27 mai 2019
Images arrêtées & idées fixes —
Quelques stèles hors cimetière…
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Parmi d’autres chantiers textuels, il y a ce petit opuscule : Pseudo-Dico, idiot & logique, qui s’épaissit au fur à mesure, sans régularité ni but précis, juste me sortir de la tête cette manie précoce : mettre chaque mot en porte-à-faux, le faire dévier de sa définition routinière pour le trahir au pied de la lettre ou l’exposer à ses dépens cul par-dessus tête.
Dans sa «pseudo-intro», j’ai essayé de revenir sur le «Comment du pourquoi » de ce projet qui hésite entre le goût du fautif et la faute de goût.
« […] Seul défi minimal, commenter chaque mot par association d’idées, esprit de conflagration, étymologie intuitive, amalgame accidentel, contresens inopiné, déduction analogique, méprise significative, sinon par défaut mineur ou faute d’étourderie. Et surtout, lâcher la bride, perdre contrôle, laisser sortir les bouts d’énoncé à l’oreille, faire confiance aux courts-circuits intérieurs, aux paradoxes venus d’ailleurs. Projet impur et simple, trivial et mégalo. D’où son sous-titre – idiot & logique – qui me revient de loin, l’éternel adolescent jamais lassé de singer les sapiences de l’homo academicus, avec force grimaces et effets de manches. […]
Mon principe de base: mettre en relief des hiatus poétiques. J’ai dû croiser cette drôle d’intuition entre 15 et 16 ans, à force de dévorer du Nietzsche en n’y comprenant qu’une ligne sur trois, puis en laissant décanter ma lecture d’alors. Et j’y suis encore fidèle, à ma façon bâtarde. Une fois détrôné le surmoi littéraire, tout redevient permis: métaphores bancales, alexandrins boiteux, citation détournée, faux amis volontaires, coq-à-l’âne ou amalgame abusifs. Ça passe ou ça lasse, peu importe.
Bien sûr, j’aurais pu faire le tri au départ, chasser la blague facile, neutraliser le calembour dérisoire, ne garder que le meilleur du début à la fin. Mais quand on vide son sac de vocabulaire, il vous passe de drôles de couacs par les méninges, et c’est souvent d’assez mauvais goût, entre autres foutaises et débilités. J’aurais pu me cacher derrière mon petit doigt d’auteur, mais l’idiotie a sa logique implacable.»
On pourra feuilleter le glossaire entier, c’est ici même.
Sinon, pour se faire une vague idée de ces words in regress,
un bref aperçu de leur définition alternative ci-dessous.
AVC : rupture de la chaîne du moi.
BLA-BLA-BLA : polyphonie morse.
CADAVRE : zéro déchet à part soi-même.
DIGRESSION : thèse, antithèse, parenthèse.
ÉVANOUISSEMENT : entrée par effraction intérieure dans le hors champ des réalités communes.
FACE-BOOK : affichage sériel d’amitiés si peu particulières (voir Look-émissaire & Anthropométrie).
GRAIN DE BEAUTÉ : signe de piste érotique ; point de suspension en braille.
HOLD-UP : franglish, retour à la caisse départ.
IMPUISSANCE MASCULINE : bas-latin, coïto ego scum.
JEMENFOUTISTE : indécis heureux.
KAMA SUTRA : littérature à massages.
LECTEUR : évadé de l’intérieur parti se captiver ailleurs.
MENDIGOT : ancien. Mendigoth, peuplade barbaresque vaincue puis reniée par ses cousins germains Wisigoths et Ostrogoths.
NEURASTHÉNIE : « Tout ce qui ne te tue pas te rend plus mort », graffiti nietzschéen apocryphe, aperçu à Turin le 25 août 2000, sans doute pour célébrer le centième anniversaire de la mort du susdit philosophe.
ODYSSÉE : Ulysse en Personne qui revient au même.
PARANOÏA (stade critique de la) : toutes les news sont fake, mais c’est une fake news qui le dit.
QUARANTAINE : psycho. maritime, sas d’isolement sanitaire avant la cinquantaine.
REGRET : passe-temps pour morts-vivants
SÉNILITÉ : tête dans le ressac.
TESTAMENT : phrases terminales (Cf. Legs it be, reprise posthume d’un standard des Beatles).
VEGAN : espèce d’anti-spéciste.
ZEUGMA : esprit de synthèse, de famille, d’escalier et d’autres circonstances dépareillées.
