@ffinités

28 septembre 2012
[Graffiti politiques & poétiques
40 ans d’écritures murales,
remise à jour automnale.]

Il y a quatre décennies et des poussières, les murs prenaient la parole, à la Sorbonne & ailleurs. On a fait tant d’honneur et de rétrospectives à ce graffitisme made in 68 que ça en deviendrait presque suspect. Comme s’il fallait à tout prix embaumer ce défouloir scriptural pour mieux passer sous silence les métamorphoses ultérieures de l’expression sauvage et traiter tous les tags d’aujourd’hui au Kärcher sous prétexte de vandalisme autistique.
Alors, pour  refaire émerger la permanence anonyme & clandestine de la poésie subversive depuis quatre décennies, on a fureté un peu partout, depuis les bombages des années 70 jusqu’au  renouveau du pochoir contemporain. D’où cette compilation numérique, comme un chantier à ciel ouvert, qui voudrait recenser ces écritures à l’air libre de nos quarante dernières années, retrouvées dans des livres, revues, sites web ou, pour les plus contemporaines, avec mon appareil photo toujours aux aguets…

Ici, nul souci d’exhaustivité, puisque la tâche est infinie par définition même. Mais pour donner envie à quelques amateurs de me prêter main forte, pour enrichir la liste de leurs récentes trouvailles ou pour en inventer d’autres à faire soi-même, à découvrir ci-dessous, quelques tags piochés parmi près de deux mille autres déjà compilés ici-même

le monde est trop petit
pour ne pas se rencontrer

[Paris X, Cour des Petites-Écuries, 24 septembre 12 ]

le futur c’était mieux avant

[Toulouse, 22 septembre 12 ]

parce que nous vous volons bien

[Villefranche du Rouergue, mi-septembre 12 ]

…istes
tes intensités
sont tristes

[Paris XX, rue Galleron, 11 septembre 12 ]

à l’avenir chacun
aura droit à 15 minutes
de sobriété
[Paris IV, papier collé, rue Pierre au Lard, 2 septembre 12 ]
rip
chris marker
1921-2012
[Paris, rue de Seine & rue de Bretagne, fin-août 12 ]
je m’inscris
en faux
[Paris III, au pochoir, mi-août 12 ]
les anges sont partout
par terre
[Arles, rue des Carmes, mi-août 12 ]
rêve d’un angle mou
[Paris XX, Quartier Menilmontant, 12 août 12 ]
l’art n’a cœur
[Marseille, «oma», rue des Bergers, 11 août 12 ]
je penche
donc je suis
[Paris XX, rue du Transvaal, 6 août 12 ]
ma femme n’aimait pas les roses
j’ai égorgé ma femme
[Marseille, Pointe Rouge, 4 août 12 ]
thank you
for your therapeutic
smile

fail better
[Londres, quartier Whitechapel, 14 juillet 12 ]
vous jouissez
là où on vous dit
[Paris III, papier collé, «Pællia»,
rue des 4 fils, 13 juillet 12 ]
la maison est à
celui qui l’habite
[Montreuil, avenue de Chanzy, 10 juillet 12 ]
quel est ton film
d’horreur préféré?
[Paris XX, rue Fessart, 9 juillet 12 ]
nothingness is true

pink is not dead

fuir la mort
c’est s’en rapprocher
[Paris XX, place Octave Chanute, 5 juillet 12 ]
niques tes poules
t’auras des oeufs
[Aubervilliers, mi-juin 12 ]
can i have some sexe please?
[Paris XVIII, rue Clignancourt, 12 avril 12 ]
governo spasmo
rivolta orgasmo
[Italie, Rome, au pochoir, février 11]
à chaque être
d’autres vies me
semblent dues
[Paris, 14 quai de Charente,
toilettes de la Coordination
des Intermittents & Précaires, 09 ]
obéissez aux lois des hommes
entretuez-vous
[Nantes, 19 septembre 08 ]
bosser rend bossu!
[Bordeaux, au pochoir, 20 juillet 08 ]
mangez un roux
[Rouen, à la craie, mai 08 ]
je fume ma mort
inspire expire
[Belgique, Ixelle, au pochoir, mi-avril 06 ]

Outre cette compilation systématique & hasardeuse de quarante ans d’écritures murales, on trouvera sur le site un diaporama s’enrichissant au jour le jour d’inscriptions récentes, glanées sur le Net ou prises sur le vif.

