12 juin 2020
[Au pays du déni policier,
rien n’a jamais eu lieu…
que le non-lieu judiciaire.]

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Quand mardi 2 juin, à l’appel du Comité Vérité pour Adama, devant le mégalomaniaque building du nouveau Palais de Justice, des dizaines de milliers de lycéens, étudiants et jeunes précaires de Paname et ses quartiers périphériques – stigmatisée deux mois durant pour son « relâchement » et son « indiscipline » –, ont débordé dans la rue pour dénoncer les violences policières systémiques, mettre à bas les fausses gloires coloniales statufiées et en finir avec toutes les « distanciation sociales », de classe, de couleur de peau, de genre, ça nous a toutes et tous rajeunis d’un seul coup. Face à cette évidence enfin remise en lumière – la brutalité des rapports sociaux mise en état de marche forcée économique par ses zélés gardiens de la « paix » –, quelque chose a tremblé dans l’édifice des donneurs d’ordre, un séisme ouvrant sur des abîmes d’incompréhension.
Et il ne faudrait pas que cette brèche se referme sous la pression des leaders corporatistes de l’institution policière, si attachés à leurs droits à « l’étranglement », au « plaquage ventral », aux armes sublétales, au nassage routinier des manifestants, à l’insulte raciste, antisémite, sexiste, homophobe, anti-pauvres sur les réseaux sociaux, dans les cités de banlieue où quand tels ou telles grévistes battent le pavé. L’anti-antifascisme assumé de secteurs entiers de la police (BRI, BAC, CRS, BRAV-M) – composés aux deux tiers de fonctionnaires votant pour l’extrême-droite –, doit être nommé pour ce qu’il est : la constitution de brigades fascistoïdes tenant par la barbichette le ministère de l’Intérieur, autrement dit, pour emprunter à la phraséologie gaulliste datant de la guerre d’Algérie : des factieux.
Or, c’est bien ce terme que Macron avait employé au début du mouvement des Gilets Jaunes, inversant comme à son habitude le sens des mots, pour masquer sa propre impuissance face à « l’état profond » des esprits au sein de la hiérarchie préfectorale. Mais comme l’offensive néo-libérale en cours depuis trois ans nécessitait de militariser la répression des mouvements sociaux, les EnMarchistes ont eu vite fait de choisir leur camp : plutôt la trique du préfet Lallement que la chienlit aux portes de l’Elysée, et peu importe les dizaines d’éborgnés et de mains arrachées, les centaines de blessés graves, les milliers de gardes à vue abusives. Monopole de la violence «légitime» oblige, pour défendre manu militari des lois inégalitaires, le loto-entreprenariat précaire et la ghettoïsation ethno-urbanistique, tant pis si l’on faisait appel, parmi ses troupes de choc mobilisées, aux pires préjugés phobiques. Il s’agissait de réformer les « gaulois réfractaires » et les banlieues « séparatistes », et cela hier comme aujourd’hui… « quoi qu’il en coûte » aux principes minimaux d’une démocratie représentative aux abois.
D’où la fragile espérance qui peut  changer nos lendemains, en faisait coïncider plusieurs sensibilités en lutte contre le sexisme ordinaire et les féminicides, la répression des racisé.e.s dans les quartiers, l’ubérisation des rapports sociaux, l’exploitation des premiers de corvées avec ou sans papiers, les soutier.e.s du milieu hospitalier, etc. Pour que le concept un peu trop théorique « d’intersectionnalité » prenne enfin corps collectivement et l’immunise contre tout repli sectaire.

POST-SCRIPTUM 1 :  Ces quelques affichettes conçues et collées par mes soins font suite à pas mal d’autres qu’on retrouvera ici. Pour mémoire, précisons que la première adresse aux «policiers»  est inspirée de la couverture du journal Action de janvier 1969, ci-dessous.


