@ffinités

23 janvier 2011
[Antidote au pessimisme ambiant
Tunisie par-ci, par-là, partout.]

Parmi tous les graffitis bombés aux abords de la Kasbah à Tunis, il en est deux ou trois qui portent la trace des ralliements qui ont eu lieu entre les insurgés et quelques poignées de policiers défroqués, non pour retourner opportunément leur veste, mais pour jeter publiquement leurs anciens oripeaux aux orties.

Outre celui-ci, un autre tag renchérit de façon plus littéral : « La Police pisse sur Ben Ali ». On a aussi pu voir des hôtesses de l’air séquestrer leur petit chef de bord… et tant d’autres employés mettre en quarantaine les criminels de bureau qui les humiliaient, brimaient, dépouillaient depuis des décennies. Et contrairement aux préjugés, ça n’a pas tourné au lynchage ou à la vendetta, mais à une rappropriation offensive & palabrante de la rue et à un tri collectif des parasites hiérarchiques dans la plupart des secteurs de l’économie. Si bien qu’on peine à y croire, à ce soulèvement solidaire & inventif, alors qu’on nous a bien appris à tirer une leçon, et une seule, de l’Histoire pré-démocratique : « Attention, ça tourne aussitôt vinaigre dès qu’on se révolte à plusieurs ! N’abusez pas de la rébellion, elle est par définition barbaresque. La preuve, ça vire illico à la Terreur sanguinaire, puis au camp de concentration… Bref, l’émancipation des gens par z’eux-mêmes, c’est un trompe l’œil à visage inhumain, la pire des entourloupes totalitaires ! »
On nous en a tant raconté de balivernes cauchemardesques qu’on a du mal à rouvrir les yeux, et à regarder l’insurrection tunisienne en face. Eux à qui l’on avait imposé une autre genre de dilemme sans issue : la trique ou le djihad ! Et voilà que ça les démange quand même, ce curieux principe de contagion réfractaire, y compris chez quelques déserteurs de la milice policière : changer de peau toutes affaires cessantes, déchirer le voile uniforme de la dictature et déborder partout d’imagination. Bien sûr, rien n’est jamais gagné d’avance en ces moments imprévisibles, tout peut encore basculer dans la pire crispation autoritaire ou d’autres confiscations populistes, mais qu’on nous laisse savourer ce signe annonciateur de tout mouvement révolutionnaire : non pas l’esprit de revanche homicide, mais le temps suspendu des plus improbables fraternisations.

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22 janvier 2011
[Pseudo-Dico — Dans le désordre analphabétique.]

Jouer au Pendu à l’école, ça laisse des traces. La preuve, après quelques décennies d’études, d’examens, d’essais, d’ébauches, d’épreuves, de tentatives… j’y reviens, à mes marottes élémentaires. Pourquoi se priver du charme régressif, chacun ses tentations, moi c’est l’infantile qui me hante, l’énergie verbale en deçà des prudences mitigées de l’esprit de sérieux. Bas les masques, soyons bêtement éhontés, je vous présente mon projet de devinettes lexicales, un dictionnaire pour de faux, entamé le 18 juin 1997, mis entre parenthèses peu après, remis en branle le 18 juin 2009 et qui prend du volume depuis, actualisé de temps en temps, au gré des nouveautés dernier cri…
J’aurais préféré appeler ça Fictionnaire tout court, dommage mais c’était déjà pris comme titre, par un farceur repenti des années 70, l’incertain Alain Finkielkraut, alors j’ai trouvé un ersatz commode, Pseudo-Dico, juste pour le raccourci de la rime intérieure, si si, faut pas forcément chercher plus loin.

Seul défi minimal, commenter chaque mot par association d’idées, esprit de conflagration, étymologie intuitive, amalgame accidentel, contresens inopiné, déduction analogique, méprise significative, sinon par défaut mineur ou faute d’étourderie. Et surtout, lâcher la bride, perdre contrôle, laisser sortir les bouts d’énoncé à l’oreille, faire confiance aux courts-circuits intérieurs, aux paradoxes venus d’ailleurs. Projet impur et simple, trivial et mégalo. D’où son sous-titre – idiot & logique – qui me revient de loin, l’éternel adolescent jamais lassé de singer les sapiences de l’homo academicus, avec force grimaces.
Bien sûr, j’aurais pu faire le tri au départ, chasser la blague facile, neutraliser le calembour dérisoire, ne garder que le meilleur du début à la fin. M’empêcher de faire tout à la fois le singe savant et l’analphabète de foire. Mais quand on vide son sac de vocabulaire, il vous passe de drôles de couacs par les méninges, et c’est souvent d’assez mauvais goût, entre autres foutaises et débilités. J’aurais pu me cacher derrière mon petit doigt d’auteur, mais l’idiotie a sa logique implacable. Ni garde-fou ni autocensure, juste des hauts & des débats…
Et tant pis pour les lettres de noblesse.

