28 avril 2020

Il n’y aura pas d’après viable
si ce monde reste irrespirable…

Contre l’union sacrée mortifère,
reprenons la parole en plein air.

Lien pour faire circuler l’article, c’est juste là.

À la fin des années 70, selon l’adage « En mai, fais ce qu’il te spray », le graffitiste bruxellois Roger Avau avait un aphorisme fétiche qu’il bombait au hasard de ses flâneries : Arrêtez le monde, je veux descendre… L’ayant sans doute vu en photo dans un fanzine, je l’avais recopié mot pour mot au-dessus de mon lit, en écoutant l’album Alertez les bébés d’Higelin. La devise allait bientôt faire des petits dans ma tête, en la rapprochant de celle du film L’An O1 : « On arrête tout, on réfléchit, et c’est pas triste». Et nous y voilà, à l’arrêt, sauf que là c’est malgré nous, via un virus qui nous confine à l’absurde, nous télé-travaille de l’intérieur, renforce les ségrégations urbanistiques, les inégalités de sur-vie. De quoi vacciner la population, se réjouissent nos experts en « distanciation sociale », cette maladie servira d’antidote contre tout esprit de démobilisation générale, de « grève des gestes inutiles » comme disait l’anarchiste Libertad durant le Belle Époque, sinon d’un farniente à temps choisi, décidé d’un commun accord anti-productiviste pour mieux se répartir les tâches entre bonnes volontés coopératives, sans carottes ni bâtons, ni gâchis ni profit.

Pris en étau par le chantage ultra-binaire de nos gouvernants (de drauche & groite confondus) – stopper la pandémie vs relancer l’économie –, nous ne sommes plus confrontés qu’à des doubles injonctions culpabilisantes : ne plus sortir pour s’en sortir du côté des télé-employés et bosser en-deçà du minimum sanitaire quand on est au bas de l’échelle salariale, ou pire encore, pointer aux banques alimentaires bien qu’on soit déjà en déficit immunitaire chronique, etc. Tous les ministres et DRH qui depuis des décennies ont mis à sec les précaires pour renflouer les actionnaires, coupé les fonds de l’hôpital public pour préserver les fric des rentiers, mis en coupe réglée le droit du travail pour mieux fournir aux Big Uber Brothers une main d’œuvre corvéable au doigt et à l’œil, sous prétexte d’auto-entreprenariat, vont bientôt nous déconfiner au compte-goutte, une fois les mômes renvoyés à un simulacre de halte-garderie, et puis viendra le temps de rembourser la dette, et de courber l’échine sous la trique austéritaire. On connaît la musique – la «stratégie du choc» – : après les appels martiaux à la « guerre contre un ennemi invisible », d’autres métaphores officielles nous contraindront à remplir nos devoirs de citoyens pour « retrousser nos manches », « bosser plus dur en touchant moins » et arrêter de « vivre au-dessus de nos moyens », comme on l’a tant répété aux Grecs à bout de souffle déjà il y a une douzaine d’années.

D’où l’urgence à ne pas nous plier au séquençage propagandiste du pouvoir en place, à ouvrir des brèches dès maintenant dans leur scénario de reprise d’activité, à déserter les rengaines des médias dominants, à faire perdurer nos entraides informelles, nos réflexes critiques, nos refus d’un retour à la case départ, à renforcer nos solidarités envers tous les confinés d’office de l’ordre social qui vivent ce huis clos domestique depuis belle lurette, et ça en fait du monde, ces mis à l’écart qui ne mettent le nez dehors que pour bosser le plus souvent sous le seuil de pauvreté. Deux échéances s’offrent à nous aujourd’hui : populariser la «grève des loyers» qui a déjà pris de l’ampleur en Espagne, Italie ou au USA et ne pas manquer de faire entendre nos voix discordantes dans la rue (dûment masqués mais sans contact) le 1er mai prochain (puis les samedis suivants…), en rejoignant certaines initiatives de proximité. Bref, si l’on veut que toutes les victimes de l’hécatombe pandémique ne soient pas « morts pour rien », il faut conjurer nos chagrins et fatigues, se méfier des syndromes paralysants – entre sidération et résignation – et sans attendre conspirer ensemble à à empêcher les lendemains qui déchantent et remettre au jour certaines utopies concrètes, en se souvenant de cette phrase empruntée à Kierkegard par Gilles Deleuze en 1969 dans Logique du sens : « Du possible, du possible, sinon j’étouffe » et qui réaparaîtra sous sa plume et celle de Félix Guattari en 1984 dans « Mai 68 n’a pas eu lieu », tirant les conséquences du virage pragmatico-gestionnaire de la gauche de gouvernement dont nous n’avons toujours pas fini de payer les roses fanées.