POST-SCRIPTUM 2 : Même si je ne suis pas dans les catégories rituelles de la discrimination policière, quelques souvenirs en vrac de propos énoncés à mon égard par des agents en uniforme (ou en civils avec ou sans brassard). En 1977, après mon interpellation devant le centre Beaubourg où je protestais sous ma tignasse blonde contre l’extradition de Klaus Croissant : « P’tit con, va te faire couper les cheveux! » ; en 1992, lors d’un tournage en plein Barbès avec des étudiant.e.s en cinéma de la fac de Saint-Denis, un commissaire nous intimant d’arrêter de filmer sur le toit ouvrant d’une bagnole et concluant son injonction par ces mots : «De la viande froide, j’en ai emballé pour moins que ça !» ; en 1994, après avoir troublé une cérémonie en hommage au groupe Manouchian devant l’Hôtel de Ville au cri de « Oui, Manouchian était un sans papiers ! » : une bousculade, mes lunettes qui tombent par terre, un CRS qui les écrase sciemment d’un coup de talon en commentant « p’tit pd d’intello, va ! » ; en 1996, après le meurtre « à bout touchant » de Makomé dans un commissariat du dix-huitième arrondissement suivi d’une émeute devant le mairie : un pierre renvoyé en pleine face par des flics en civil et quelques « enculés ! » à mon encontre ; 2003, étant le témoin solidaire d’un blocus lycéen devant un établissement du quartier Latin, cette réplique « Retourne à Pyongyang, connard !» de la part d’un gradé dirigeant l’évacuation ; en 2004, après un contrôle routier positif de 0,5 gr d’alcool dans le sang sur mon scooter, mon menottage à un banc dans le hall du commissariat sous les Invalides, puis ma chute après somnolence et saignement de nez ainsi commentés : « Ben alors, on joue à la bavure ! » ; en 2008, lors d’une manifestation de sans papiers faisant halte devant le commissariat central de Montreuil, avant d’être brutalement réprimée par des membres de la BAC, me voilà visé par un lanceur de balles dite « de défense » alors que je prenais en photo un colosse en train de briser le coude à coup de tonfa d’une jeune femme à terre tout en lui balançant « Retourne faire la vaisselle, salope ! » ; en 2010, devant le lycée Jean Jaurès où était scolarisée ma fille, tandis qu’un policier venait de cibler avec son flashball un gréviste de 16 ans, Geoffrey, gravement blessé sous l’œil, et alors que j’interpelais le tireur en tant que parent d’élèves, le canon de son arme approché à quelques centimètres sous mon menton par le même flashballeur éructant «Vous aviez qu’à les garder chez vous, vos chiards ! » ; sans oublier les innombrables excès de langage racistes ou sexistes lors de contrôles au faciès dans le métro ou sur un trottoir auxquels j’ai pu assister depuis trente ans, un autre souvenir datant d’un samedi de mobilisation des Gilets Jaunes, me retrouvant dans le dos d’une ligne de robocops ayant surgi en plein cortège : « Allez bosser, bandes de faignants ! », tout en se barrant un œil de la paume de la main en guise de menace d’éborgnement. Et encore, très récemment, lors du confinement à Montreuil, le 1er mai dernier très exactement, alors que la Brigade de Solidarité Populaire distribuait pains et légumes sur la place du Marché et que, venu soutenir cette action à la fois concrète et symbolique, je m’étais trouvé pris à parti par un motard de la BRAV descendu de son gros cube, qui, sans masque ni respect des distances élémentaires, me pointait son doigt ganté dans l’abdomen (peu musclé il est vrai), cherchant à me faire déraper verbalement, puis voyant que je reculais de plusieurs mètres pour échapper à sa pression m’a moqué d’une air goguenard : « Regardez-le, c’est qu’un lâche ! »

POST-SCRIPTUM 3 : Je serais malhonnête si je ne signalais pas quelques contre-exemples à propos de la maréchaussée, certains « justes » ayant contrevenu aux consignes ou désobéi en conscience, comme ce flic du centre de Paris, ayant fraternisé au comptoir d’un bar kabyle avec un maçon algérien sans papiers, avait pris l’habitude de lui signaler par sms les lieux et heures de contrôles massifs dans le métro, ou aussi, cet OPJ de Montreuil qui, ayant délibérément laissé repartir sans lui chercher noise un sans papier s’étant interposé lors d’un cambriolage chez moi, m’avait confié mezzo voce : « Ceux-là, ils se la jouent grave, c’est insupportable » en parlant de ses collègues de la BAC. Ultime souvenir qui est ressorti des limbes : au début des années 2000, un 1er mai, où Jean-Marie Le Pen s’apprêtait à prendre la parole devant ses ouailles, j’avais assisté, comme observateur prudemment à l’écart, au renversement de l’étal d’un vendeur de saucisses au teint mat par une bande de skinheads, laissant sur le pavé une mare de ketchup qui faisaient glousser ces crânes rasés et lyncheurs en puissance. Faute de pouvoir intervenir, j’avais trouvé quelque réconfort dans le regard outré d’un agent de la circulation, non loin de là. Après m’être rapproché de lui, je l’avait encouragé à intervenir. Et lui, haussant tristement les épaules m’avait glissé à l’oreille : «C’est une honte de voir ça, mais je suis tout seul, je peux rien y faire».

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