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Débat numérique à cocher en quelques clics, tournée du One-Macron-Show délocalisé plus près de chez vous, requiem caritatif pour feu la charpente de Notre-Dame et enfin cours magistral élyséen sur « l’art d’être français ». Si ces techniques de diversion n’ont pas enfumé grand monde, elles auront du moins permis au Pouvoir en place de prouver par l’absurde que tout recours à la démocratie directe est une perte de temps, un arbre à palabres qui cache la forêt des petits intérêts égoïstes, un fatras de doléances dont les mots-clefs débouchent sur un non-sens commun : « moins d’impôts et plus de service public ». C’était prévisible : à questions fermées, réponses téléguidées. Le message implicite était de dématérialiser, dénaturer, déraciner le désir d’Agora Généralisée qui, informellement, passait déjà à l’acte d’un rond-point à l’autre. Alors comment faire cesser ce joyeux bordel et faire taire ces « Gaulois réfractaires » ? Au moyen d’un grossier simulacre participatif, il s’agissait de démontrer l’inconséquence atavique du populo, puisque dès qu’on lui cède un ersatz de parole collective, il s’enferre dans ses contradictions, il aspire à n’importe quoi et son contraire, bref il voudrait toujours plus de beurre, mais sans le financer par son labeur.
Quant aux « gilets jaunes », après avoir détruit leurs cabanes, de peur qu’il ZADifient chaque carrefour en rase campagne, on les a soumis samedi après samedi aux flux tendus de l’expérimentation répressive (fouilles préventives de masse, nasses systématiques, canons à eau & tanks, usage exponentiel de LBD 40 & de grenades dernier cri, brigades motorisées ou cynophiles, groupes mobiles de civils encagoulés, garde à vue extensibles à volonté et condamnations à la chaine). Pourtant, rien n’y a fait, six mois plus tard, cette stratégie de la tension a beau avoir été appliquée avec un zèle inédit, ça n’a pas tué le « péril jaune » dans l’œuf, juste dissuadé les sympathisants par millions de se joindre aux cortèges hebdomadaires. Et d’un autre côté, ça aurait même eu tendance à solidariser plusieurs dizaines de milliers de trublions, qu’on a dans un premier temps tenté de mettre en conflit avec les marcheurs du climat, sans succès, puis sommé d’avouer leur vraie nature : des « idiots utiles » de l’extrême droite, sinon d’immondes bestiaux porteurs de la peste brune. Encore raté
Faut dire, la ficelle était un peu grosse : en se proclamant dernier rempart face aux foules « lyncheuses » du national-populisme, les gouvernants ont surtout pris leurs désirs pour la réalité, et révélé leur propre vision complotiste du corps social, cherchant à réduire toute émotion populaire à une forme de putschisme « illibéral », une conjuration d’ennemis intérieurs des libertés démocratiques. Au risque, selon cette politique du pire, abusant du monopole de la violence légitime, d’enfanter des monstres : parmi les forces de l’ordre surtout (dont la fascisation routinière va laisser des traces durables), mais aussi chez les irréductibles d’en face, voués à une surenchère défensive auto-ritualisée, si commode à criminaliser, mutiler, embastiller, tandis qu’une mise en avant médiatique de porte-paroles douteux masquait les inventivités locales, les vrais cahiers de doléances ou les motions transversales des assemblées de Commercy ou de Saint-Nazaire.
Six mois d’enfumage sémantique et lacrymogène, donc, à seule fin de maintenir le cap d’un néo-management d’Etat – résolu à investir les rares espaces non marchands et à éradiquer la gratuité déjà résiduelle des services publics par ubérisation, privatisation rampante et mise en concurrence déloyale. Et comme dans le contexte actuel – où le feu couve encore sous les cendres – les décideurs énarchiques ont intérêt à ne pas vendre la mèche – la défense mordicus d’une infime minorité d’actionnaires –, ils ont empruntéau corpus idéologique d’extrême droite son leurre habituel : stigmatiser les « derniers de cordée », ces profiteurs du chômage, ces addicts des minimas sociaux et autres migrants clandestins (en taisant bien sûr que ces boucs émissaires sont pour la plupart des working poors, surexploités au noir ou à temps très partiel). Et comme lot consolatoire aux « inclus » du corps électoral – le seul qui intéresse nos élus –, on a balancé un os à ronger aux salariés & retraités méritants, du moment qu’il acceptent de bosser plus longtemps pour la Start-Up Nation. Et voilà, la boucle devrait ainsi être bouclée : « Françaises, Français, encore un effort…» pour serrer la ceinture autour du cou de vos faux-frères de galère, ces « nantis » du bas de l’échelle.
