alger, Cheraga, bombage, 29 mars 20
+ d’amendes
distribués que
de masques !
Rezé, bombage, 31 mars 20
LANDLORDS
ARE
THE VIRUS
USA, Minneapolis, bombage, 31 mars 20
Et si on ne
reprenait jamais
le travail ?
Montreuil, bombage, 2 avril 20
Quand l’idiot montre le pangolin
Le sage regarde la déforestation
Loire-Atlantique, bombage, 2 avril 20
effondrement
en cours
veuillez
Patienter !
Paris X, 3 avril 20
HOMELESS
LIVES
MATTERS
San Francisco, bombage, 3 avril 20
Aujourd’hui
les gestes barrières
Demain
les gestes barricades
JE DANSE
LE MIASME
Nantes, bombage, 3 avril 20
METRO MAISON
BOULOT MAISON
DODO MAISON
?!
Marseille, craie, 6 avril 20
I can’t live in a living room
Athènes, bombage, 6 avril 20
Hier, j’ai bouffé un.e riche
[j’garde l’autre pour demain]
Montréal, bombage, 8 avril 20
Capitalism
was built
2 kill
Brooklyn, bombage, 9 avril 20
PANGOLIN
vs
CAPITALISME
Brest, bombage sur macadam, 11 avril 20
Comme mon boulot est en quarantaine
je ne payerai pas mon loyer !
Berlin, bombage, 11 avril 20
SOY FRÀGIL
Buenos Aires, Lavalle, bombage sur macadam, 11 avril 20
LES DRONES
DU TOTALITARISME
QUI S’ANNONCE…
Nantes, bombage, 11 avril 20
CLAUSTROFOBIC
EVASION
Turin, 11 avril 20
MAKE THE RICH PAY FOR COVID19
Autriche, Vienne, bombage, 12 avril 20
Rester à la maison
suppose qu’on a une maison
Athènes, bombage, 12 avril 20
pour les vacances
d’été
j’irais bien en bas
de chez moi
Paris XX, blanco, mi-avril 20
COVID 19…84 ***
Belfast, bombage, mi-avril 20
L’utopie est de
croire que tout
peut continuer ainsi
Rennes, bombage, mi-avril 19
Arrêtez de nous Pister
Dépistez Nous
Marseille, bombage, mi-avril 20
Cherche vélo
d’appartement
pour me rendre
à mon télétravail
LE POUVOIR DE VOUS PROTÈGE PAS
IL SE PROTÈGE
Lyon, Croix Rousse, mi-avril 20
LETS FIGHT THE VIRUS OF CONTROL
Berlin, bombage, mi-avril 20
J’ai pas le corona
j’ai la rage
Grenoble, 16 avril 20
LA PROPRETÉ, C’EST L’ALIÉNATION
Bagnolet, 19 avril 20
DISTANÇONS
NOUS D’UN MAÎTRE
Bastia, pinceau sur collège, 19 avril 20
Toux
va bien…
Paris XIX, Belleville, bombage, 20 avril 20
Viens, on pleure ensemble
Montpellier, 24 avril 20
MAKE OUTSIDE
LEGAL AGAIN
Toronto, bombage, 24 avril 20
Ni keufs
ni covid-19
Montreuil, rue Parmentier, bombage, 24 avril 20
LA FIN EST PROCHE
Rouen, bombage, 24 avril 20
EL UNICO SISTEMA
QUE QUEREMS FUERTO
ES EL IMMUNE
[le seul système
dont nous acceptons la force,
c’est l’immunitaire]
Barcelone, bombage, 25 avril 20
Pour décorer le quartier, à Montreuil, j’ai conçu quelques affichettes. Reste plus qu’à trouver un peu de colle à papier peint et une brosse ad hoc…
Parmi pas mal d’initiatives collectives dans le 93, ces deux-là qui filent la pèche :
Post-scriptum : Après la verbalisation générale par les motards de la BRAV et des CRS (sans respect des gestes barrières ni d’un quelconque port de masque) des initiateurs d’un marché aux légume gratuit le 1er mai, à Croix-de-Chavaux, les services municipaux de Montreuil n’ont, à leur tour, pas chômé le dimanche 3 mai : tous les signes extérieurs de subversion murale ont été effacés. Du coup, ce lundi 4 mai au matin, un anonymal non-domestiqué en a remis une couche :
Re-post-scriptum : Suite à un nouveau ripolinage des agents de la Mairie qui, dixit l’une d’elle, ont le devoir de faire diparaître ces « violences verbales devant l’Hôtel des Impôts », un petit lutin dissensuel en a remis une couche au marqueur indélébile :
Re-re-post-scriptum : Le lendemain, les mêmes causes produisant les mêmes effets, un nouvel aphorisme a profité du nouveau carré des censeurs monochromatistes :
Re-re-re-post-scriptum : Suite sans fin des censeurs de l’hygiénisme urbain mis à nu par le déconfinement verbal :
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3 janvier 2020
Fais tout ce que vœux
en l’An qui déjà vingt.