On trouvera la dernière mouture du Pseudo-Dico, feuilletable et téléchargeable aucun sans frais ni délai, de ce côté-là.

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21 janvier 2011
[Texticules & icôneries — Trop beau, non ?]

Jolie graphie antiphrastique.

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19 janvier 2011
[Souviens-moi — (suite sans fin).]

De ne pas oublier que l’infirmière du service de réanimation chargée de raser la tête de ma mère après son infarctus m’avait bien prévenu : « Les images de l’enfance, avec un peu de patience, ça finira par lui revenir, mais tout ce qui touche à la mémoire immédiate, par exemple se souvenir de là où l’on vient de poser ses lunettes ou de qui est venu dîner la veille,  jamais. »

De ne pas oublier qu’Aleksandar, éditeur alternatif de Belgrade, las d’être enfermé dans les bornes étroites d’une Yougoslavie réduite à sa plus simple expression serbo-serbe, a fini par se payer un visa sans retour pour l’Italie, et qu’aux dernières nouvelles il y est devenu cuistot dans une pizzeria.

De ne pas oublier que l’envie de dérober le petit marteau brise-vitres qui trône aux extrémités de chaque wagon SNCF me revient de loin, de mes premiers voyages en train-auto-couchettes, mais que je n’y ai jamais cédé, faute d’en avoir ni l’audace ni l’outil approprié justement.

De ne pas oublier que, certains hivers, pour cacher la honte d’être obligé de me rendre au collège en après-ski, j’ai survécu au ridicule en prétendant que c’était «garanti peau de bébé phoque », et qu’une fois au lycée j’ai abusé du même stratagème pour devancer les moqueries à propos des manches trop courtes de mes blousons en affirmant du tac au tac qu’ils étaient « en peau de bébé skaï ».

De ne pas oublier que 47% des Britanniques croient que Sherlock Holmes a vraiment existé et que moitié moins des mêmes Anglais sont convaincus que Winston Churchill est un personnage de pure fiction.

De ne pas oublier qu’avant l’apparition des premiers digicodes aux portes des immeubles parisiens, tout un monde d’arrière-cours et des passages secrets s’offrait aux gamins de mon âge qui rentraient seuls de l’école, jouaient au ballon dans la rue, à cache-cache dans les masures abandonnées ou à la marelle sur le trottoir, et que, en l’espace d’une génération,  l’anxiété maladive des familles n’a fait que croître et renfermer les mômes au bercail, loin des rencontres hasardeuses ou des mauvaise fréquentations, chacun chez soi entre névroses consanguines et réseaux sociaux.

De ne pas oublier que, sur l’écran de mon premier ordinateur, un foutu Amstrad où j’ai passé cinq ans à frapper un mémoire de Doctorat , la typo apparaissait en vert presque fluo sur fond blanc, non plutôt noir, difficile de vérifier aujourd’hui, ce modèle n’étant plus compatible avec rien, à moins que je confonde avec le tableau de bord d’une cabine spatiale dans une série SF un peu ringarde, prophétisant le règne sans partage d’une malfaisante intelligence artificielle.

De ne pas oublier qu’à l’insu des petites idées qui nous trottent chaque jour dans la tête cent cinquante mille cheveux y poussent d’un centimètre par mois en hiver, et du double quand les beaux jours reviennent irriguer nos scalps d’une sueur fructifiante.

De ne pas oublier que le frère de la chanteuse Anne Sylvestre n’aura jamais pu se moquer des berceuses féministes de sa sœur cadette, puisque son engagement précoce dans les rangs de la LVF, ces supplétifs français de l’armada nazie, lui a coûté la vie au sortir de l’adolescence.

De ne pas oublier que derrière cette fenêtre éclairée d’un néon blafard, plusieurs silhouettes féminines s’activaient déjà sur leur machine à coudre, face au balcon de la chambre d’hôtel où je me réveillais en douceur, prêt à arpenter les trois rives d’Istanbul jusque tard dans la nuit, avant de rejoindre le lit refait à neuf, avec ses draps propres et les feux jamais éteints de l’atelier de confection qui veilleraient bientôt sur mon sommeil.

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17 janvier 2011
[Texticules & icôneries — Septième ciel.]

Ligne de fuite en eaux troubles et inversement.

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15 janvier 2011
[En roulant en écrivant, stylo-scooter —
Extinction du paupérisme.]

