@ffinités

31 août 2012
[Texticules & icôneries
Seuil de pauvreté & mentalité d’alité.]

Profiteur cynique du minimum vieillesse

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29 août 2012
[La politique du pire de Richard Millet :
un marketing littéraire bête & immonde.
]

En publiant, ce 24 août, dans son recueil Langue fantôme, un «Éloge littéraire d’Anders Breivik» aux éditions Pierre-Guillaume de Roux, le prosateur xénophobe Richard Millet entendait commémorer, à sa façon macabre, la mort de 77 jeunes militants sociaux-démocrates froidement exécutés par le susnommé Breivik sur l’île d’Utoya, le 22 juillet 2011, en Norvège. Mieux, la date de sortie de l’opuscule à scandale était programmée pour concorder avec celle du procès où le tueur avait promis de revendiquer haut et fort le sens politique de ses actes au nom d’une croisade anti-mahométane et d’une défense de la civilisation Occidentale réduite à sa plus simple expression skinhead: le White Power, tendance Viking endimanché.

Aux meurtres prémédités de l’un a ainsi répondu le cynique plan média de son disciple «littéraire». Le choc des photos, le poids mort des mots (d’auteur). Top synchro! Et chez quel éditeur! Un fils de… et pas n’importe lequel, celui de Dominique de roux, génial découvreur textuel, mais aussi dandy fasciné par les décombres du national-socialisme, n’en déplaise à son honteux rejeton qui depuis des décennies menace quiconque traiterait son père de fasciste d’un procès en diffamation. Ici la boucle est bouclée, à visage enfin découvert.
Quant au martyr publicitaire Richard Millet, ce serait indélicat d’ébaucher sa nécrologie avant terme, mais on peut déjà y entrevoir le double visage du spectre esthétique de l’écrivain post-réactionnaire: vanité carriériste et misanthropie sélective. Et s’il fallait accuser les traits de son portrait-robot en quelques périphrases, cela tiendrait du cadavre exquis, «littéraire» bien sûr. Pour s’en faire une idée, le début d’une liste non exhaustive :

Homme de seconde main du phalangisme libanais;
Copieur conforme du pseudo-anti-conformisme ;
Poor lonsome victime de la fashion fasciste;
Archange déçu des chiffres de ses ventes;
Vétéran de ses blessures narcissiques;
Littérateur mercenaire en tous genres;
Petit bonhomme des arts et de l’être;
Chantre de la purification langagière ;
Matamore, alias tueur-de-Maures ;
Pousse-au-crime par procuration ;
Barde du christianisme agraryen ;
Maniaque de l’aigreur cultivée ;
Taurillon de salon du livre ;
Tête de lard islamophobe;
Prosélyte de soi par soi;
Bad boy bcbg ;
Néo-naze… tout court.

Ici s’achève ma spéciale dédicrasse. Reste à chacun tout loisir de poursuivre cette énumération en trouvant à ce triste sbire d’autres titres de bassesse.
Quelques mots encore, qui me viendraient si j’avais l’occasion de m’adresser directement à Richard M. : «Côté business-plan, ton pamphlet va peut-être trouver sa niche, son cœur de cible, bref ses amateurs de provoc victimaire. Le lyncheur lynché, ça peut te rapporter bingo… Endosser le costume du bourreau tout en arborant ses plaies doloristes, c’est un fonds de commerce qui fait fureur dans le landernau médiatique. Le beurre rance et l’argent du beurre. Alors, en attendant de savoir si ton Best-killer marche aussi fort que prévu, jouis bien de tes passions tristes, Richard M., bon buzz et bon ulcère.

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27 août 2012
[Résumé des épisodes précédents
Vacances à géométrie variable.]

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24 juillet 2012
[Texticules & icôneries — Prétexte & image.]

Portail pas tellement numérique.

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18 juillet 2012
[Souviens-moi (suite sans fin)]

De ne pas oublier que, si j’ai bien dû commencer par croire au Père Noël, il ne me reste rien de palpable ni d’intelligible de cet état d’ingénuité en bas âge, et que mon premier souvenir d’enfance tient à une supercherie ultérieure qui pourrait se résumer ainsi: ces quelques années où, pour ne pas décevoir mes parents, je les ai dupés en laissant croire que j’y croyais encore à ces cadeaux tombés du ciel et à leurs faux-semblants qui sentaient déjà le sapin.