Rien ne dit qu’une telle arnaque intellectuelle, usée jusqu’à la corde depuis quarante ans d’alternance gestionnaire, arrive une nouvelle fois à ses fins, notre silence résigné. Parmi toutes les façons de déjouer ce coup de bluff présidentiel, il en une qui, très modestement, fait contre-feu aux leurres des discours officiels, les graffiti qui se muent ces derniers temps en doléances murales. Leur poésie subversive en dit souvent plus long que bien des discours, éclairés ou crépusculaires, des leaders auto-proclamés du mouvement.
J’avais une citation de KANT
mais je l’ai oubliée
Paris VIII, rue de Miromesnil, 24 décembre 18
Moins de Rois
Plus de galettes
Rouen, bombage, 5 janvier 19
PLUS CHOU QUE SCHLAG
Paris XI, av. Ledru-Rollin, craie, 6 janvier 19
Décrocher la thune
Paris XX, bombage, 9 janvier 19
on veut du beurre
dans les épinards
Nantes, fac, bombage, 16 janvier 19
TOUT LE MONDE
DÉTESTE
LE BEURRE DOUX
Douarnenez, bombage, 16 janvier 19
La solitude
rend secret
Paris XIX, Belleville, 21 janvier 19
J’AVAIS
D’BEAUX
YEUX
tu sais…
Toulouse, bombage, 21 janvier 19
Piétiner les
certitudes !
Nantes, bombage, 25 janvier 19
La semaine des 7 samedis VITE
Paris XI, près République, 26 janvier 19
A vous les Monuments
A nous L’histoire
Alger, Chevalley, bombage, 28 janvier 19
ENFANTILLAGES
ET
ADULTÈRES
Paris XX, Père-Lachaise, blanco, 28 janvier 19
VOUS REPRENDREZ
BIEN UN PEU
DE GLYPHOSATE ?
Bordeaux, bombage, 30 janvier 19
FINI DE
PERDRE
Saint-Étienne, 4 février 19
Il y a ceux qui
lisent Houellebecq
et ceux qui se révoltent
HOMO ECONOMICUS
VIVEMENT L’EXTINCTION !
Paris VII, bd Saint-Germain, bombage, 9 février 19
Rien ne ruisselle,
pourtant, tout s’effondre…
Grenoble, Arts et Métiers, bombage, 9 février 19
VIVE
LA
SIESTE
Lille, craie, 11 février 19
trust Zombies
Paris VII, rue Allent, 11 février 19
Etat mère ?
Toulouse, 11 février 19
Bienvenue nulle part
Nantes, fac, bombage, 12 février 19
MAIS
LE SOLEIL
NE LA VOIT
PAS
Paris XX, rue Laurence Savart,
pinceau sur trottoir, mi-février 19
la liberté, des pas s’ensuivent
Arles, rue des Carmes, craie, 16 février 19
borgne
to be
free
Rennes, bombage, 16 février 19
demain est un autre toujours
Paris III, rue des Quatre Fils, craie, 16 février 19
MASTURBATION
AUTOGESTION
Lyon, Croix-Rousse, bombage, 19 février 19
Attention !
les particules
mystiques nous
envahissent !
Porto, 20 février 19
EVACUATION
d’une latente
procrastination
Marseille, pochoir, 22 février 19
Mieux vaut une paire de mères
qu’un père de merde
Paris XIII, fac Tolbiac, 27 février 19
SEUL LE RHUM
Doit faire monter la
TEMPÉRATURE
Nantes, fac, craie sur macadam, 1er mars
L’ARGENT EST UNE UTOPIE QUI
A FAIT EXCEPTION
Montreuil, rue du Capitaine Dreyfus, 3 mars 19
FRANZ FANON
FRANZ KAFKA
FRANZ KOULTOUR
Paris V, rue Censier, bombage, 9 mars 19
acheter
pour
remplir
sa vide
Nantes, bombage, 9 mars 19
L’ETAT EST UN ETAT
LENTEMENT LETAL
Angoulême, près Musée du Papier, pinceau, 8 mars 19
le monde brûle,
Tu penses à tes notes
Paris V, rue de la Sorbonne, mi-mars 19
Une chaine reste
une chaine même en or
Alger, Birkhadem, bombage, mi-mars 19
Nous sommes
des
Pacificasseurs !!