Et sens dessus dessous,
quelques arrêts sur image
à partir de photos perso.

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25 septembre 2012
[Texticules & icôneries
Vis-à-vis de nous-mêmes.]

Habiter hors l’image de ses propres cloisonnements.

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22 septembre 2012
[Misère et décadence de l’esprit satirique,
Charlie Hebdo et son fonds de commerce
De l’autodérision subversive
à sa monomanie caricaturale.]

Au milieu des années 60, les fondateurs de Hara Kiri (et du futur Charlie) se sont ouvertement inscrits dans une tradition satirique à-la-française, cette verve confusément libertaire qui fit les heures de gloire du Canard sauvage, de l’En-dehors ou de l’Assiette au Beurre durant la Belle Époque. Ils ont donc repris à leur compte le flambeau iconoclaste des dessinateurs et polémistes du début du XXe siècle, eux qui avaient combattu l’alliance du sabre & du goupillon à la tête d’un Etat soi-disant laïcisé et mis en pleine lumière, au revers de cette médaille, la logique homicide des injustices sociales. Si, un demi-siècle plus tard, le programme restait le même, il s’agissait désormais, pour la bande à Charlie, de renouveler leur cible, au diapason contestataire des seventies. S’attaquer aux puissants, c’était dénoncer frontalement l’ordre disciplinaire de l’école, de la caserne et de l’usine, lui renvoyer en miroir l’image de son arbitraire «bête et méchant». Et si l’anticléricalisme primaire y jouait encore un rôle important – avec son lot de blagues scatologiques à propos de Jésus ou de son avatar vaticanal–, cette provocation s’attaquait aux vestiges de notre religion dominante, celle qui pesait encore sur nos us et coutume, qui nous aliénait de l’intérieur. C’était la merde que chacun d’entre nous pouvait avoir dans la tête qui était visée, cette putain de mauvaise conscience biblique qui nous confrontait au ridicule de notre propre civilisation, et pas les barbares de la religion d’à côté, ces étrangers irréductibles à nos universelles valeurs… mais n’anticipons pas.
Dépassant le seul cas de la fixette anti-chrétienne, ce principe d’auto-dérision semblait alors essentiel à l’identité même du journal – via Choron, Siné ou Cavanna sans oublier le plus subtil Reiser – qui pratiquait un humour graveleux, tout en accusant le trait de cette « grosse dégueulasserie » franchouillarde. En schématisant, on pourrait dire que cette feuille de choux se payait la gueule des «beaufs» tout en assumant sa part de beaufitude. Non pas sous la forme d’un exutoire phobique, mais d’un défouloir auto-sarcastique, qui permettait d’exagérer les pires préjugés (y compris racistes ou sexistes) qui peuvent traverser la tête de chacun d’entre nous, tout en en faisant la critique radicale. Le ressort paradoxal de cette caricature-là n’épargnait personne, mais en commençant toujours par soi, c’est-à-dire par le rapport ambivalent qu’entretient le comique avec les travers qu’il dénonce chez autrui. Il englobait ses contradictions intérieures au sein même de sa charge assassine.

Une fois exposée cette marque de fabrique du Charlie première manière, on mesure mieux le chemin parcouru depuis, non pas seulement à cause du donneur de leçon carriériste Philippe Val et de son éminence grise Caroline Fourest (ne leur prêtons pas tant d’importance ad hominem), mais sous l’influence des crispations identitaires qu’ont connu les décennies suivantes. Ainsi est-ce très progressivement que ce contre-pouvoir satirique s’est focalisé sur les signes ostentatoires du péril islamique, rejoignant dès lors les Cassandre néo-réacs du fameux «choc des civilisations». Jusqu’à cet hiver 2006 où – quelques mois après la publication de 12 dessins se payant la gueule de Mahomet (à forte connotation anti-arabes) dans Jyllands-Posten, un quotidien ultra-conservateur danois –, la rédaction de Charlie décidait d’emboîter le pas à ces martyres de la «la presse libre», victimes de diverses Fatwas intégristes, sans poser en aucune manière la question des relents nauséabonds du discours anti-immigration qui accompagnait implicitement sa publication initiale au Danemark. Dès lors, en choisissant de coller à l’aubaine de ce scandale, fut-il promu par des confrères empreints de préjugés racistes, l’irrévérence « beauf » ne jouait plus qu’à sens unique, contre un ennemi commun aux laïcs & aux fascistes, un ennemi extérieur à nos consciences civilisatrices, et cela sans aucune nuance ni distinguo quant aux populations musulmanes amalgamée en bloc pour mieux les montrer du doigt (dans le cul, bien sûr). Plus une trace d’autodérision, mais le surplomb moralisant d’un opportunisme commercial qui allait rapporter gros, et même décupler les ventes pendant les mois suivants.