De ne pas oublier que, depuis le renforcement du plan Vigipirate au cours des années 90, toutes les poubelles parisiennes ont été pourvues de sacs plastiques d’un vert non opaque où deux mots d’ordre s’inscrivaient en majuscule – VIGILANCE et PROPRETÉ – et que, cette mesure d’exception étant toujours en usage, elle bénéficie désormais aux glaneurs et chiffonniers qui peuvent deviner à l’œil nu de quel type de déchets regorge chaque poubelle, selon ces deux principes implicites: TRANSPARENCE et PAUVRETÉ.

De ne pas oublier que ma première invitation dans une bibliothèque municipale en tant qu’écrivain avait pour objet une table ronde consacrée au «désherbage» des rayonnages, soit la meilleure façon de libérer de l’espace parmi les étagères en se débarrassant des ouvrages les moins consultés, ce qui présageait du triste sort de la plupart des livres qu’il me viendrait à l’esprit d’ajouter inutilement à ma bibliographie.

De ne pas oublier que, trois ans après le massacre des émeutiers de la faim en Algérie, le Front Islamique de Salut était fatalement sorti vainqueur des élections législatives de 1991, mais que, ce parti ayant alors été interdit par la caste militaire au pouvoir, plusieurs centaines des cadres et dirigeants du FIS furent internés dans des camps de sûreté aux confins du Sahara, dont ceux de Reggane, Oued Namous et In M’guel, ce triangle de la mort où le gouvernement français avait secrètement entamé une série d’essais nucléaires à partir de 1960, léguant aux autorités suivantes une vaste zone irradiée qui trouverait trente ans plus tard son utilité concentrationnaire, de décontamination idéologique.

De ne pas oublier qu’au lendemain d’une cuite mémorable, suivie d’un total black out, on m’a rapporté que j’avais trinqué à la vodka avec l’aquarium qui trônait sur la table basse et que, peu de temps après, il m’a bien fallu constater que les deux poissons en eaux troubles s’étaient mal accommodés de ces toasts à près de 40 degrés d’alcool, au point de perdre l’ancienne pigmentation de leurs écailles, l’une rouge, l’autre noir, pour finir à l’état de friture translucide.

De ne pas oublier que, selon un ami peintre hongrois, le patronyme Szarközi provient de deux racines distinctes – Köz signifiant «qui provient de» et Szar «la boue» –, en lien  avec les zones marécageuses de la rive droite du Danube où se trouve le village de Sarkôz, ce nom originellement plutôt Rrom étant porté par ceux qui s’occupaient de l’approvisionnement du charbon en ces terres vaseuses, mais qui pouvaient s’ennoblir par l’adjonction d’un y, sans oublier qu’en ces anciennes terres de Hasbourg la tradition a longtemps voulu que certains Tziganes attachés aux domaines seigneuriaux aient l’autorisation d’emprunter le nom de leur maître.

De ne pas oublier que, faute de pouvoir retenir par cœur le prénom des cent quatre enfants de sa vaste progéniture, le plus fécond des princes héritiers d’Arabie Saoudite n’a qu’un seul recours fiable pour identifier chaque rejeton à coup sûr, lui demander laquelle des soixante dix-sept vierges ensemencées par sa majesté, ou rengrossées par erreur, est sa mère nourricière ?

De ne pas oublier que pour faire tenir ensemble, sur la même page de format A4, la liste des personnes mortes dans la rue au cours de 6 premiers mois de l’année 2011, ainsi que leur âge présumé et leur lieu de décès, soit 264 personnes en fin de droits, il faudrait écrire avec une police de caractère d’une taille inférieure à 3, ce qui ne donnerait rien de lisible sur le papier, puisque nos imprimantes à jet d’encre ne prennent pas en compte les signes typographiques d’un corps si infinitésimal, quasi nul.