Paris VIII, av. des Champs-Élysées, bombage, 16 mars 19
TU
MENDIRAS
TANT
Paris XI, 20 mars 19
Dieu est
ATHÉE
Paris XIX, bombage, 23 mars 19
Les sentiments sont
étrangers à la
pensée académique
Nantes, fac, bât. Censive, amphi 2, 27 mars 19
A cause que !
Lille, 29 mars 19
LES PATRONS
C’EST UTILE
Poisson d’Avril
Paris XX, rue Boyer, 1er avril
IMAKULÉ
Paris IX, rue de Bellefond, sur mur repeint, 5 avril 19
Nique les Papa
Paris IX, rue du Fg Poissonnière, 6 avril 19
LA VIE EST UNE
COPRODUCTION
Montréal, Hochelaga, bombage, 20 avril 19
ON EST
EN CORPS LÀ
Toulouse, bombage, 13 avril 19
WHEN I’M SOULE
U ARE MY SOUL
Paris XI, rue Jean-Pierre Timbaud, mi-avril 19
Suis-je un peintre réaliste
si j’fais une nature morte ?
Marseille, mi-avril 19
j’en ai marre
Alger, El-Harrach, bombage, 19 avril 19
MACRON
NOTRE DRAME
DES PAS RICHES
Toulouse, bombage, 20 avril 19
Cette histoire
manque de
Montréal, Hochelaga, bombage, 20 avril 19
Demain il
fera jouir
Lyon, Croix-Rousse, bombage, 23 avril 19
Plus de bourgeons, moins de bourgeois
Dijon, bombage, 24 avril 19
En attendant la suite de cette collecte, j’ai rassemblé ces doléances murales, et bien d’autres, dans un volume deux à Tiens, ils ont repeint! Il est téléchargeable en ligne ici même en pdf.
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Il y a quatre ans, Fabienne Pavia publiait au Bec en l’air un recueil des mes lubies photographiques selon un principe élémentaire : mettre en regard, selon des affinités perceptives, deux images, en laissant jouer ces correspondances sans commentaire parasite. Pour moi, ce fut un exercice d’ascèse verbale, des matinées entières passées à expérimenter des accouplements visuels, paire par paire conçues d’évidence, parfois déconstruites sur le tard puis réagencées selon d’autres hasards objectifs, et ainsi de suite, jusqu’à épuisement des combinaisons possibles. Pour l’essentiel, dans cette marqueterie binaire, il s’agissait de me fier à la libre association poétique des idées ou des assonances, mais en faisant cette fois l’économie de tous les signes d’ordre langagier.
D’où l’objectif de ma méthode : s’impliciter. Même si ce mot, d’après les dictionnaires, n’a pas l’air d’exister.
Une fois le bouquin sorti en librairie, j’ai aimé voir les gens le feuilleter à rebours ou par n’importe quel bout, faisant halte sur telle double-page et lui prêtant une attention particulière, accompagnée parfois d’un sourire complice. Ce qui m’a amplement suffi, puisqu’il ne s’agissait pas de me proclamer expert en cadrage ou en mise au point, mais de partager avec des inconnus quelques visions de monde coïncidentes. Ensuite, j’ai cru perdre la vue, ou pour le dire moins abruptement, j’ai perdu l’envie de chasser les papillons accidentels de la réalité et d’en épingler les cadavres exquis, bref de prendre quoi que ce soit en photo. J’ai peu à peu délaissé l’habitude d’avoir toujours dans la poche un petit appareil numérique, et retrouvé la liberté de laisser filer le réel, sans vouloir aussitôt en capter le mystère au vol. Sauf que qu’une autre lubie, celle des graffiti, m’obligeait encore à garder des traces, via mon téléphone portable cette fois. Et dans les marges de cette traque épisodique, entre deux inscriptions murales immortalisées, m’est revenu le goût du déclic urbain. Entre-temps, je m’étais essayé à un autre format, le carré parfait, pour trancher l’éternel dilemme du smartphone, saisir la scène en largeur ou en hauteur. Et voilà que cette variante géométrique – une fenêtre sur le monde aux quatre côtés égaux –, a changé la donne depuis quelques mois et renouvelé le désir d’en exposer ici quelques bribes…
Et d’en ébaucher une première maquette provisoire ici même.