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19 décembre 2019
Quand le black bloc est multicolore
ça fout la trouille à Dark Vador… !
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On se souvient d’un des plus maladroits slogans de mai 68 : « L’imagination prend le pouvoir » ou de sa variante « L’imagination au pouvoir », qui donna lieu quelques mois plus tard à un beau livre culte aux éditions du Terrain Vague (alias Eric Losfeld), récemment réédité par Alia. C’est à partir de cet amalgame trompeur – où la puissance du rêve magnifiée par les surréalistes et la vieille prise de pouvoir à la sauce léniniste font mine de se confondre – qu’un malentendu à pu naître, dont allaient jouer les repentis libéral-libertaires et autres fils-de-pub-en-col-mao, nous vantant dès 1981 les sirènes de l’esprit créatif réconcilié avec la gestion entrepreneuriale de nos vies. Vieille ambiguïté de toute « volonté de puissance », soit poétique, soit despotique, mais qui nourrit la pire des dystopie quand elle mène double-jeu.
C’est sans doute pour lever ce funeste malentendu que les Indiens Métropolitains du printemps 77 italien avaient écrit sur la façade mussolinienne de la Sapienza, la grande fac du quartier San Lorenzo à Rome : « La fantasia uccidera il potere / Sara une risata che vi sepellira » [L’imagination détruira le pouvoir / Ce sera un éclat de rire qui vous enterrera.] Il serait temps d’en tenir compte, et de valoriser dans le climat actuel de conflictualité massive ce qui ne demande déjà qu’à déborder : un esprit de fête hétérogène, décloisonnant, irrécupérable. Faute d’être du genre à donner des leçons à quiconque, je ne fais ci-dessous que témoigner en photos de ce qui est en train de se dépasser, bref de se dé-prendre de tous les pouvoirs institués…
Question subsidiaire : combien de temps encore le siège social parisien du fonds de pension américain Black Rock, en plein quartier de la bourse, restera-t-il aussi immaculé ?
Un peu d’imagination solidaire, cher.e.s street artistes, à vos pinceaux, rouleaux & aérosols.
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2 décembre 2019
Comment on nous (re-)traite ?
(Dés-)espérance de non-vie
& employabilité à perpète.
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RENGAINE SPÉCIEUSE — On nous répète ad nauseam que les régimes spéciaux de retraite contreviennent à l’intérêt général, et à son principe d’équité, par « empilement » de privilèges. Pourtant, en matière de droits sociaux, l’exception a presque toujours précédé la règle, tel gain particulier (concédé face à un mouvement revendicatif ou une pénurie de main d’œuvre) ayant initié sa généralisation mutualisée. Et l’historien Michel Pigenet de nous en rappeler quelques jalons essentiels : au XVIIe siècle l’État recueille les mutilés de guerre dans l’Hôtel des Invalides et palie le manque de vocation militaire dans la Marine par de petites pensions pour les enrôlés volontaires. Un siècle plus tard, tous les soldats en bénéficient, puis des administratifs civils peu après la révolution de 1789, jusqu’à l’harmonisation de la retraite des fonctionnaires peu après l’insurrection de février 1848 (en substance, la quille à 60 balais, après 3 décennies de labeur, le tout indexé sur les 6 dernières années). Et dans le secteur privé, ça s’est propagé idem : en 1894, après des grèves en cascade, une chiche retraite à 55 ans, dont 30 passés au fond du trou, pour les mineurs ; en 1911, droits identiques pour les employé(e)s des compagnies privées (mais sous tutelle étatique) du ferroviaire suite à la fameuse « grève de la thune » d’octobre 1910, sous un gouvernement dit de « centre-gauche » ayant fait appel à la troupe (encore un crapulerie de Clemenceau).