De ne pas oublier que, au mitan de mon adolescence, j’ai souvent épié la déambulation crépusculaire d’un vagabond qui avait trouvé refuge dans un hôtel particulier à l’abandon, non loin de chez moi, et que ce visiteur du soir, dont la barbe d’ermite se confondait avec une longue capeline en fourrure sans doute synthétique, était toujours accompagné de trois chiens sans laisse ni collier, des bergers allemands si maigres qu’on auraient cru une meute de loups dont ce bon sauvage semblait faire partie, ni plus ni moins bête que ses semblables, illusion d’optique dont je trouverais plus tard l’explication dans un chapitre de L’Anti-Œdipe, où Gilles Deleuze reproche à Freud de ne pas savoir compter au-delà de trois – papa, maman & moi – pour déchiffrer hors des sentiers battus la psychose dudit «Homme aux loups».

[La série des Souviens-moi ayant fait son
chemin par extraits sur ce Pense-bête,
on en retrouvera la somme remaniée et
augmentée dans un volume à paraître
aux éditions de l’Olivier en mars 2014.]

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11 juillet 2012
[Texticules & icôneries — Diptyque des soldes monstres.]

Plusions animales, liquidation totale.

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10 juillet 2012
[Grève des loyers,  un journal mural  (suite)
L’expulsable en sursis du 1 de la rue de Chantilly
affiche sa détermination sur tous les fronts.]

Ça se passe dans le IXe arrondissement de Paris, à l’angle de la  rue Bellefond et de la rue de Chantilly. Des affichettes s’étendent sur le mur depuis plusieurs semaines, où l’occupant insolvable du rez-de-chaussée raconte par le menu son parcours, ses doutes et sa drôle de détermination. On en a déjà parlé ici même, l’info ayant été reprise et développée dans les Inrockuptibles, puis d’autres relais audiovisuels.

Pour résumer les épisodes précédents. Jérôme, «animateur radio» depuis plus de vingt ans, sous divers contrats plus ou moins précaires, et périodes de dépressions, a fini par se faire jeter d’un ultime CDI (dont le salaire était bouffé au deux tiers par son propriétaire) avant de décider qu’avec sa seule pension d’invalidité, eh ben, basta le cercle infernal de la survie, il refuserait désormais de payer son loyer.

D’où la menace d’expulsion qui lui pend au nez, plus que jamais, selon un compte à rebours dont il a réussi à inverser le cours, repoussant l’échéance dégressive au-delà de ses limites légales.

Outre sa mise en demeure… de ne pas demeurer sur place, sans gaz ni électricité, Jérôme a d’autres soucis à se faire, car dès que l’on sort du droit chemin d’un labeur sous-payé, à force de sacrifices & privations personnels, dès qu’on cesse de se soumettre aux variables d’ajustements inhumaines, qu’on veut se soustraire du bilan comptable officiel, on risque d’être jeté dehors par toutes les instituions, à découvert dans tous les sens du terme.

San oublier les vices de forme qui font passer les pauvres à travers les mailles du pseudo filet de protection sociale.

Alors, c’est déjà une sorte de victoire que d’oser afficher la honte sociale qui vous est faite, de s’en délivrer en usant de toute l’ironie du désespoir sur la voie publique.

Depuis début juillet, Jérôme a décidé d’élargir sa surface habitable en journée.

Et de demander le rattachement de son îlot de résistance aux paradis fiscaux de Grande-Bretagne.

L’huissier devrait bientôt repasser, il l’attend de pied ferme sur son seuil de pauvreté.

Avec en réserve, un autre front de lutte où il pourrait bien gagner sa contre-offensive, aux Prud’hommes de Paris, le 24 juillet prochain, à 13heures, pour toucher ce que lui doit son ancien employeur, et espérons-le de fortes indemnités, à la hauteur, non de son mérite, mais de sa puissance d’insoumission.

Et en guise d’épilogue provisoire, un dernier aphorisme qui dit les hauts et les bas de chaque combat.

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5 juillet 2012
[Texticules et icôneries
S’investir dans la pierre.]

Marchand de biens, cœur en moins.