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Les premiers Souviens-moi sont nés à l’automne 2011 sur pensebete.archyves.net, déposés comme à tâtons sur mon pense-bête, puis collationnés en un semblant de volume sur le site, dans l’incertitude d’une suite livresque à donner… ou pas. Et puis la série s’est mise à prendre consistance, rendez-vous d’évidence avec d’intimes sédimentations, perdurant bien au-delà du pari stupide de sa contrainte initiale : entamer chaque début de phrase par «De ne pas oublier…» – ce qui n’est pas une mince affaire syntaxique. Cette dénégation liminaire m’a sans doute aidé à accepter le piège inquisitoire de l’aparté, cette confidence en circuit-fermé, soudain mise à nu, hors de soi, sans plus aucun masque de fiction.
Et voilà que ça m’a repris un an ou deux après la sortie du livre en 2014, quelques oublis marquants remontés à la surface, des Souviens-moi qui manquaient à l’appel, par-ci par-là. Ravivements de braises éphémères, petites lueurs mentales, vite retombées en sommeil, sans lendemain ni goût envie de risquer l’auto-parodie. Sauf qu’à la longue, remis bout à bout, ça redessinait quelque chose en pointillé, la radiographie d’autres dents creuses excédentaires. Un nouveau rébus de rebuts.
Alors, plutôt que les laisser en friche, déshérence ou lévitation, autant les mettre en partage là où tout a commencé, sur pensebete.archyves.net, non pour préméditer une quelconque réédition augmentée, juste pour laisser ce chantier entr’ouvert et quelques raies de lumière sortir de ma boîte noire mémorielle sans chercher à prévoir ou post-méditer, comme au tout premier jour, ce qu’il en adviendra…
De ne pas oublier que j’ai longtemps confondu la Belle au bois dormant et Blanche Neige, l’amont et l’aval, roboratif et bourratif, l’abscisse et l’ordonnée, rutabaga et topinambour, automne et printemps, et qu’il m’arrive encore de confondre sur un arbre généalogique cousin et neveu, ou sur un relevé bancaire débit et crédit, ou en marche arrière automobile la gauche et la droite, de même que sur la scène d’un théâtre côté cour et côté jardin, ou en terme de navigation bâbord et tribord, ces pertes de repères reconduisant une propension enfantine à la libre association des contraires.
De ne pas oublier que, du temps où abondaient les cinémas classés X, parmi les films porno dont je collectionnais mentalement les titres en sortant du collège, il m’en est resté un – Fermeture pour travelo –, dont je me demande s’il a réellement existé ou s’il s’agit d’un commentaire graffité sur le rideau de fer, au terme des années 70, après la faillite en série de ces salles obscures.
De ne pas oublier que, pour nourrir au plus près du réel un roman en cours d’écriture, j’avais arraché quelques pages du cahier dévolu, dans l’église Notre-Dame-de-Lorette, aux intentions de prières à Sainte-Rita, et que, ni fier ni honteux de cette profanation, chaque fois que le hasard me conduit à passer dans les environs en scooter, il me revient à l’esprit des bribes de vœux dont ces deux-ci : Seigneur, enlève-moi le mal dans ma tête et j’espère que à bientôt, dont je me sens tenu de porter les désespérants messages quelques centaines de mètres plus loin, en continuant ma route jusqu’au carrefour suivant, rarement au-delà.
De ne pas oublier que, suite à une panne de voiture, ayant échoué avec un couple d’amis à Gaeta, une ville portuaire au sud de Rome, puis erré en pleine nuit le long des hauts portails d’un quartier résidentiel, leur fils d’à peine 6 ans, Arthur, effrayé par les aboiements pavloviens d’un molosse aux aguets de l’autre côté de la grille l’avait mis en fuite en le traitant d’une voix nette et sans réplique de «Fasciste!»
De ne pas oublier que je n’ai jamais connu à mes parents qu’une seule voiture: une 4CV gris souris dont la production à l’usine de Renault Billancourt avait cessé l’année précédant ma naissance, avec son moteur à l’arrière et une roue de secours qui occupait une bonne partie du coffre avant, véhicule devenu totalement folklorique à la fin des années 70 et qu’il fallait parfois démarrer à la manivelle, tâche qui m’incombait désormais et provoquait aussitôt un attroupement de piétons hilares qui finissaient, pour ma plus grande honte, par m’applaudir au premier vrombrissement du moteur.