S’ensuivront à la même époque des caisses de retraite dans d’autres secteurs d’économie mixte : distribution de l’eau, éclairage public, transports en commun, puis un premier régime d’assurance obligatoire, bancal et ultra-partiel, renforcé en 1928 et 1930 avant que naisse la Sécurité Sociale en 1945. Jusque-là, les régimes spéciaux avaient donc servi d’aiguillon à une harmonisation par le haut (obtenue de haute lutte). À partir des années 50, les forces conjuguées des gouvernants et du patronat n’ont cessé d’œuvrer à un renversement de tendance, le nivellement par le bas, via une bassesse rhétorique assimilant le moindre « acquis social » à un iniquité scandaleuse, un pseudo déficit d’égalité envers le droit commun.
Dernier élément de langage (abusif) en date : les fameux chauffeur(e)s d’autobus d’Amiens partiraient en retraite plus tard que leur nanti collègue parisien – « c’est trop injuste » comme dirait Caliméro. De fait, en ce chef-lieu de Picardie, les conducteur(e)s de bus bossent pour une société d’économie mixte – Véolia il y a quelques années et désormais Keolis – qui gratte sa part de profit sur la baisse des coûts salariaux et des cotisations dues par les employeurs. Côté cash à la fin du mois ou âge minimum pour dire bye bye au turbin, les Picard(e)s y paument pas mal, comparés aux diverses concessions arrachées par leurs pairs franciliens depuis 1948 à l’employeur 100% étatique qu’est la RATP. Mais gaffe aux raccourcis trompeurs, ces « avantages », ne l’oublions pas, furent d’abord l’objet de débrayages massifs et de blocages audacieux prolongés aux risques et périls de plusieurs générations de grévistes.
Alors quoi ? On devrait généraliser un insidieux dumping social sous prétexte d’être équitable envers les moins bien lotis, on devrait tous et toutes consentir au même rabais contractuel, rognant sur un siècle et demi de conquêtes en terme de « salaire social », comprenant, outre la paye, tant d’autres aspects liés à nos conditions d’existence, dont une exigence des plus vitales : avoir un vrai temps d’existence après l’usure physique et mentale du travail tarifé (non pas un « droit » à quémander, mais un « dû » à partager). Et, partant de là, on comprend mieux que la fixette sur les régimes spéciaux (ne visant que 4 ou 5% des futurs retraités) est censée faire avaler la pilule amère d’un « système universel à points », où les perdants se compteront par millions (dans l’éducation nationale ou le monde hospitalier, entre autres), étant donnée la ligne rouge des 14% du PIB à ne pas dépasser. À dépense totale plafonnée et démographie vieillissante, on a bien saisi que l’âge-pivot ne va cesser de reculer et que le point d’indice, à l’occasion d’un secousse boursière comme en Suède en 2008, sera bientôt renégocié à pas cher (« Un cran de moins, serrez-vous la ceinture, faut boucler le budget. »). Et pour échapper à ces décotes, le solution est toute trouvée, on n’aura qu’à souscrire à une complémentaire privée, pour abonder la bulle spéculative d’un fonds de pension, jusqu’à la ruine hypothétique du prochain crash mondialisé.
En attendant, les cheminot(e)s chauffeur(e)s de bus auront porté le chapeau (ou le chiffon rouge des sorcières) d’une arnaque sophistique de grande envergure. Car ce qu’il fallait désamorcer, c’était l’hypothèse contraire : adapter le fonds de péréquation des retraites pour compenser le vrai « empilement inéquitable », celui des nouvelles formes de l’emploi précaire. Ce qu’il fallait empêcher, c’est qu’on tienne vraiment compte de la disparité salariale entre hommes et femmes (y compris en milieu agricole), de la discontinuité de l’emploi (périodes de chômage, de stage perpétuel ou de formation par intermittence), de l’ubérisation a-contracutelle (auto-entrepreneurs, démissionnaires, saisonniers, etc.) et des nouveaux types de pénibilité posturale (station assise face à un écran ou station debout pour les vigiles…) et psychique (sous injonction à l’hyperactivité sans limite horaire).
