@ffinités

5  janvier 2011
[Adages Adhésifs —  Première salve.]

Parmi toutes les bonnes résolutions de l’années deux mille onze, y’en avait une qui me tenait à cœur, un vieille lubie souvent échafaudée jamais réalisée : fabriquer des autocollants, avec trois quatre mots maximum dessus, un petit bout de phrase sans début ni fin. Des stickers purement typographiques qui ne prendraient tout leur sens qu’in situ, en plein air (de rien), au moindre recoin de la rue, n’importe où mais pas n’importe comment, pour que ça colle vraiment entre style télégraphique et fragment de réalité.
Avec l’ami Philippe Bretelle, on en a fabriqué une vingtaine, de dix centimètres sur quinze, en noir sur blanc… et réciproquement. Histoire d’en foutre partout où ça nous plaît, d’inventer de petites légendes à la vie quotidienne, de la sous-titrer pour de faux, de créer ici et là très littéralement des lieux-dits.
Ces stickers ne sont pas signés, sans blase ni buzz promotionnel, mais disons que la série a quand même un nom de code « Adages Adhésifs » et que pour suivre à la trace sa dissémination urbaine, les premières photos sont déjà en place ici même.

PS : Quiconque voudrait se faire envoyer tel ou tel spécimen n’a qu’à le demander [y.contact@pensebete.archyves.net] dans la faible limite des stocks disponibles.

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4 janvier 2011
[Texticules & icôneries — Polysémie urbaine.]

En cas d’ambiguïté, lever le pied.

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2 janvier 2011
[Avis de recherche — Retour à l’employeur.]

Dame polonaise sérieuse avec expérience depuis quatre ans ici, parlante français et très ponctuelle polivalente non fumeuse cherche sortie d’école pour enfants à s’occuper de toute âge et tout moment de la nuit ou autre sorte de service (promenade animal, retouche cuir, massage relaxe) n’importe quelle jour possible même personne agée si habitant pas loin du cartier et aussi aide manager à domicile le mercredi plein temps. Les intéressés peuvent joindre Maria au 06 48 99 58 61 06 48 99 58 6106 48 99 58 6106 48 99 58 6106 48 99 58 6106 48 99 58 61 06 48 99 58 6106 48. Merci pour bon contact avec moi.

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1er janvier 2011
[Texticules & icôneries —Nouvel an, blanc d’essai.]

Simulation d’une amnésie partielle.

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31 décembre 2010
[Avis de recherche — Retour à l’envoyeur.]

Romain, 9 ans, n’a jamais revu ses parents depuis le jeudi 24 décembre 1971 vers 18 heures à la sortie de l’école élémentaire de la rue Chapon. À l’époque, je portais une salopette en jean, un pull rouge (avec un trou sous l’un des bras) et un anorak bleu marine. Eux, ils ont dû se changer avant de quitter le quartier et leur fils unique. Ma mère s’appelait Michèle et mon père Robert. Juste avant de disparaître, ils me devaient dix francs pour les deux dents de lait de la mâchoire supérieure (prémolaires) que je venais de perdre. Soi-disant ma mère travaillait la nuit au tri de la poste, mais pourtant elle était inconnue à cette d’adresse. Mon père non plus n’a laissé aucune trace au bar-tabac de la rue Rambuteau, ni à son médecin traitant, mais il a deux signes distinctifs : un tatouage de scarabée sur l’épaule gauche et des piqûres d’insuline dans le bras droit à cause du diabète. Depuis quarante ans, les services de police m’ont mis sur des fausses pistes et j’ai dû changer souvent de foyer, dans le sud de la France. Aujourd’hui, parce que j’ai retrouvé certaines facultés de mémoire, je suis revenu habiter rue Chapon, dans l’hôtel meublé en face de l’école, pour repartir à zéro. Alors, papa et maman, si vous vous reconnaissez, n’ayez pas honte ni rien, prenez contact au 06 60 91 13 02. Et si vous n’êtes plus de ce monde, trouvez un moyen de me le faire savoir au plus vite.

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17 décembre 2010
[Texticules & icôneries — L’aventure au coin de la rue.]

Pas de danse, pas de porte.

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15 septembre 2010
[Allergie à l’air du temps —
Picasso… mis à nu par ses légataires mêmes.]