Et cette semaine, Charlie remet le couvert, en nous jouant la même comédie de la «liberté d’expression». Pourtant, ils auraient pu tirer quelques leçons du feuilleton précédent, mais non. Le scénario se rejoue à l’identique, six ans plus tard, un deuxième numéro spécial Mahomet (cul à l’air, toujours), dans le sillage, cette fois, d’une vidéo étazunienne conçue par des évangélistes d’extrême-droite. Et là, les collaborateurs de Charlie auront beau prendre leurs airs de vierges effarouchées, ça ne prend plus. Qu’ils se fassent leur coup de pub, mais pas au nom de l’émancipation des peuples. Leur mauvaise foi anticléricale a bon dos, ça sent le remake à plein nez, et le cynisme boutiquier.
Le printemps arabe est pourtant passé par là, ouvrant d’autres issues à la subversion des conservatismes tyranniques et des traditions obscurantistes de l’autre côté de la méditerranée. Rien à foutre chez Charlie, tous dans le même sac. Et d’agiter encore le chiffon vert de l’islam, sans s’inquiéter des retours de flammes, ou pire encore, en espérant que cette prophétie catastrophiste aura des vertus auto-réalisatrices : la preuve que les barbus salafistes sont à nos portes, c’est qu’ils priaient sur la place de la Concorde samedi dernier, même s’ils n’étaient que 180. Encore un petite provoc, et ils seront dix fois plus. Et là, on aura démontré que la cinquième colonne est bien dans nos murs. Puisqu’en cette nouvelle manière satirique, il s’agit de justifier a posteriori la véracité d’une menace fantasmatique. Au lieu de se réjouir du peu d’emprise des manipulateurs wahabites, et de leurs généreux donateurs des Emirats, sur les «masses arabes» (à peine quelques milliers place Tahrir ou ailleurs), on préfère parier sur la remobilisation de ces fanatiques. Et tant qu’à faire, on leur file un prétexte en or massif. Ça s’appelle une politique du pire, n’en déplaise aux bouffons attitrés de Charlie qui manquent décidément de garde-fou autocritique. Mais ils s’en contrefoutent, à leurs yeux de potaches bravaches, tout est bon dans le blasphème «pinard et cochon», même avec d’infréquentables alliés objectifs, du moment que ça fait du pognon sur le dos des «pauvres cons» de mahométans.

N’empêche, ils auront beau se réclamer de la lignée de l’Assiette au beurre, l’argent de ce beurre-là sent le rance. Les Charb & Cie devraient méditer l’avertissement de feu Pierre Desproges : «On peut rire de n’importe quoi, mais pas en n’importe quelle compagnie». Leurs gauloiseries et rires gras de fin de banquet républicain ne font pas d’eux de nouveaux Diogène, rétifs aux honneurs et à toutes les crédulités, mais de cyniques excommunicateurs de la libre-pensée et profiteurs de guerre… de religions.
Et pour en finir avec ce fonds de commerce, en guise de dédicrasse à ses plumitifs, la reproduction de la une d’un brûlot anarchiste anglais datant de 1916 et le petit poème satirique que ça m’a inspiré :

Cours, cours, petit canard sans tête
aux pas cadencés
des trompettes apocalyptiques
cela fait belle lurette
que ton esprit critique
s’est de lui-même décervelé.

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20 septembre 2012
[Texticules & icôneries
Folles surenchères
entre propriétaires.]