AGENDA TACTIQUE — Pour saisir les arrière-pensées gouvernementales du projet d’individualisation low cost des retraites, il faut revenir sur quelques décisions antérieures. La première concerne le « Compte pénibilité » dans le privé – système (déjà) « à points » et maigre concession faite à la CFDT sous l’ère Hollande –, conçu comme une usine à gaz bureaucratique vite devenue inapplicable dans les faits. Or, le premier geste du pouvoir macronien aura bien été de détricoter les critères pris en compte et permettant – au cas par cas hélas, et non par branche entière d’activité – de partir à la retraite plus tôt. Ainsi, dès juillet 2017, un projet de « réforme » est édicté en toute hâte, qui va ôter 4 des motifs majeurs de pénibilité : manutentions de charges lourdes, fatigues posturales, vibrations mécaniques et risques chimiques ( !). Là où il aurait été urgent d’inventorier les risques induits par la mutation des secteurs d’activité, par la révolution bureautique ou par l’intrusion dans l’espace privé de la pression managériale, on a préféré réduire un peu plus la prévention des maladies professionnelles. Pire encore, outre l’évidence de la brutalisation laborieuse et de ses séquelles corporelles, on a empêché surtout que les effets secondaires psychiques fassent partie du lot. Une expression commode suffit à rejeter le problème hors champ : burn out, (un truc lié au stress négatif, faut juste apprendre à positiver, comme dirait un DRH de Carrefour).
Au nom d’un aveuglement cynique maquillé en pragmatisme, ni la tendinite chronique des caissières, ni les fractures à répétition des livreurs à vélo (auto-accidentés de leur propre chef), ni la télé-dépression des standardistes en call-centers n’auront ainsi droit à la moindre reconnaissance. Que ces jeunes soutier(e)s de la StartUp Nation continuent à pointer 42 ans durant! Pour elles et eux, pas question de passe-droit, assez de nantis comme ça. Sur la ligne d’arrivée, certains seront premiers de cordée, d’autres perclus de vertige, lâchés à mi-chemin ou pendus tout court, c’est le challenge des plus fortiches, point/barre. Aux yeux des killer-cost bien-nés et des arrivistes résilients qui nous gouvernent, les innombrables dommages causés par le boulot ont beau être scarifiants et taraudants, tout ça n’a pas plus d’existence comptable qu’un suicidé de la Poste « pour des raisons personnelles » ou un « malheureux » étudiant à bout de sous & exploité précaire s’immolant devant un Crous lyonnais.
Avant la grande loterie de « l’égalité des destins » (dite « retraite à points »), il fallait aussi imposer la réforme de l’assurance chômage, engagée dès 2018 et entrée en application le mois dernier. Une fois de plus, la méthode consistait à dénoncer une minorité de « faux chômeurs » voués au pilori depuis la fin des années 70 (dixit Raymond Barre, puis Michel Charasse, etc.). Sus aux fraudeurs donc, même si, comme pour les minimas sociaux, ils sont dix fois moins nombreux que les non-recourants (un tiers pour le RSA) ou les non-indemnisés (la moitié des inscrits au chomdu). Ayant focalisé sur les profiteurs pauvres (et non l’inverse, ces pauvres contraints à la débrouille), on a entravé l’accès des précaires à Pôle Emploi (en rehaussant le plancher d’heures effectuées sur une période plus longue) et baissé l’allocation de plusieurs centaines d’euros pour près d’un million d’autres. Autant de personnes flirtant avec le seuil de pauvreté qui verront donc leurs « points-retraite » sucrés d’avance, mais l’entourloupe est alors passée inaperçue, faute de combattants dans la rue. C’était toujours ça de gagné du point de vue des contrôleurs de gestion étatiques. Pour faire avaler ce plat de couleuvres, il a suffi de promettre aux indépendants et démissionnaires quelques compensations, sauf que, comme dans les jeux-concours, les conditions subsidiaires requises ne permettront qu’à 60 000 rares chanceux d’en bénéficier(après examen de leur « projet »). Les effets d’annonce du « en même temps » ont un sens de l’équité purement verbal, au mépris des quantités négligeables sacrifiés sur les plateaux de la balance : d’un côté quelques heureux winers, de l’autre la lourde tare des ratés. Ainsi va la roue de l’infortune sociale.
