10 mars 2014
[L’invention de la cage anti-SDF
par un Centre des Impôts parisien.]

Il y a presque un an et demi, Florian – un sans-abri d’origine italo-roumaine qui avait trouvé refuge depuis quelques mois dans un recoin jouxtant le centre des Impôts au 14 de la rue Michel le Comte [Paris III] –, est décédé d’un brutal arrêt cardiaque, dans la nuit du lundi 24 septembre 2112, à l’âge de 36 ans. Ses compagnons d’infortune et quelques riverains qui appréciaient sa façon bohème (mais peu bourgeoise) de jouer des airs balkaniques à la guitare sèche ou d’entonner quelques chansons à boire, ont, dès le lendemain de sa mort, improvisé sur place un autel à sa mémoire, avec des dizaines d’affichettes scotchées au mur et tout un tas de bougies ou de fleurs par terre, sur cette bouche d’aération où il empilait carton et sac de couchage pour y sommeiller en plein air.

Évidemment, ce lieu de recueillement public n’a pas conservé pignon sur rue très longtemps. Routine hygiénique oblige, les employés de la Propreté de Paris ont eu vite fait de disperser un tel vrac de souvenirs au Kärcher. J’y avais déjà consacré un petit reportage sur le vif ici même.

Reste que cet élan de générosité alentour a contribué à faire rapatrier le corps du défunt au pays (des Carpates). Faute de quoi il aurait fini au « carré des indigents » du cimetière de Thiais (Val-de-Marne) où le collectif Les Morts de la rue s’efforce désormais d’organiser des obsèques, maintenant qu’un semblant de sépulture individuelle a remplacé la traditionnelle fosse commune.

Depuis lors, en ce même renfoncement du 12 rue de la rue Michel, plusieurs sans-logis ont élu leur domicile précaire au gré des coups de froid, des records de pluviométrie ou des pics de canicule. C’était encore le cas il y a mois comme j’ai pu le vérifier en filant une clope au résident du moment. D’où ma surprise en apercevant la semaine dernière que de hautes grilles avaient été érigées pour condamner cette zone de repos précaire. Qu’on en juge de visu.

Il s’agit bien d’une cage anti-SDF, scellée profond dans le trottoir et clôturant cet angle mort, afin d’en interdire l’accès aux amateurs de « mendicité agressive », selon l’expression hélas consacrée. On connaissait les divers stratagèmes du mobilier urbain pour empêcher la station assis ou couchée des « parasites sociaux »…

Mais là, un nouveau pas est franchi avec ce genre d’innovation zootechnique : grillager une portion de la voirie pour enfermer les sans-logis dehors ! Privatiser deux ou trois mètres cube de l’espace public pour éviter que s’y installe un « profiteur de l’assistanat ». Construire en 3D un sas d’exclusion exemplaire au cœur du Marais dévolu au tourisme de masse. Et répondre par avance à toute objection en ces matières ditres humanitaires : plutôt rien qu’un moins-que-rien.

Difficile d’effacer les traces de la barbarie à l’œuvre derrière ces barreaux. Une main inconnue a même tenté de recoller le vestige d’une rose in situ.

Autre détail troublant, sur le cadenas maintenant verrouillée cette exposition édifiante, un couple d’amoureux y a déjà inscrit les initiale de leur idylle, sans penser à mal.

Quant au responsable de cette mise sous séquestre de ce bout de trottoir, il suffit d’interroger un commerçant limitrophe pour obtenir la réponse: « C’est le Centre des Impôt qui s’est plaint de trouble de voisinage…»

En fait le Centre des Finances Publiques, comme il est indiqué sur une affichette depuis la fin des travaux.

Quant au grossiste en bijoux fantaisie et autres tours Effeil miniatures, sur le trottoir d’en face, ça ne lui a pas porté chance. Il a dû faire faillite peu après la mort de Florian, à en juger par sa vitrine passée au badigeon blanc et aux lettres manquantes de sa raison sociale.

Pour faire circuler ce texte, le lien est ici même