Au coin de la rue… l’aventure :
vente à l’arraché, rente à l’usure.

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16 septembre 2012
[Texticules & icôneries
Triptyque des fausses semblantes.]

Têtes en l’air qui font la paire pour pas cher.

D’autres surimpressions sur la voie publique,
splendeurs et illusions du lèche-vitrine,
parmi la série des Serial Posters, ici et .

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14 septembre 2012
[ Sainte-Nitouche, la fille ni bien ni mal —
Oratorio de Luis Naon,  livret de Yves Pagès,
l’intégrale en CD, et extraits ici même.]

En 2002 Luis Naón m’avait proposé d’écrire le livret d’un oratorio pour un petit ensemble instrumental et la soliste mezzo-soprano Sylvia Marini (qui, hasard délicieux, n’était autre que la fille de Giovanna Marini, ethno-musicologue, chef de chœur et interprète de l’inoubliable Lamento per la morte di Pasolini). J’ai tenté ma chance en vers libre, à partir de ce prétexte scénographique : le monologue d’une effeuilleuse de Peep Show. Sainte-Nitouche,  la fille ni bien ni mal, ça s’intitule. En contre-point la comédienne Agnès Sourdillon s’est chargée des didascalies sur bande-enregistrée et moi-même des petites annonces en voix-off. Ça s’est joué une poignée de fois lors de la création au Carré Monfort et à Nanterre, avant de reprendre une seconde vie (avec d’autres musiciens et une autre chanteuse) dans les sous-sols de l’Opéra de Buenos Aires, fin août 2011. Pour se faire une idée, il suffit d’aller mater la vidéo du spectacle, réalisée par Diego Pittaluga, ici ou . Avec Agnès Sourdillon (alias Miss Didascalie) en ouverture rose-bonbon.

Aujourd’hui, dernière étape de l’aventure, un nouvel enregistrement sort en CD (avec l’ensemble Diagonal dirigé par Ruth Schereiner et la mezzo-soprano Sylvia Vadimova). Plus de détails sur le site du compositeur, ici même, ou chez le coproducteur La Muse en Circuit.

Au revers de la pochette du CD, on m’a demandé de résumer l’argument de la pièce, au plus court, ça donne ça :
«Le livret de Sainte-Nitouche est le fruit d’un défi paradoxal : habiter la parole d’un personnage féminin d’ordinaire cloîtré en un mutisme absolu, la strip-teaseuse de Peep-show. À cette diva irréelle, privée des cinq sens par une glace sans tain, il fallait redonner le patchwork d’une parole, tandis que les sept instrumentistes et la mezzo-soprano travailleraient de l’intérieur les flux & reflux de sa conscience. Programme iconoclaste, puisque de l’autre côté du miroir de la femme-objet, les lieux communs du spectacle érotique se brisent pour dévoiler d’abyssales ambivalences : dégoût et addiction, harcèlement et provocation. Côté partition, c’est une semblable subversion des codes qui est à l’œuvre, celle du répertoire de cabaret (valse, tango et blues) passé au crible d’une tortueuse mélancolie et  d’autres fureurs rythmiques. Sans oublier le parasitage du chant lyrique par les jingles de la pornographie marchande : petites annonces roses et réseau de rencontre sur bandes pré-enregistrées. D’où, au final, cette boîte vocale composite, complexe, mais jamais inaccessible aux oreilles peu savantes, qui, renforcée par trois «satellites» solistiques, orchestre les cordes sensibles et vents contraires d’un désir au prise avec ses propres stéréotypes.»

Ci dessous, deux extraits pour entrer dans le vif de l’écoute.
La première «Complainte»
03 Peep Show 1
La litanie des «Petites Annonces»
04 Petites Annonces

Et dans la foulée, de larges extraits du texte,
accessible en entier sur ce simple déclic.