Ultime tour de passe-passe, la non-compensation par l’État de nombreux allègements de cotisation (dont celle sur les heures supplémentaires, la suppression partielle du forfait social ou de la hausse de la CSG) produit mécaniquement un probable déficit pour le Fonds de retraite d’ici 2025. Il a suffi de faire publier cette alarmante nouvelle par un Conseil d’orientation à quelques jours des ultimes arbitrages pour justifier un ultime mot d’ordre : « Nous allons devoir travailler plus longtemps. » (Edouard Philippe). Ce n’est là qu’une variante de la « stratégie du choc » étudiée par Naomi Klein, le chantage au trou-dans-les-caisses à l’adresse de qui voudrait s’accrocher à ses annuités déjà trimées pour mettre les bouts : ce ne sont là que de mauvais parents qui voudraient se la couler douce sur le dos de leur marmaille. Bref, d’irresponsables dettes-à-claques, sinon d’ogresques infanticides! Pour peu, on leur enlèverait la garde de leur progéniture pour placer ces abusés économiques à la Ddass.
Sauf que l’argutie démographique tombe plutôt mal. À en croire les derniers chiffres de la Drees (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) pour la population française, l’espérance de vie en bonne santé s’établit à 63,4 ans pour les hommes et 64,5 pour les femmes. Repousser l’âge-pivot à 64 ans, revient donc à repousser l’heure du farniente dans les limbes, comme pour antiphraser la chanson de Moustaki : « Nous avons tout la vie pour nous exténuer, nous aurons toute la mort pour nous reposer. » Enfin pas tout à fait, « selon que vous serez puissant ou misérable », vous aurez de 5 à 10 ans de rab’. Et à ce fossé vital entre seniors rentiers ou trop tôt usinés, entre vieux à la cool et épuisés précoces, entre bêtes à concours et bêtes de somme, nulle contrepartie, ce ne sera « point » à la retraite de le combler. Alors, en attendant de nous mettre en arrêt-maladie illimité, pour dessiner des ronds-points au coin de chaque rue, grèvons haut et fort au moins jusqu’au réveillon de l’an prochain…
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25 novembre 2019
Images arrêtées & idées fixes :
Pierre… Feuille… Ciseaux…
Trombinoscope des finalistes ex aequo
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14 octobre 2019
Nouveau récapitulatif automnal :
six mois d’inscriptions murales.
Sale coup pour la sempiternelle convergence des buts (sinon des luttes), on a vu la semaine dernière les gentils organisateurs d’Extinction/Rébellion s’ingénier à effacer à l’acétone tags et graffitis sur le Pont au Change occupé, près du Châtelet. Comme s’il leur fallait tout à la fois scénographier la désobéissance collective et en faire disparaître toute trace de contamination textuelle, hors la marque déposée de leur logo.
Il ne s’agit en rien de moquer le sincère élan des mobilisés de base de ce mouvement, mais d’interroger les modalités de ce nouveau management militant, singeant les pires rigidités du fonctionnement entrepreneurial, l’opacité de son organigramme, la consensus participatif de ses AG et l’affichage obsessionnel de son très corporate logo.
On aura beau avoir quelques doutes sur la routine hebdomadaire des Gilets Jaunes qui, face à la dissuasion militarisée du pouvoir en place, finit par faire tourner toute révolte en rond, mais ces errements ont au moins quelque chose de familier, ça ressemble aux cercles parfois vicieux de nos propres envies : pas si fastoche de détruire ce qui nous détruit ? Il n’est pas de solution toute faite, unanime, prémâchée. Pourtant, en cours de route (et de déroute relative), le mouvement des JG aura inventé une forme d’expression textuelle inédite : des bribes de sens plein les dos, un désordre de mots improvisés au marqueur noir sur jaune, entre customisation de cartables chez les ados, fabrication de banderoles individuelles et détournement des griffes du prêt-à-porter par un auto-graffitisme sauvage.