En attendant, pour nous oxygéner les neurones et semer la discorde en plein, quelques bribes textuelles et visuelles glanés sur les murs ces temps derniers.

ICI
on crève
2020 SDF
Paris XI, près Gare de Lyon, craie sur trottoir, 14 février 20

les rêves ôtés créent des révoltés
Toulouse, écluse Saint-Michel, bombage, mi-février 20

ESTADO FEMINICIDA
Mexico, près du Palais présidentiel, bombage, mi-février 20

FOUFOUNE DANS TA BOUCHE
Lyon, Croix-Rousse, bombage, mi-février 20

NO SYSTEM
BUT ECOSYSTEM
Prague, bombage, 21 février 20

ADVIENNE QUE
POURAVE
Toulouse, 22 février 20

Your lips, my lips
APOCALYPSE
Alger, Said Hamedine, bombage, 24 février 20

Dans quel
Etat j’errrrre.
Nantes, craie, 24 février 20

LEGALIZE
FREEDOM
AGAIN
Islande, Reykjavik, 29 février 20

YOU ARE THE SOURCE AND
THE TARGET OF BIG DATA
Barcelone, pinceau, 3 mars 20

CULTIVONS L’ÉCART
Rennes, bombage, 5 mars 20

How’s God ?
She’s black
Berlin, Kreuzberg, pinceau, 8 mars 20

L’ENTRAIDE BORDEL !
[FACILE À DIRE !]

VIVONS HEUREUX
VIVONS CACHETS
Alger, El Biar, bombage, mi-mars 20

Tousse
ensemble

Déjà la crise de la Quarantaine
Rouen, bombage, mi-mars 20

GRÈVE DES LOYERS
CONTRE LA PRÉCARTIÉ
DU CONFINEMENT
Barcelone, bombage, 19 mars 20

– de pandémie
+ de pain de mie
Lyon, bombage, 22 mars 20

la roue à tournée
ou peut-être pas
Alger, Hydra, pinceau, 23 mars 20

NIQUE LES SURVIVALISTES
INDIVIDUALISTES
Paris XI, rue Victor Gelez, bombage, 26 mars 20

On va tous mûrir
Nantes, lettres végétales, 27 mars 20

Le monde
sera celui
que l’on
IMAGINE
Belgique, Mons, bombage, 27 mars 20

J’souris
a l’envers
Alger, Cheraga, bombage, 29 mars 20

+ d’amendes
distribués que
de masques !
Rezé, bombage, 31 mars 20

LANDLORDS
ARE
THE VIRUS
USA, Minneapolis, bombage, 31 mars 20

Et si on ne
reprenait jamais
le travail ?
Montreuil, bombage, 2 avril 20

Quand l’idiot montre le pangolin
Le sage regarde la déforestation
Loire-Atlantique, bombage, 2 avril 20

effondrement
en cours
veuillez
Patienter !
Paris X, 3 avril 20

HOMELESS
LIVES
MATTERS
San Francisco, bombage, 3 avril 20

Aujourd’hui
les gestes barrières
Demain
les gestes barricades

JE DANSE
LE MIASME
Nantes, bombage, 3 avril 20

METRO MAISON
BOULOT MAISON
DODO MAISON
?!
Marseille, craie, 6 avril 20

I can’t live in a living room
Athènes, bombage, 6 avril 20

Hier, j’ai bouffé un.e riche
[j’garde l’autre pour demain]
Montréal, bombage, 8 avril 20