Qu’un électricien à la retraite se retrouve en possession de collages, ébauches, gouaches, lithographies… soit 271 œuvres de Picasso, et la famille héritière aussitôt s’emmêle… les pinceaux. Aucune preuve de vol avec effraction, ni d’extorsion de fonds, ni du moindre chantage et autres abus de faiblesse, mais peu importe, le présumé receleur doit s’expliquer devant la Justice. Lui jure que c’est bien Pablo et Jacqueline, sa dernière épouse, qui lui auraient donné l’ensemble du lot, pas en une seule fois, non, au fur et à mesure qu’il effectuait tout un tas de travaux dans leurs quatre résidences alentour. Bref, rien d’un cadeau inexplicable, mais plutôt un échange de bons procédés, un troc entre le maître et l’artisan, autrement dit, à mots couverts, une sorte de deal au black, payé en nature, hors impôt…
Bien sûr, on est libre de ne pas croire ce type sur parole, de trouver sa fausse naïveté suspecte, d’imaginer quelque arnaque derrière l’arrangement à l’amiable. Moi, ça m’a rappelé les confidences de l’ancienne patronne du Café de la Mairie, à Vallauris – quand j’y passais mes vacances dans les années 70. Rumeur malveillante ou secret de Polichinelle, il paraît que Picasso, faute d’avoir jamais un sou en poche, ni bifton, ni menue monnaie, laissait partout des ardoises, même chez le coiffeur ou le boulanger, dettes qu’il réglait avec retard… en dessins de son cru. À l’heure des anisettes de comptoir, les langues des habitués se déliaient : certains lui reprochaient une méchante pingrerie au quotidien, d’autres soutenaient l’inverse, un total désintéressement pour les choses de l’argent. Mais tous s’accordaient pour conspuer son entourage parasite, tant de flatteurs à ses basques et la proche parenté qui lorgnait déjà l’incalculable magot… Ce ne sont là que de vagues souvenirs, glanés dans les bistrots d’un arrière-pays provençal aujourd’hui disparu, mis aux enchères spéculatives depuis et racheté par les plus offrants des maffieux mondialisés.

Mais justement, en entamant une procédure judiciaire contre ce prétendu escroc, les six héritiers officiels du peintre se déchargent à peu de frais de leur propre imposture, eux qui sont allés jusqu’à vendre sa signature autographe à une marque de bagnole – le Xsara dite Picasso de chez Citroën – et qui depuis 1997 profitent de ces contrefaçons posthumes en série illimitée.

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13 décembre 2010
[En roulant en écrivant, stylo-scooter —
Défense de ne pas se tromper.]

Traversée de Paris, rive gauche puis droite, sous la neige, après une soirée très arrosée. Déjà un gros quart d’heure à l’aveuglette malgré les flocons qui collent au pare-brise. Plus aucun marquage au sol, tout le macadam hors piste, et attention, au moindre écart, blanc sur blanc…  tout fout le camp. Alors self-control maximum, ne pas abuser des freins, traîner plutôt des pieds pour faire halte à chaque carrefour et repartir en douceur, sans forcer les gaz, sinon ça va patiner de l’avant, chasser roue arrière et finir à la renverse. Place Gambetta en vue, plus qu’à descendre la rue Belgrand jusqu’à la Porte de Bagnolet. Encore cent mètres, et là, nouvel arrêt au feu rouge, face au mur d’enceinte d’un dépôt RATP.
Très machinalement, en attendant ça passe au vert, je relis l’inscription légale, en grosses majuscules : LOI DU 29 JUILLET 1881. Sauf que non, y’a un détail qui sort de l’ordinaire, c’est plus marqué DÉFENSE D’AFFICHER, juste un mot de changé : DÉFENSE D’ÉLÉPHANT. J’écarquille, m’y reprends à deux trois fois pour déchiffrer toujours pareil. Ou alors, c’est que je suis gravement atteint, plus étanche du tout, que j’hallucine un éléphant même pas rose, lapsus visuel, mirage en direct…

Et puis, dix minutes plus tard, une fois rentré au bercail, coma dépassé au fond du lit. Sauf que le lendemain matin, au réveil, ça se complique, plus tout à fait sûr de rien. La tête dans le sac des lendemains de fête. Faux souvenir ou vue de l’esprit ? Gros doute en eaux troubles. Vrai canular ou songe-creux ? Difficile de trancher. J’y pense et puis j’oublie. Jusqu’à l’heure de renfourcher mon scooter, maintenant que la neige a entièrement fondu. Même trajet que la veille, en sens inverse. Et là, pour en avoir le cœur net, un coup d’œil au passage sur le mur.