Et si l’on juge la puissance d’une lutte à sa capacité à détourner les médiums établis, à créer de toutes pièces une esthétique inédite et à préserver une hétérogénéité discordante dans ses messages, disons que les JG ont fait bouger les lignes de l’action verbale collective – tout comme les colleuses de stèles in memoriam des victimes de féminicides –, tandis qu’Extinction/Rebellion, se contente de poursuivre la logique publicitaire marchande par d’autres moyens, singeant de vieilles recettes de propagande (inventées par l’ultra-libéral Edward Bernays aux USA), ce qui n’est pas très bon signe.
Ceci dit, j’en reviens aux usages infra-ordinaires du graffiti textuel qui continue son bonhomme de chemin, malgré la chape de plomb gentry-chiante des milieux urbains. Pour preuve, quelques extraits de ma collecte depuis avril dernier.
Que l’effondrement
Rapproche les amours
qui se perdent…
Saint-Denis, rue Ambroise Croizat, bombage, 27 avril 19
Si ton corps
pouvait parler
Qu’est-ce qu’il
dirait ?
Paris II, rue Greneta, pochoir, 27 avril 19
TANDIS QUE
LES FORÊTS
SE CHANGENT
EN HOLOGRAMME
Québec, pochoir, 30 avril 19
L’oiseau ne chante plus
Quand les cartouches sifflent
Marseille, bombage, 2 mai 19
Je t’aime
Ou…
QQch qui ressemble
au même champ lexical
Montréal, 8 mai 19
Vivre en France
vous coûtera
un bras, vous plaindre…
UN ŒIL !
Lyon, quai sous pont Pasteur, bombage, 10 mai 19
POSE
TON
LUNDI
Paris XI, rue Rochebrune, doigt sur vitrine sale, mi-mai 19
tous les nuits
je fume du cannabis
maman
Alger, Beb Ezzouar, bombage, mi-mai 19
NIQUE PAS
TA MER
Paris VI, bd Saint-Michel, mi-mai 19
Ceci est une
société en phase
terminale
Lyon 5, place des Minimes, panneau électoral, mi-mai 19
au chaud, au bistrot
Strasbourg, bombage, mi-mai 19
Je ne veux pas des choses,
je veux des moments
Nice, mi-mai 19
Ulysse,
reviens !
pénélope
Paris VI, quai de Conti, mi-mai 19
rester
extra
ordinaire
Paris XII, passage Abel Leblanc, bombage mi-mai 19
LES OURS ILS ONT
PÔ-LAIRE D’ALLEZ BIEN
Nantes, craie, mi-mai 19
toujours et à jamais
se roulent des
pelles depuis l’éternité
Paris XI, bd de Ménilmontant, blanco, mi-mai 19
MON DENTIER
EST UN CACTUS
Grenoble, rue Aimé Berey, bombage, 17 mai 19
AUGMENTONS
LE GOÛT
DE LA VIE
Paris XIX, place des Fêtes, 18 mai 19
Cî-gît
Je t’aime
Nantes, mi-mai 19
Le Monde est higher
Paris XX, rue de la Duée, craie, 22 mai 19
jsuis pas inspirée
Montréal, plateau Mont-Royal, bombage, 22 mai 19
Siamo Tutti
pour les pissentlits
Nantes, bombage, 25 mai 19
– d’Amazon
+ d’Amazonie
Paris XX, passage de Pékin, 27 mai 19
LIBEREZ les murs
Nanterre, fac, bombage, 28 mai 19
J’en ai marre d’aimer
des mecs pas aimables…
Marseille, rue des Belles Écuelles, 3 juin 19
Boulot
Mc’Do
Porno ?
Caen, bombage, 9 juin 19
En réalité parfois je rêve !