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30 juin 2012
[L’inchangé du présent, c’est maintenant
Un lycéen aveugle soupçonné (à tort) de fraude sociale,
quand la chasse aux «assistés chroniques» bat son plein.]

Il aurait pu s’appeler Mactar, mais ses parents d’origine malienne ont préféré Mathieu, un saint mieux intégré au calendrier de leur terre d’accueil, sauf qu’à l’âge des premiers communiants, leur gamin a passé sa sixième année en soin intensif, à cause d’une maladie des nerfs, un cas de récession génétique très rare, qui lui a fait perdre la vue. C’est pour ça qu’il n’a pas été sectorisé dans la ZEP du coin, quelque part en Seine Saint-Denis, mais au siège parisien de L’Institut National des Jeunes Aveugles (INJA), entre petits « ninja » du même genre, pour apprendre à apprendre sans les yeux. Et tant pis si ça raccourcit l’horizon de ne fréquenter que ses semblables, une vingtaine de non-voyants claquemurés en rangs d’oignons, sans jamais aller se faire voir ailleurs, dans une classe d’ados «normaux», pas tous handicapés pareil ! Quant au projet de rejoindre la filière générale, à bientôt dix-sept ans et demi, ça arrivait un peu tard, mais ça lui faisait tellement envie, à Mathieu, de rentrer en Seconde dans un vrai bahut, pour raccrocher les wagons, avec ses lunettes noires et sa canne blanche. C’était un défi personnel, un risque à courir aussi, à grandes enjambées, même si au début il allait se prendre les pieds dans un sac poubelle, des cartables par terre, sinon un poteau en pleine gueule, ou se tromper de porte aux toilettes chez les filles.
À la rentrée de septembre 2010, le dossier de Mathieu est accepté. On l’a inscrit dans un lycée de son département, à moins de dix minutes de Rosny 2, l’épicentre commercial du 93, et du vaste monde qui s’ouvre désormais en son esprit. Mis devant le fait accompli, les profs ont accueilli le nouvel arrivant tant bien que mal, se sont adaptés à ses besoins spéciaux, sans formation ni aucune aide, avec les moyens du bord. Lui un peu paumé au départ, mais dès le trimestre suivant, on aurait dit qu’il avait toujours était là, comme poisson dans l’eau. Disons que la greffe a pris (à moins que ce ne soit la mayonnaise ou la colle à rustine ou un enduit bouche-trou, à chacun de rayer les métaphores inutiles). Et tou se passait si bien que ça se passerait presque de commentaire, sauf à l’étage administratif, dans le bureau de M’dame le Proviseur qui, sommée d’accepter Mathieu en surnombre, s’était vite débarrassé de la patate chaude auprès de l’équipe pédagogique. Mettez-vous à sa place, elle avait d’autres chats à fouetter, bref, rien à battre de cet recasé-là, juste un malvoyant plutôt mal venu, parmi tant d’autres mal polis, mal élevés, mal conçus, mal étreints, malappris, malotrus… dans un établissement lui-même si mal doté.

Pour fêter sa récente majorité et terminer en beauté le deuxième trimestre, le « déficient visuel » Mathieu a fini par recevoir une réponse de la Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH). Sur le papier, c’est marqué ok, avec son nom & prénom noir sur blanc, bon pour versement de plusieurs fois mille euros. La forte somme financera l’achat d’un matériel informatique adapté (logiciels de vocalisation, plage tactile et imprimante braille…) Au lieu de garder ça pour lui, il en éprouve tant de fierté qu’il veut partager sa joie avec les profs et ses copains de récré. Mal lui en prend, la rumeur fait son chemin jusqu’aux oreilles de M’dame le Proviseur qui trouve qu’il n’y a pas de quoi se vanter, quand on profite depuis si longtemps de la charité publique, vu ce que ça coûte aux contribuables, quel toupet. D’autant qu’il en avait déjà un d’ordinateur avec dictaphone, plus très opérationnel, et alors ? À force de bonnes excuses, ça lui a surtout permis de tricher tranquille aux épreuves sur table, comme elle s’est laissé dire, mais bon, tant qu’on n’a rien prouvé en flagrant délit, impossible de sévir, sauf que maintenant qu’il a touché le gros lot, l’impuni ne se sent plus, la banane en permanence, content de lui, une sale mentalité d’assisté oui, et aucune pudeur quant il enlève ses verres fumés pour amuser la galerie, avec son blanc d’oeil et l’autre révulsé tous azimuts, sans parler de sa montre swatch au poignet, bizarre quand même, dès le premier jour, M’dame le Proviseur, ça lui avait mis la puce à l’oreille, et aussi cette peau de métis, café au lait très clair tandis que ses géniteurs officiels, eux, c’était pire que jus de réglisse, à se demander si on l’aurait pas vendu au plus offrant, le Mathieu, et puis adopté sous un prénom français, pour toucher les allocs, comme ça se pratique chez ces ethnies, au-delà du Sahara, ça ne date pas d’hier que les Arabes les ont maltraités, ces Noirs-là, même si chacun à bien dû y trouver son compte à l’époque, enfin ça les regarde, ils avaient qu’à pas supplier pour leur indépendance, dans la vie faut assumer.