Clic-clac, preuves à l’appui.

Comme quoi, c’était pas du chiqué éthylique cet éléphant plus vrai que nature, affiché à l’identique, juste un piratage d’expert typographe, tellement subliminal que les passants n’y prêtent aucune attention, huit lettres volées sous nos yeux sans que ça se voit, un tout petit écart de langage, une subversion qui ne prétend à rien, un incident poétique de peu de réalité, un delirium très très mince.

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10 décembre 2010
[Texticules & icôneries — Fragment d’un détour amoureux.]

Baiser volé de longue durée.

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8 décembre 2010
[Souviens-moi — (suite sans fin).]

De ne pas oublier que, revenant du collège, sur la ligne qui allait de la Porte de Vincennes au Pont de Neuilly, circulaient encore les anciennes rames du Métropolitain, en bois laqué amarante, dont les portes pouvaient s’ouvrir d’un seul doigt relevant le loquet, en plein milieu du tunnel, et créer ainsi entre deux stations un appel d’air tiède mais si bruyant qu’il couvrait mes cris de joie face aux visages renfermés des autres voyageurs.

De ne pas oublier que mourir ne prend qu’un «r» parce qu’on ne meurt qu’une fois, même si nourrir n’en prend que deux, alors qu’on devrait en avoir la bouche pleine de ce «r» à chaque repas.

De ne pas oublier que le garagiste qui m’a vendu puis réparé plus d’une quinzaine de mobylettes d’occasion – Peugeot, Ciao ou Motobécane –, tenait boutique non loin de la gare de l’Est, au numéro 9 de l’Impasse du désir, l’adresse la plus mnémotechnique qui soit en cas de panne.

De ne pas oublier que mes deux enfants ne connaîtront jamais ce monde où les phares de voiture scintillaient d’un jaune vif, de la même teinte que les anciennes lignes phosphorescentes ou les zébrures des passages piétons sur le macadam.

De ne pas oublier que, en 1942, l’opticien Lissac, tenant déjà boutique rue de Rivoli, avait su conjuguer esprit promotionnel et segmentation des clientèles en apposant sur sa façade une immense bannière ainsi libellée : Lissac n’est pas Isaac, même si j’ai perdu trace du magazine d’époque où figurait ce distinguo publicitaire.

De ne pas oublier que, depuis le 24 septembre 1963, faute d’avoir jamais connu l’heure exacte de ma naissance, ni pensé à le demander de son vivant à l’accouchée en personne, ni jamais vérifié sur la fiche d’Etat-civil en renouvelant ma carte d’identité, j’ai déçu les amateurs d’horoscope qui voulaient me calculer à la minute près, même si, pour donner le change zodiacal, une vieille blague inusable m’aide encore à changer de sujet : «Balance ascendant Fléau».

De ne pas oublier que, parmi les soiffards qui fréquentaient les mêmes bistrots que Guy Debord, au cours des années 60, l’un d’eux, futur écrivain de peu de postérité, m’a confié par la suite l’avoir alors secrètement baptisé : «Le Sacha Guitry de la Révolution».

De ne pas oublier que, après quinze ans de fidélité tabagique à la même marque de cigarettes mentholées, je ne m’étais toujours pas aperçu qu’en barrant les trois premières et les trois dernières lettres de Stuyvesant s’inscrivait en douce mon prénom, cette inscription cachée m’ayant été révélée sur le tard par une amie Italienne, travaillant dans un hôpital psychiatrique de la banlieue de Rome, elle qui voulait voir dans ce hasard objectif un signe parmi tant d’autres que l’inconscient ça existe, et moi qui, clope sur clope, n’en revenait toujours pas de cette coïncidence… ravi et stupéfait, aux anges et mal à l’aise, inspiré expiré.

De ne pas oublier que certains papillons épuisent les charmes d’une existense entière en un seul tour du cadran solaire.

De ne pas oublier qu’à l’âge de huit ans, face à une petite cousine d’à peine vingt-quatre mois, il semblerait que j’ai pointé du doigt le haut de son crâne, tout près de l’ancienne fontanelle, en posant cette drôle de question aux oracles familiaux : «Y’a déjà de la mémoire, là-dedans ?»

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