Miss Didascalie :
Moi, c’est Miss Didascalie. Je transite, transpose, transpire.
À ma gauche, les questions, à ma droite les réponses. J’expose, expire explicite… Bienvenue à Pigalle City, salle des passes perdues. Feinte Nitouche arrive, elle est là. Entre ses jambes, il y a l’ombre d’un doute…
À ma gauche, les preneurs de sons, à ma droite, le chœur des otages. Feinte-Nitouche a les deux sexes à ses trousses. En elle, tous deux polarités s’opposent, s’overdosent, s’osmosent…
À ma droite, le déni des uns, à ma gauche le dépit des autres…
Sous vitrine blindée, Feinte-Nitouche consent, conspue, confesse.
Les mateurs sans tain s’ameutent derrière le plexiglas.

Feinte-Nitouche :
Sur la scène du peep-show
tout me crève poupée muette
Je sue, je sais, je sens
whore…! whore…! whore…!
où va l’effort
des idées fixes dans mon dos
je vois, je bois, je crois
non oui encore
aux noms qu’on me prête
à leurs cris de bêtes
flûtés haut et fort
les mots placebo
qui pansent leurs corps
whore…! whore…! whore…!
I’am the whore in your mirror

Petites annonces :
Châtain, sportif, sang bleu /
si mal marié si seul /
cherche de petits seins /
rousse décommandée /
horizon quarantaine /

Maître-chien à mi-temps  /
bikini plus ou moins /
cherche la proie pour l’ombre /
en vue photos sur pied /
sommeil et davantage /

Feinte Nitouche :
Castaño, deportivo, sangre azul /
tan mal casado tan solo /
busca pechitos /
pelirroja abstenerse /
cuarenta límite /

Miss Didascalie :
À ma gauche les mensurations de la femme placebo, à ma droite les droits et devoirs extra-conjugaux.
Nitouche suppute dans le noir. Sous les spots, elle a pleuré d’abord. Depuis elle s’effeuille les yeux bandés. Elle se déhanche par tranche d’un quart d’heure et puis ravale ses temps morts avec des speeds en cachets. Quand vient la pause, elle rêve de se quitter, d’un coup de rasoir au poignet. Quinze strips d’affilée, lordose, migraine, cheville foulée. À l’heure bleue des camés, quand le nez sniffe à la chaîne, elle se repoudre, elle a sa dose par terre, plus la peine d’oreiller.

Feinte-Nitouche :
Sur la scène du peep-show
j’ai envie d’être défaite
ils s’agrègent, m’assiègent, m’arpègent,
Bitch…! Bitch…! Bitch…!
moderato
et leur légende sous ma photo
feint la pute
me rend grâce, m’enchâsse, m’efface,
j’entends que l’on me traite
et puis «chut!»
qu’on s’entête à tête
si près du but.
Bitch…! Bitch…! Bitch…!
I’am the bitch you switch… on and off…

Sur la scène du peep-show
l’anonymâle m’analphabète
m’analyse, m’ânonne, m’anorexise
Sexe…! Sexe…! Sexe…!
sonne le glas
des glaces sans tain ni cortex
je songe, j’allonge, j’éponge
hors de moi
petites morts pinéales
giclées illico
entre phalangettes
cogite réflexe
Sex…! Sex…! Sex…!
Kleenex alea jacta sex

Miss Didascalie :
Feinte-Nitouche se donne en spectacle. Je la prédispose, préfigure, prédestine. Attention, elle ne s’enchante qu’à contrecœur… Feinte-Nitouche se fait miroiter de gauche à droite. Elle se prend pour les deux à la fois, prise mâle ou femelle…
Miss Didascalie s’étire, s’empire, se retire. Le prétexte n’a plus rien à dire. À toi Feinte-Nitouche. Dis-nous le chantage qui te fait chanter.

Feinte-Nitouche :
Enchantez
l’aphone
aux aboies
d’un mot de passe
qui résonne
du fond des os
Ébranlez-moi
radius cubitus
tout à la fois
rictus qui crisse aux confins du coccyx
déboîte l’omoplate gauche puis droite
lapsus abrupt qui bute sur l’occiput
m’empale vertébrale jusqu’à la moelle
hiatus ridicule qui m’annule mandibules
m’époumone le sternum d’un ultimatum
Moi l’infâme
Vous métronome
encore
no more
terminus
syllabus
motus

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10 septembre 2012
[Texticules & icôneries — Presqu’île ou elle.]

Couple à l’état fossile en bord de chair.