Marseille, rue des Mauvestis, 10 juin 19
le gouvernement
se fait Kafka
dessus
Montpellier, bd Victor HJugo, 11 juin 19
il y a mystère
dans l’horizon
Paris VI, quai Malaquais, bombage, 13 juin 19
Espèce d’atypique
Lyon, Croix-Rousse, collage papier, mi-juin 19
La police a mauvais caractère
Paris XI, passage de l’Asile, collage papier, mi-juin 19
JACQUES
RIGAUT
IS ALIVE
Paris VI, rue Crébillon, doigt sur vitrine sale, 24 juin 19
Ni dieu (du stade)
Ni maître (de stage)
La Rochelle, bombage, 29 juin 19
THIS IS
NOT A LOVE
MESSAGE
Paris X, rue Taylor, bombage, 30 juin 19
TERRORISTES
BIENVEILLANTS
Lorient, place Artstide Briand, pochoir, 1er juillet 19
écoute
ta mère
Paris X, rue des Petites Écuries, bombage, 9 juillet 19
Viens on s’apprend
Marseille, bombage, 13 juillet 19
le détail fait vivre
Lausanne, bombage, mi-juillet 19
Ma couleur
préféré
est le
transparent
Douarnenez, rue Jean Jaurès, mi-juillet 19
La police nous prothèse
Saint-Vincent-d-Tyrosse, près de la gare,
bombage, mi juillet 19
10% du peuple est sobre
les autres sont sur la planète mars
Algérie, Jijel, bombage, 26 juillet 19
Prière de tout déranger
Lisbonne, bombage, 4 août 19
J’passe ma vie à la foutre en l’air
Paris XX, 21 août 19
ALAIN JUPPÉ
EXISTE
VRAIMENT
Bordeaux, près Mairie, 22 août 19
T’ES PAS LIBRE
T’ES JUSTE EN
VACANCES
Nantes, sur poubelle, 29 août 19
I HAVE NO WORDS
Paris XIX, rue des Alouettes, 29 août 19
MOINS DE COSTARDS
PLUS DE HOMARDS
Nantes, bombage, 16 septembre 19
Si tu n’as pas
d’amant
do it
youself
Paris XVIII, rue Paul Albert, craie
sur trottoir, 24 septembre 19
Tes yeux sont comme l’État
ni justice ni paix ni égalité
Sétif, Cité des 300 logements, bombage, 4 octobre 19
En attendant la suite de cette collecte, j’ai rassemblé ces doléances murales, et bien d’autres, dans un volume deux à Tiens, ils ont repeint! Il est téléchargeable ici même en pdf.
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27 août 2019
Images arrêtées & idées fixes —
Photomanies, deuxième série [2].
Il y a quatre ans, Fabienne Pavia publiait au Bec en l’air un recueil des mes lubies photomaniaques selon un principe élémentaire : mettre en regard, selon des affinités perceptives, deux images, en laissant jouer ces correspondances, sans blabla parasite. Via l’ascèse verbale de ces accouplements élémentaire, il s’agissait de me fier à la libre association des idées fixes ou des assonances, visuelles, mais en faisant cette fois l’économie d’une quelconque paraphrase hors champ. Laisser ces natures mortes s’impliciter, même si ce verbe pronominal, d’après le dico, n’a pas l’air d’exister.
Une fois le bouquin sorti en librairie, j’ai provisoirement cessé de chasser le moindre détail papillonnant aux alentours, d’en épingler les cadavres exquis, bref de prendre quoi que ce soit en photo. L’envie retrouvée de laisser filer le réel, sans vouloir aussitôt en capter le mystère au vol, même si une autre lubie — la collecte des graffiti textuels —, m’obligeait encore à garder des traces, via mon téléphone portable cette fois. Et dans les marges de cette traque épisodique, entre deux inscriptions murales, m’est revenu le goût du déclic urbain. Sauf qu’entre-temps, je me suis essayé à un autre format, aussi carré qu’un coup de dés hasardeux, pour échapper à l’éternel dilemme du smartphone, saisir l’horizon en grande largeur ou en étroite hauteur. Et voilà que cette révolution géométrique – une fenêtre sur le monde aux quatre côtés égaux –, a changé la donne et renouvelé le désir d’en agencer, sans commentaire, quelques bribes. D’où le petit panorama, ci-dessous, de mes visions estivales.
Pour jeter un coup d’œil sur la maquette provisoire du deuxième volume de Photomanies, cliquez ici même.
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