De ne pas oublier les affiches qui, en ce printemps 1975, recouvraient les murs de mon quartier, alignant comme sur des étagères trois fois trois têtes au cou tranché, avec écrit en énorme caractères rouge sang: 60 ANS D’INJUSTICE, et en sous-titre: 1915, les Turcs exterminent un million et demi d’arméniens, vision d’horreur qui succédait à ma visite en famille, l’été précédent, de l’Ossuaire de Douaumont, où j’avais traversé une cave voûtée dont les parois étaient jonchés de crânes humains, ceux des milliers de soldats inconnus exhumés dans la campagne environnante depuis 1918, et dont «personne ne [savait] s’ils [étaient] Français ou Allemands», selon la réponse de la guide à mon insistante curiosité.
De ne pas oublier que l’inséparable ami de mon grand frère, quand il partageait nos vacances d’été, occupait chaque matin la salle de bain une heure entière, non pour se savonner, récurer, rincer plus intensément que la moyenne, mais pour simuler cette toilette intime en laissant couler l’eau de la douche dans le vide sans jamais se mouiller le moindre centimètre de peau, simulacre rituel qui m’inspirait indistinctement admiration et dégoût.
De ne pas oublier que, depuis le temps que je me plaignais d’avoir «des étoiles dans le ventre», on avait fini par prendre au sérieux ma métaphore puérile en m’envoyant à l’hôpital pour un examen plus poussé: soit un «touché rectal» commenté en direct par celui qui, avec son doigt ganté de latex dans mes entrailles, se servait de mon cas supposée de «colite spasmodique» pour blablater doctement auprès d’une dizaine d’étudiants placés en arc de cercle dans mon dos, me rappelant soudain la fessée déculottée, dont j’avais écopé en Primaire, et la leçon de morale de l’institutrice, résolue à soigner ma nature «colérique».
De ne pas oublier que, après avoir travaillé un mois et demi comme veilleur de nuit dans un hôtel de l’Ouest parisien, j’ai été viré du jour au lendemain pour sommeil abusif sur mon lit de camp et tapage nocturne un soir de beuverie tardive avec des amis de passage, et que vu ces deux fautes lourdes, je n’ai touché que les deux tiers de ma paye, amputés du reste dès la semaine suivante, pour aider un pote dans le besoin, le dandy irlando-bamiléké Jimmy, qui faute d’avoir pu me rembourser de son vivant, m’a offert quelques années durant son inestimable complicité.
Ce deuxième volume, en sédimentation provisoire,
est également en libre consultation ici même.
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Pour la première fois depuis des lustres, l’exécutif au pouvoir a reculé face à un rapport de force auto-organisé hors les vieux cadres paritaristes de la lutte syndicale. On ne doit ni minorer ni surestimer cette victoire, obtenue malgré l’enfumage des gouvernants et le recours à une armada répressive délirante. La peur a changé de camp, samedi après samedi, c’était palpable dans les arrondissements de l’Ouest de Paris. Mieux encore, dans ce mouvement ambivalent, c’est le charbon ardent de la « justice sociale » qui a brûlé dans les cœurs et les esprits, et si les relents xénophobes, anti-assistanat et national-poujadiste ont brouillé les pistes sur les réseaux sociaux, dans la rue l’émotion populaire ne s’est pas trompée d’ennemis ni de cibles, les rouages et têtes de gondoles du « système », autrement dit du capitalisme, et des stratégies « libérales autoritaires » mises au point à partir des années 80, et dont Macron n’est qu’un avatar technoïde parmi tant d’autres (R. Reagan, M. Thatcher, puis B. Clinton, T. Blair, G. Schroder, M. Renzi, etc.).
Cette victoire éclatante, comme un soleil noir, n’a pourtant quasiment rien gagné, sinon le plaisir décloisonnant de lutter ensemble – son gaz hilarant face aux lacrymos, son entraide protectrice face aux grenades de désencerclement – pour tant de gilets jaunes atomisés chacun chacune dans leur zone de relégation géo-sociale. Bref, nous sommes toutes et tous les gouttes d’eau qui ont fait déborder le vase, et pourtant, en retour, le verre est aux trois-quarts vide, et cela, disons-le à la louche, pour deux raisons.
