6 mai 1992
[Journal de bord — Extraits.]

Le soir en public, le jour en circuit fermé.
La pièce commence à faire son effet, bouche-à-oreille et ainsi de suite. Je me fonds dans le jeu collectif comme un motif répété sur du papier peint. Je crois que je n’ai pas encore pris conscience de ce que je faisais, sinon… Hier, François a carrément oublié un des accessoires principaux (la lettre) dans les loges. Chaque soir, il oublie quelque chose de nouveau pour inventer autre chose. Il se pousse à la faute pour s’urger dans la tête une lubie inédite. Vase communicant de l’oubli et de la création.
Bleus partout, écorchures, crampes. Pendant ce temps, l’âme se repose.
Hier, le fils Joppolo de l’auteur de la pièce originel est venu. Il a aimé. On sentait qu’il ne comprenait pas comment un jeune petit inconnu dans mon genre s’était mis à trahir intelligemment l’œuvre de son vieux papa tutélaire. Alors, il a dit que j’avais été fidèle à ma manière. Et il cherchait des choses à dire, mais retombait à chaque fois dans sa généalogie artistique œdipienne : moi, mon père, moi, mon père, moi… et mon père.
Patrick est passé aussi. Un peu maussade ou à demi ravi. Empêché à moitié de se laisser aller à sa loufoquerie naturelle par sa salope de maladie qui le tue à petit feu, qui le fatigue en profondeur. T4 qui descendent, T8 qui remontent. Un jeu vidéo dans les veines. Globules ceci contre anti-globules cela. Il a fallu attendre ce siècle finissant pour s’apercevoir que la véritable science-fiction est dans notre corps et que nos envahisseurs sont là, en nous, depuis la nuit des temps. Petit Patrick, ton envie de vivre qui sait de moins en moins ce qu’elle envie, j’aimerais me fraterniser avec toi pour de bon, renaître ton frère et te prêter l’immunité qu’il faut aux vrais vivants parmi toutes ces silhouettes sociales, soumises, déjà mortes et qui te survivront sans le savoir. Crèvent les autres et reste là.

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