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7 septembre 2013
[Graffiti, pochoirs & papiers collés,
entre Street Art officiel
& énergie de l’informel —
Huit ans d’exposition sauvage,
sur le mur du 15 rue du renard.]

Un bref séjour estival à Londres (avant la farce olympique) aura suffi pour constater que dans le centre-ville (au sens large), l’omniprésence de la vidéosurveillance, la délation subventionnée & la chasse aux incivilités low-class ont éradiqué la trace du moindre flyer, sticker ou bombage. Et pas plus de souillure murale que de pauvres, puisqu’il en coûte pas moins de 300 pounds mensuel à un banlieusard londonien pour accéder au cœur touristique de la capitale britannique, de fond en comble gentrifiée & aseptisée. À ce tarif, autant ne plus jamais foutre les pieds downtown, là où quelques monuments historiques servent de produits d’appel à une galerie marchande unlimited. En bref, pubs partout, tags nulle part.
Et pourtant, de Covent Garden à Camden Town en passant par Notting Hill, dans les boutiques de souvenirs, posters, T-shirts et autres cartes postales, les reproductions du street artist Banksy font un tabac, son ironie subversive déclinée sous toutes les coutures, du moment que ça reste hors sol, pas sur les murs quoi ! Ainsi va l’hypocrisie mercantile, ici plus outrancièrement qu’ailleurs. Et si, depuis les sixties, parmi chaque nouvelle génération, certains bad boys se mettent à faire scandale – no future ou spray it yourself – pourvu que ces fautes de goût rentrent dans l’ordre d’une excentricité so british, ça leur passera avec l’âge, comme au temps du recyclage punk.
Depuis toujours outre-Manche, on tolère les excès des marges sub-culturelles, on en revend aussitôt la marque de fabrique, fun et non-sense, pour sauver les apparences d’une société aux castes bien hiérarchisées, séparées, policées. Tant que ça ne souille pas les abords du plus puissant des paradis fiscaux, la City, ça sert de défouloir underground, de soupape aux politiques ultra-sécuritaires et de bonus track au business as usual. Quant à l’activiste aérosol Banksy, lui aussi, ses messages pirates étaient borderline, ça faisait grosse tache dans le décor urbain, trouble-fête malséant, alors on lui a trouvé une place à part, sa cour de récréation autorisée, juste pour la galerie. La preuve, dans un quartier proprettement ripoliné de frais, aux confins de Portobello street, après les voies ferrées, on lui a laissé un espace vacant, sur la façade d’un petit pavillon à l’anglaise, sous vitrine, pour marquer le coup publicitaire, avec son blaze en gros, livré au paparazzisme folklorique.

Et cette année, poor little rich Bansky, le voilà bouffon officiel du Queen’s Jubilee. Mais histoire de se changer les idées noires, on prendra donc le tube jusqu’à la sation Whitechapel – l’ancien ghetto juif d’avant la Première Guerre mondiale où les anarchistes de Freedom press prospéraient parmi les migrants prolétariens employés sur les Docks. Aujourd’hui le quartier, à dominante indien & pakistanais, habrite aussi toute une jeunesse précarisée, en attendant que les prix des loyers flambent à leur tour. Et ses murs portent la trace encore vivace d’une imagination florissante. Plus pour très longtemps, sans doute.

Revenons à Paris, où cet été, les sous-traitants au nettoyage mural, n’ont pas chômé. Normal puisque, pour séduire son électorat, Bertrand Delanoë a fait de la propreté (anti-papier gras et anti-pipi) son objectif number one. En stigmatisant chaque «pollueur» en puissance, car selon cette municipalité écolo-socialiste, c’est bien connu, l’invasion des prospectus promotionnels, le gâchis des emballages de bouffe industrielle ou les toilettes payantes dans la plupart des cafés, ça n’a aucune conséquence sur la voie publique. Et c’est bien de leur faute, aux sdf, s’ils pissent au plus près dans tel obscur recoin. Pire que les clébards à qui on a appris le caniveau.