La première, elle est déjà dans toutes les têtes. Les quelques reculs (sur la CSG des retraités entre 1200 et 2000 euros) ou sur la hausse des hydrocarbures (essence, mais surtout gaz et électricité pour le chauffage) ou la hausse de la prime d’activité (majorant d’une centaine d’euros quatre ou cinq millions de gens touchant le Smic et un peu plus), sans parler des heures supplémentaires sans cotisations patronales, ne coûteront rien (ou presque) aux employeurs, gros possédants, actionnaires, exilés fiscaux, multinationales du pétrole, de la bagnole, de l’aviation ou du bâtiment (ayant racheté les autoroutes à bas prix pour racketter les usagers captifs de leur bagnole). Bref, c’est l’Etat qui nous fera payer ce surcoût d’une douzaine de milliards à travers un prochain chantage à la dette, dans un an ou deux, ou à l’occasion d’une alternance austéritaire du pouvoir avec la droite (et ses extrêmes) en charge de nous faire payer très cher cet effort national.
La seconde arnaque de cette victoire quasi sans contrepartie tient au corps social pris en compte par ces mesures. Si, parmi les gilets jaunes, on compte depuis le début pas mal d’indépendants et artisans ayant du mal à joindre les deux bouts, un paquet de smicards à temps complet et de contractuels maltraités par la Fonction Publique, tous les reportages médiatiques n’ont pu masquer l’évidence : cette mobilisation comprend bien sûr une masse de working poors, d’employées à temps très partiel, de chômeur.e.s ou de personnes au RSA. Mais si l’on a pu entendre dans le poste ou lire dans les journaux leur colère individuelle, on a exclu d’emblée cette masse de précaires en tous genres – victimes depuis des décennies d’un saucissonnage statutaire du marché de l’emploi, de la non-indemnisation des périodes de chômage et de la stigmatisation pour les bénéficiaires des minimas sociaux –, de toute possibilité d’y gagner eux aussi ne serait-ce que des miettes en terme de survie. Et c’est là que ça devrait coincer, renouveler la colère commune, dans cette mise à l’index des plus pauvres qui n’auront aucune part du gâteau, punis d’être comptabilisés comme des improductifs, au même titre que les rebuts du minimum vieillesse (dont les pensions ne sont même pas indexées sur l’inflation). Et cette ligne de partage, si elle passait inaperçue sous prétexte d’on ne sait quel Référendum d’Initiative Citoyenne, serait mortelle pour le mouvement en cours. Si la lutte a déjà un tout petit peu payé, elle n’a rien apporté aux plus appauvris, reproduisant ainsi les pires stéréotypes contre les faignants d’assistés.
D’où l’urgence à faire émerger dans les cahiers de doléances, les actions, les banderoles, les tags, les slogans, toutes les parts maudites de ce mouvement : ceux qui n’ont eu que silence et mépris, moins que rien. Et pourtant ils existent, ces bouche-trou vacataires, ces CDD à perpétuité, ces chômeurs en fin de droits, ces bénéficaires du RSA sous contrôle humiliant, ces stagiaires interchangeables à 400 boules le taff de 35 heures, ces intérimaires et saisonniers hyper-corvéables, ces employées en sous-traitance du nettoyage payées au lance-pierre, ces auto-entrepreneurs au rabais sans retraite ni chômdu, ces esclaves ubérisés par le challenge hyperconcurrentiel, ces privés d’allocs pour trop perçu, ces locataires insolvables en baisse d’APL, ces étudiants extra-européens qui voient augmenter de 1500% leurs frais d’inscriptions, ces travailleurs immigrés légaux qui ne toucheront pas la prime d’activité faute de prouver 5 ans d’activité en continu, etc. Tant que la multitude des précaires n’y aura rien gagné, on aura perdu une chance historique de nous débarrasser de certains leurres (« le Peuple », par exemple, ce mot passe-partout qui laisse passer entre les trous les plus massacrés de la domination économique) et de ne pas attendre le retour fantoche du plein-emploi stable pour repenser ensemble les questions du travail utile, de la propriété collective, du partage égalitaire et de la décroissance durable.
Quant aux dommages économiques des blocages, autoréductions & manifs sauvages, on a bien vu que c’était la seule méthode pour faire plier (un peu) nos gouvernants, mais n’oublions pas que c’est aussi une façon anticipée de consommer moins pour vivre plus, bref d’agir collectivement pour une authentique écologie politique, ici et maintenant.