N’empêche, y’a comme un vice de forme dans l’histoire du Mathieu, et nul n’empêchera M’dame le Proviseur de trouver ça louche. À se demander si ce môme bluffait pas depuis le début, soi-disant condamné à la nuit noire, mon œil!, du cinéma oui!, Ray Ban à gogo, Ray Charles and Co, juste des simagrées pour se faire plaindre et décocher le pactole à l’esbroufe, parce que dans l’idée des gens de cette espèce, la tare c’est comme une assurance-vie, et la cécité, vu les frais d’équipement, c’est carrément le jackpot, la rente la plus rentable, quinze mille euros cash, de quoi payer à crédit la BMW de ses fraudeurs adoptifs, le racket imparable, ni vu ni connu. Dans les couloirs du métro, les petits romanos sourds-muets, c’est que des amateurs à côté, les cul-de-jatte de Bombay aussi, avec leur fausses jambes de bois, on a beau dire qu’il savent pas évoluer, les Africains de chez nous, au niveau de l’arnaque ils ont beaucoup appris, c’est plus malin qu’avant, mais ça revient toujours au même : y’a bon subvention.
Le printemps tire à sa fin. Chaque élève connaîtra bientôt son sort, admis en classe supérieure ou pas. Pour Mathieu, aucun problème, il passe en Première littéraire. À lui de décider s’il veut rester sur place ou chercher meilleur établissement, public ou privé. C’est tout réfléchi, il est bien là où il est, avec ses repères, ses potes et sa prof de français préférée. On dirait qu’il a fait son trou ici et ne veut plus quitter cette taupinière qui lui simplifie tellement la réalité. Côté direction, plus de temps à perdre, avant de savoir comment s’en débarrasser, il faut le pousser à la faute, prendre Mathieu la main dans le sac, et ça implique d’agir vite et fort, sinon le petit malin va s’incruster jusqu’au BAC.
M’dame le Proviseur ne voit plus qu’un moyen pour chasser l’intrus, sommer l’infirmière et l’assistante sociale d’aller faire causette chez ses parents, en déboulant à l’improviste, juste par mesure humanitaire, et là, au détour de la conversation, trouver la faille, sans oublier de jeter un coup d’œil dans sa chambre, histoire de saisir un détail, n’importe quel truc contradictoire, qui confonde le simulateur, ce petit malin qui s’attire la pitié pur soutirer les deniers du contribuable. Peine perdue, la visite domiciliaire a bien eu lieu, sans prévenir, avec un tas de questions vicelardes afin de démasquer la supercherie, mais non, que dalle, chou blanc. Circulez y’a rien à voir, le dossier médical du jeune non-voyant a l’air inattaquable, et ses père & mère idem : deux pauvres sans honte ni reproche, juste humiliés par cette démarche suspicieuse.
Bientôt mise au courant, la prof principale de Mathieu, une pasionaria d’ultra-gauche prête à accueillir tout la misère du monde aux frais de l’État français, informe ses collègues du scandale. Le pire est à craindre juge M’dame le Proviseur, une pétition, sinon un piquet de grève  à la porte du lycée, et une réprimande du rectorat. Et pourtant non, qu’elle se rassure. Tout est rentré dans l’ordre après l’ultime conseil de classe, malgré l’agitation de la gauchiste de service. Ses collègues ont trouvé que, bon ben peut-être que c’est abuser de son pouvoir, mais c’est son boulot à la Direction d’empêcher la fraude et de couper les vivres aux arnaqueurs du système de protection sociale. Et puis si la Direction s’est acharnée comme ça, c’est pas pour des prunes, elle est pas maso non plus, y a pas de fumée sans feu, on ne sait jamais ce que ça cache, surtout que quinze mille euros c’est cher payé en pleine crise de recrutement dans l’Éducation nationale. Quant à la bête noire Mathieu, il a mal supporté les pressions verbales de M’dame le Proviseur, surtout cette phrase menaçante lancée devant tout le monde dans le hall d’entrée du lycée : «Mathieu, regardez bien où vous marchez!» Alors, après mûre réflexion, il a fini par changer d’avis, et contre-signer sa demande d’affectation dans un autre bahut, à l’autre bout du département, mais au moins, là-bas, il ne l’aura plus sur le dos, cette harpie qui lui fait si peur, la nuit, quand elle revient lui jeter des mauvais sorts. Du coup, c’est l’heure des adieux, il n’a plus qu’à saluer ses potes, en agitant sa main dans le vide, et tendre son poignet au plus près de sa prof préférée pour lui demander, comme d’habitude :
— Ça fait quelle heure, Madame, à ma montre?