Et dans le sillage du même discours, selon des standards upper class mondialisés, la chasse aux tagueurs bat son plein. Le vandalisme graffitiste est désigné par la Mairie comme la pire manifestation de cette « irresponsabilité individuelle » qui dégrade la vie en collectivité (puisqu’il n’est aucune responsabilité collective dans la dégradation des conditions de vie de chacun, cqfd). Ça pue la rhétorique culpabilisante et hygiéniste de droite, mais peu importe, ça caresse le consensus mou dans le sens du poil. Et cette cet insidieux détournement du mot d’ordre «Pollueur-Payeur» – soumettant les contrevenants à des amendes exorbitantes, comme la SNCF le pratique déjà, sans grand succès  –, ça plaît à ceux des contribuables parisiens qui, non contents d’avoir spéculé à la hausse sur le capital symbolique et immobilier du Paris-bohème voudrait désormais chasser tous les corps étrangers de leur zone d’habitation résidentielle, tout ce qui fait tache (de peinture) ou signe extérieur (de non-richesse).
Exception confirmant cette immaculée conception de l’urbanisme, le bio-pouvoir municipal a ménagé ici ou là des zones de Graffs autorisés – souvent d’immenses murs aveugles – concédés à tel fresquiste ou affichiste de renom, sans oublier quelques commandes qui permettent à certains d’enluminer la devanture d’un commerce ou, comme pour la pionnière institutionnalisée Miss-tic, de relooker façon rebelle le cul des camions de location. Ça permet à la Mairie de se donner un air bienfaiteur auprès des têtes d’affiche du Street Art, tout en éradiquant partout ailleurs la moindre trace des formes spontanées, hétéronymes et mutantes de ce même mode d’expression. Ou alors, il faudra se contenter des quelques dizaines de mètres carrés que l’association M.U.R. s’est fait concéder à l’angle de la rue Oberkampf et de la rue Saint-Maur, petit îlot branché pour happy few de la mouvance. Graffitik Park, utopie arty en liberté très surveillée.

À rebours d’un tel désir de reconnaissance à but lucratif, restent les amateurs d’arts graphiques incontrôlables. Pour tenter d’en capter l’éphémère renouvellement, j’ai choisi un lieu parmi tant d’autres, le renfoncement d’une sortie de garage, au 15 rue du Renard, entre le centre Beaubourg et la place de l’Hôtel de Ville, où photographier sous le même angle, à date régulière ses métamorphoses en façade. Et depuis le printemps 2010, ça a tenu ses promesses, les motifs n’ont pas cessé de se succéder, recouvrir, parasiter, tandis que les effaceurs d’encre de la Mairie, à la demande de riverains outragés, repassaient de temps à autre une couche de grisaille qui servirait d’à-plat au prochain intervenant nocturne. Pour compléter la série, j’ai retrouvé les quatre «saisons» au pochoir que Nemo était parvenu à installer dans la durée entre 2004 et 2009. La suite des événements picturaux laisse imaginer certaines luttes de territoire ou d’ego (entre le répétitif Konny et le très subtil Sean Hart), sinon le hasard objectif d’empiètements mutuels, puis des périodes de censure monochrome ou de fade propagande électorale qui relancent à leur insu le processus.

Au total, ci-dessus, huit ans d’une vie picturale, au recoin de cette rue, remettant au jour les secrètes superpositions d’un palimpseste.

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4 septembre 2012
[Texticules & icôneries
Cercle vicieux du recyclage.]

Saint iconoclaste sur papier peint.

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2 septembre 2012
[Souviens-moi (suite sans fin)]

De ne pas oublier qu’au moment d’entamer cette phrase j’ai cru réentendre dans mon dos le souffle glaireux, poussif mais régulier de ma mère, à l’hôpital Saint-Louis, quand elle vivait les heures dernières d’une surinfection pulmonaire sous masque respiratoire, alors que non, fausse alerte, après vérification dans la chambre à côté, il s’agissait du fer à repasser qui, soupirant sa vapeur à vide faute d’eau dans le réservoir, semble m’avoir voulu prévenir des risques et péril qu’il y aurait à ne pas le débrancher avant de partir.

De ne pas oublier que, parmi tous les muscles de l’anatomie humaine, le plus puissant est celui baptisé «petit zygomatique», qui assure aux commissures labiales la pression des mâchoires, nous permettant ainsi de hacher notre pitance quotidienne, de remâcher la double articulation de nos paroles, mais surtout, à mots couverts et pommettes rentrées, de sourire en coin.

