8 avril 2010
[Ouvrages en partage — Luciole’s not dead.]

Viens d’achever la lecture de Survivances des Lucioles de Georges Didi-Huberman (éd. De Minuit, 142 p., 13 €). Partant du fameux et tardif article de Pasolini sur la concordance symbolique de la disparition des lucioles avec l’apparition d’un néo-fascisme consumériste ayant déraciné, démonétisé, sinon « exterminé » toutes les valeurs ancestrales de la paysannerie méridionale et du prolétariat sub-urbain, l’auteur confronte cette humeur catastrophiste avec deux autres soleils noirs de la mélancolie critique, Guy Debord et Giorgio Agamben. Quant l’entier monde est corps et âme livré aux fatalités spectaculaires de la «Séparation» ou, pire encore, à la liquidation intérieure de toute «expérience humaine», que nous reste-t-il à faire ? sinon porter le deuil de l’avenir en ressassant un âge d’or rétrologiquement mythologisé. Tout est perdu, sauf l’honneur… d’avoir conscience que… tout est perdu. Tête à queue élitiste typique. Mais d’où nous parlent-ils ces Cassandre de l’impasse généralisée, de quel hors champ inaliénable, de quel piédestal idéalement préservé ? C’est la première question qui se pose. D’autres suivent, difficiles à résumer ici, en deux temps trois mouvements de phrase. D’autant que c’est un essai polémique, mais qui progresse nuance après nuance, sans jargon ni complaisance injurieuse.
En gros, ça critique la nostalgie dialectique simpliste qui voudrait opposer le passif des lendemains qui déchantent aux avenirs radieux qui sont loin derrière nous, depuis le legs de quelque «communisme primitif». Et ça invite à repenser l’Histoire du côté de l’hybride, du composite temporel, des entre-deux de chaque inattendu en devenir, entre archaïsme et invention, attachement et fuite en avant, survivance et renouveau. Dans le sillage d’un certain Walter Benjamin. Mais comme je suis encore sous le choc, ça se bouscule aux portillons. Disons que ce livre conjugue les questions politiques et esthétiques d’une façon si troublante que ça n’existe pas souvent, quelques rares fois par décennie.

On trouvera une autre approche critique du texte sur «la disparition des lucioles» de Pier Paolo Pasolini  dans un article parodique du philosophe italien Paolo Virno consacré à la disparition des « billards électroniques » (autrement dit des flippers) à la fin des années 70, ici même.

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