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Aux pouvoirs médiatiques et exécutifs qui s’offusquent devant cet Arc de Triomphe « souillé » et « dégradé » samedi dernier par des gilets jaunes, rouges & noirs – sinon « martyrisé » selon la vieille phraséologie des gardiens de l’ordre patrimonial – ce petit rappel historique. Ledit portique crypto-kitsch devait initialement, lors de sa conception en 1806, défigurer par sa mégalomanie césariste les alentours de la Bastille, avant d’être finalement implanté dans un coin plus huppé de l’Ouest parisien (la colline de Chaillot servant de lieu de promenade très en vogue), puis mis en sommeil durant la Restauration, et parachevé sous Louis-Philippe en 1836.
À l’époque, il s’agit d’un monumental hommage à l’impérialisme bonapartiste, pour devenir dans les décennies suivantes un memorial fourre-tout, honorant la Révolution de 1789 et l’esprit de conquête du défunt Napoléon, l’idole de la bourgeoisie aristocratique du XIXe siècle. En 1852, le baron Haussmann, chargé par Napoléon III du réaménagement urbanistique de la capitale (avec des objectifs hygiéniques, anti-barricadiers, mais aussi spéculatifs), programme, avec l’architecte Hittorf, douze artères formant une étoile autour de l’Arc, pour y établir des hôtels particuliers de grand luxe, travaux d’envergures achevés en 1869, soit deux ans avant la Commune.
Aujourd’hui, au milieu de cette place rebaptisée Charles de Gaulle un an après le printemps 68, on ravive tout autant la flamme de l’illustre empereur Napoléon que d’un soldat inconnu mort en 14-18, selon un rituel républicain confus ayant écarté de son récit national la moindre part d’ombre (escalavagiste, militariste, paupérisatrice, inégalitariste, coloniale, etc.). Bref, ce gros machin triomphant (remis en perspective, au milieu des années 1980, par une Arche de la Défense dédiée aux holdings de la Haute Finance (et donc à la contre-révolution libérale alors en vogue) est, outre son intérêt architectural quasi nul, d’un symbolisme patriotico-belliciste confus, oublieux et toujours empreint de néo-bonapartisme. Il y a donc un heureux hasard objectif à ce qu’il soit devenu, samedi dernier, l’épicentre de toutes sortes de tags anti-macronistes.
On en a recensé la plupart des graffitis en recoupant les photos sous différents angles :
LES GILETS JAUNES
TRIOMPHERONT !
MAI 68
DÉCEMBRE 2018
on a coupé des têtes
pour moins que ça
AUGMENTER
LE RSA
MACRON
DÉMISSION
VIVE LE VENT
VIVE LE VENT
VIVE LE VANDALSIME
PAS DE GUERRE ENTRE LES PEUPLES
PAS DE PAIX ENTRE LES CLASSES
On veut un président
des pauvres !
ON A RAISON
DE SE RÉVOLTER
ANONYMOUS FRANCE
ON A L
MANU
M’A TUER
Justice
pour
ADAMA
L’ultra-droite
Perdra
NIKE
L’ETAT
Quant à l’intérieur de l’espace muséologique (reservé à la grand-messe touristique), il a logiquement fait les frais de la confrontation, plus de douze heures durant, entre gilets de diverses couleurs et forces de l’ordre surarmées (ayant tiré en une seule journées près de quinze mille lacrymos, flashball et grenades en tous genres) dans trois arrondissements de Paris (le VIIIe, le XVIIe et le Ie).
Les belles âmes qui, émues par l’orbite béantes causée par quelques barbares iconoclastes dans une moulure de la Marianne nationale, n’ont en revanche pas eu un mot pour les nombreux mutilés chez les manisfestants (au bras, au pied ou à l’œil) suite à l’usage disproportionnés d’armes soi-disant “peu létales” du côté des CRS, Gardes Mobiles et civils de la BAC.
Quant aux graffitis photographiés par mes soins dès le lendemain matin, ils ornaient pour leur immense majorité les parages du boulevard Haussman, ce baron de la première gentrification parisienne. Retour à l’envoyeur donc.
Faute d’avoir pu être sur place, ce samedi de révolte tous azimuts, j’ai pas mal arpenté, lu, décrypté dans le grand flux numérique et trouvé, à rebours du bruit de fond général, sur Paris-luttes.infos un récit de l’intérieur conjuguant nuances circonstanciées et enthousiasmes sur le vif. A lire pour se désembrumer le cerveau disponible, c’est ici même.
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