Capitalism
was built
2 kill
Brooklyn, bombage, 9 avril 20

PANGOLIN
vs
CAPITALISME
Brest, bombage sur macadam, 11 avril 20

Comme mon boulot est en quarantaine
je ne payerai pas mon loyer !
Berlin, bombage, 11 avril 20

SOY FRÀGIL
Buenos Aires, Lavalle, bombage sur macadam, 11 avril 20

LES DRONES
DU TOTALITARISME
QUI S’ANNONCE…
Nantes, bombage, 11 avril 20

CLAUSTROFOBIC
EVASION
Turin, 11 avril 20

MAKE THE RICH PAY FOR COVID19
Autriche, Vienne, bombage, 12 avril 20

Rester à la maison
suppose qu’on a une maison
Athènes, bombage, 12 avril 20

pour les vacances
d’été
j’irais bien en bas
de chez moi
Paris XX, blanco, mi-avril 20

COVID 19…84 ***
Belfast, bombage, mi-avril 20

L’utopie est de
croire que tout
peut continuer ainsi
Rennes, bombage, mi-avril 19

Arrêtez de nous Pister
Dépistez Nous
Marseille, bombage, mi-avril 20

Cherche vélo
d’appartement
pour me rendre
à mon télétravail

LE POUVOIR DE VOUS PROTÈGE PAS
IL SE PROTÈGE
Lyon, Croix Rousse, mi-avril 20

LETS FIGHT THE VIRUS OF CONTROL
Berlin, bombage, mi-avril 20

J’ai pas le corona
j’ai la rage
Grenoble, 16 avril 20

LA PROPRETÉ, C’EST L’ALIÉNATION
Bagnolet, 19 avril 20

DISTANÇONS
NOUS D’UN MAÎTRE
Bastia, pinceau sur collège, 19 avril 20

Toux
va bien…
Paris XIX, Belleville, bombage, 20 avril 20

Viens, on pleure ensemble
Montpellier, 24 avril 20

MAKE OUTSIDE
LEGAL AGAIN
Toronto, bombage, 24 avril 20

Ni keufs
ni covid-19
Montreuil, rue Parmentier, bombage, 24 avril 20

LA FIN EST PROCHE
Rouen, bombage, 24 avril 20

EL UNICO SISTEMA
QUE QUEREMS FUERTO
ES EL IMMUNE
[le seul système
dont nous acceptons la force,
c’est l’immunitaire]
Barcelone, bombage, 25 avril 20

Pour décorer le quartier, à Montreuil, j’ai conçu quelques affichettes. Reste plus qu’à trouver un peu de colle à papier peint et une brosse ad hoc…

Parmi pas mal d’initiatives collectives dans le 93, ces deux-là qui filent la pèche :

Post-scriptum : Après la verbalisation générale par les motards de la BRAV et des CRS  (sans respect des gestes barrières ni d’un quelconque port de masque) des initiateurs d’un marché aux légume gratuit le 1er mai, à Croix-de-Chavaux, les services municipaux de Montreuil n’ont, à leur tour, pas chômé le dimanche 3 mai : tous les signes extérieurs de subversion murale ont été effacés. Du coup, ce lundi 4 mai au matin, un anonymal non-domestiqué en a remis une couche :

Re-post-scriptum : Suite à un nouveau ripolinage des agents de la Mairie qui, dixit l’une d’elle, ont le devoir de faire diparaître ces « violences verbales devant l’Hôtel des Impôts », un petit lutin dissensuel en a remis une couche au marqueur indélébile :

Re-re-post-scriptum : Le lendemain, les mêmes causes produisant les mêmes effets, un nouvel aphorisme a profité du nouveau carré des censeurs monochromatistes :

Re-re-re-post-scriptum : Suite sans fin des censeurs de l’hygiénisme urbain mis à nu par le déconfinement verbal :

Pour faire circuler ce texte, le lien est ici même