De ne pas oublier cette plaquette contraceptive aux trois quarts évidée qui, sur ma table de nuit de jeune bachelier, prouvait selon un calendrier froidement posologique que mon aventure avec Nathalie, à cheval sur deux semaines, s’était achevée la veille de ce troisième mercredi où la case était encore pleine, et que, par défi hormonal ou pour mieux me sevrer au terme du mois écoulé, il m’aura fallu consommer notre rupture en avalant d’un seul trait l’ensemble des pilules restantes.

De ne pas oublier que si j’avais eu l’audace de m’inscrire aux Beaux-Arts, en attendant de savoir quoi faire de mes dix doigts, j’aurais par-dessus tout désiré y apprendre la couture sur canevas, mais que, à défaut de posséder ce savoir à la fois aristocratique, ringard et efféminé – la broderie –, je n’ai jamais osé mettre en forme l’œuvre textile qui m’avait alors effleuré l’esprit : surligner de rosaces typographiques le point de croix d’une vieille serpillière, en trois mots au fil rouge, donnant quelque relief à la pauvre devise d’une armoirie ménagère : sera pire hier.

De ne pas oublier que, du temps où Martine Aubry était ministre du Travail et de la Solidarité, il lui avait fallu définir les profils professionnels des futurs Emplois-Jeunes, et que, parmi la nomenclature de ces services à pourvoir, le petit comité qui phosphatait à Matignon avait dû en écarter de trop fantaisistes, dont celui-ci in extremis – «animateur de cimetière» –, confidence faite par un conseiller aux dents longues qui espérait, par ce détail anecdotique, me dérider hors antenne avant une émission où j’étais venu parler des « petites natures mortes » de la survie précaire.

De ne pas oublier que si de rares personnes, dont un marchand de légumes à Montreuil, soutiennent que l’ingestion de poireaux cuits donne au sang un arrière-goût infect censé dissuader les moustiques femelles d’user de leur trompe suceuse, la plupart des herboristes amateurs conseillent de se parfumer préventivement aux essences de géranium, de basilic ou de citronnelle, ce qui peut attirer certaines âgées et révulser d’autres entourages, tandis que les manuels de médecine douce ne recommandent l’usage du poireau qu’une fois le mal déjà fait, en rondelle bien crue et juteuse appliquée sur la zone urticante, sans oublier à ce même effet, d’après un site web consacré aux maladies cutanées, sexuellement transmissibles ou non, qu’on peut aussi frotter chacun de ses boutons avec un cachet d’aspirine non effervescent ou un sachet de thé vert infusé de fraîche date.

De ne pas oublier que, ne comprenant un traître mot aux néologismes dont mon père, le professeur ès sciences humaines Robert P***, usait et abusait en famille ou en d’autres colloques et séminaires, je lui avais promis que, le jour où il aurait inventé plus d’obscurs concepts que le Petit Robert ne comportait de noms communs, il faudrait procéder à son internement immédiat, menace demeurée sans suite, faute d’avoir jamais eu l’inhumaine patience de dénombrer les vocables inconnus qui, par milliers, s’étaient rajoutés dans la marge des dictionnaires empilés sur son bureau, s’adressant à nul autre locuteur que lui-même.

De ne pas oublier que, à l’époque où j’habitais non loin de Pigalle, cherchant l’inspiration en la chapelle Sainte Rita, j’ai fini par ouvrir le cahier d’intentions de prière, non pour y ajouter la mienne – un petit boulot à gros salaire svp –, mais pour lire à la dérobée les supplications précédentes, toutes dédiées à la patronne des «causes perdues», jusqu’à tomber sur celle-ci – Enlève-moi le Mal de tête – et que, soucieux d’en citer la tournure exacte dans un prochain livre, sans rien travestir de son évidence, j’ai arraché la page entière et laissé en suspens d’autres vœux pieux pliés en quatre dans ma poche revolver.

[La série des Souviens-moi ayant fait son
chemin par extraits sur ce Pense-bête,
on en retrouvera la somme remaniée et
augmentée dans un volume à paraître
aux éditions de l’Olivier en mars 2014.]

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