Depuis quelques mois, place Martin Nadaud, à deux pas du Père-Lachaise, quelqu’un avait élu domicile dans une cabine téléphonique. Un studio d’à peine 1 mètre carré, sans la douche mais avec caniveau sur le palier. Juste un petit jardin d’hiver pour ne pas finir légume au cimetière d’à-côté ou, mieux encore, un cagibi futuriste avec baie vitrée sur les quatre côtés pour essayer de conjurer la mort lente. En tout transparence, cet usager-là croyait avoir trouvé protection auprès du service public, un précaire refuge à son infortune. De façon illicite, certes… mais quel mal y aurait-il à ce qu’un gueux profite un peu du bien commun ?

Et pourtant, c’en était déjà trop. Trop de misère en libre exposition. Une insulte à toutes les vitrines de Noël. Une faute de goût en plein centre ville. Un attentat à la pudeur sociale. Une honte qui risquait fait tache d’huile. Un spectacle si salement exhibitionniste qu’il méritait censure immédiate. Comme quoi, dès que les pauvres s’occupent d’eux-mêmes, ils ne font plus pitié, ils font peur.

Alors, vendredi dernier, en fin de matinée, on a choisi en haut lieu de faire cesser ce scandale, de déloger l’intrus, de l’expulser de ce drôle de squat miniature : une boîte vocale en grand dérangement. Et tant qu’à faire, aux grands maux, les grands moyens : un camion 12 tonnes. Non pour mettre en demeure l’occupant de quitter les lieux, mais pour transporter sa demeure ailleurs. Et virer tout le vrac d’affaires qui s’entassait à ciel ouvert, direct à la benne. Il a fallu desceller le cube de verre, le tracter sur le hayon arrière du véhicule de chantier… et basta!

Ça y est, il n’y paraît déjà plus rien, ou presque. Deux plots sur le trottoir pour que des employés de la voirie viennent bientôt, d’une couche de bitume, effacer la trace du délit. Un sans-abri de plus à la rue, mais désormais ni vu ni connu.

PS : Dans le même esprit, avec l’adoption récente d’ un article de la loi LOPPSI 2, dite de sécurité intérieure, on pourra bientôt démolir tous les habitats précaires – yourtes, cabanons, mobile home – qui outrepassent les bornes de la propriété foncière et privent de taxes les élus locaux. Ce qui mettra sans doute quelques milliers de gens dans la merde, mais ces hors-la-loi n’ont qu’à coucher dehors, ça leur apprendra à habiter le monde n’importe comment.

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15 janvier 2011
[Texticules & icôneries
Couleurs mitoyennes & sang impur.]

Rouge, blanc, bleu.

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13  janvier 2011
[Avis de recherche — Réparation à l’amiable.]

Dimanche dernier une Renault Kangoo bleu a été fracturée dans cette rue. Et si vous êtes l’auteur, je vous demande de lire la suite, surtout que c’est pas ma voiture mais celle que je dois marier bientôt qui me l’a prêtée juste pour le week-end, alors ça fait mal au cœur. Tout ce qui manque à part l’autoradio, c’était en location, la perceuse, la pince monseigneur, le fer à souder et le reste du matos, alors ça va me coûter gros en caution et pour ce que ça vous rapporte, je suis dégoûté. Mais l’important, c’est que y’avait un cartable cuir aussi, et ça faut me le rendre obligatoirement. Parce que dedans y’a des pièces originales et mes feuilles de paye depuis six ans et que si c’est perdu je peux plus boucler le dossier administratif avant la date échéante, et la promesse de noces pareil, c’est hors délais. Alors si vous êtes honnête, je suis près de faire un effort financier, cent euros sous enveloppe, vous demandez après Momo au Bar des Amis, et là, c’est affaire conclue, discrétion assurée, tout le monde y gagne.

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11 janvier 2011
[Texticules & icôneries — Service public.]

Bouts de ficelle & machine célibataire.

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9 janvier 2011
[Avis de recherche — Chienne de vie.]

Bâtard de sa race, plus vieux que son âge, pelade sur poil beige et noir, yeux plutôt jaunes, sans sexe apparent, + cicatrice à la cuisse et gros problème d’arrière-train, collier rouge à clou avec médaillon gravé Foxtrot, tatouage numéro 2DJD1515, mais pas de puce, ni électronique ni rien, abandonné au pied de l’escalier de la très très grande bibliothèque le jeudi 22 mars après fermeture, loge depuis chez famille d’accueil, 12 rue Watt, rez-de-chaussée, attention la marche, frappez avant d’entrer, sinon aboie dès qu’il croit entendre la voix de son maître dans le poste radio, saute en pleine rue sur les messieurs à lunettes et bouffe comme quatre, tellement que c’est pas un cadeau du ciel et que les plaintes posent un tas de problème côté syndic de l’immeuble, alors si le proprio faisait signe de vie, on lui rendrait son clebs contre remboursement des frais pour le gîte et la gamelle, sinon ça va mal finir à la fourrière ou à la piqûre chez le véto. S’adresser à la gardienne avant 10 heures ou après 18 heures.

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