Post-scriptum en guise d’épilogue :
Hors certains artifices d’écriture, les événements ci-dessus évoqués sont la fidèle retranscription de la réalité. Seul le prénom du jeune lycéen a été modifié. Et pour mieux coller aux faits, on se permettra de citer quelques extraits de la lettre envoyée par ledit Mathieu à un membre du Conseil d’Administration de l’établissement, et conseiller municipal :
« (…) J’ai 18 ans et mon intégration c’est à mon sens bien passée dans ce lycée où j’ai su m’adapter. Je me suis fait de nouveaux amis et je me suis épanouis. Cette année était un peu un défi et je suis très fier de l’avoir réussi. Depuis quelques jours on me soupsonne à ma grande surprise d’être VOYANT! Et d’avoir en quelques sorte tanté d’escroquer le système.
J’ai reçu la visite à l’improviste jeudi 9 juin 2011 vers 16H00 de l’infirmière de mon lycée et de l’assistante sociale du lycée. Elles ont dit à mes parents qu’elles venaient pour me faire signer un papier et elles en ont profiter pour questionner mes parents et visiter notre domicile.
L’infirmière et l’assistante sociale ont demandé à mes parents si je voyais, elles ont également parlé du financement de mon matériel car ma demande a été validée par la MDPH et est d’un montant très élevé.
Je suis resté très choqué par cette intervention et très bléssé car le handicap que je vis au quotidien est déjà très dur à supporté, j’ai déjà beaucoup de mal à me faire accepté par la société.
J’ai su ce jour que Madame F***, chargée du suivi de ma scolarité a dû envoyer mon dossier médical au chef d’établissement pour prouver ma cessité.
Je souhaite plus que tout passer mon baccalauréat au lycée *** où je me sens à ma place et où je me suis fait plein d’amis. Pouvoir passer mon bac avec succès dans un établissement où je suis en intégration c’est quelque part faire ma place dans la société.
C’est la raison pour laquelle je me permets de vous demander de l’aide.
Je vous remercie par avance de l’attention que vous porterez à ma demande. »
Sa première demande de recours n’a pas abouti en septembre 2011.
Une autre attend est toujours en attente de jugement.
Affaire classée, ajournée, étouffée dans l’œuf.
Rumeur partout, réparation nulle part.

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27 juin 2012
[Texticules et icôneries
Triptyque de l’entresol.]

Fig. 1 — Pyramide inversée.

Fig. 2 — Mirage monumental.

Fig. 3 — Trottoir désertique.

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