4 septembre 2014
[Le Street Art dans tous ses états
Graffitis des 45 dernières années…
extraits d’une collecte illimitée.]

Depuis les graffiti du printemps 68 – muséifiés au sein d’un folklore patrimonial sans lendemain –, le phénomène n’a pas cessé de proliférer des seventies à l’immédiat aujourd’hui, de se renouveler, n’en déplaise à ceux qui préfèrent traiter les tags au Kärcher sous prétexte de vandalisme autistique. Alors, pour donner à voir la permanence clandestine de ces inscriptions murales sur quatre décennies et demi, on a fureté dans tous les coins de rue, traqué des bouts de phrases à la craie, au marqueur ou à la bombe parmi livres ou revues et, plus récemment, parmi les sites consacrés au «Street art», malgré l’indifférence manifestée par les pros du Graff pour la créativité textuelle qui persiste à rebours du carriérisme de ce milieu, obnubilé par le technicolorisme XXL à l’aérosol et la fixette narcissique du blaze territorial.

N’empêche, ici ou là, les murs ne cessent de reprendre la parole, de produire du sens, entre mots de passe urbains et petites annonces anonymes. Il suffit de prêter attention par exemple au renouveau du pochoir ironique & subversif sur les bords de la méditerranée ou en Amérique Latine, sans oublier les aphorismes doux & rageurs qui font des petits un peu partout : à Saint-Etienne ou Prague, Strasbourg ou Oakland, Lyon ou Montréal, Paris ou Bagnolet, même si l’implacable efficacité de la vidéosurveillance et des équipes de nettoyage (soit privées soit municipales) gagne chaque jour du terrain.
D’où cette compilation en cours, comme un chantier à ciel ouvert, qui voudrait recenser ces bribes d’écritures malhabiles, potaches, dyslexiques, absconses, lapidaires, lacunaires, triviales ou sidérantes, glanés depuis quelques années sur des sites web ou, pour les plus contemporaines, via mon appareil photo à l’affût d’inédites inscriptions, sans oublier l’aide précieuse de comparses amateurs qui me font partager leurs découvertes, dont les irascibles dilettantes du récent Tumblr Graffitivre.

Entamé il y a 3 ans, ce recueil provisoire compte déjà plus de 4200 graffitis distincts – transcrits tels quels, datés et localisés aussi précisément que possible. Nul souci d’exhaustivité dans cette collecte, puisque la tâche est par nature illimitée, juste le dream in progress d’un recensement partiel & partial, qui un de ces jours deviendra peut-être un gros bouquin, mais dont on peut déjà feuilleter ou télécharger la somme de 375 pages en format pdf ici même…

Et dans la foulée, pour donner envie à quelques transcripteurs occasionnels de me prêter main-forte, pour enrichir la liste de leurs trouvailles in situ ou pour en inventer d’autres à taguer par ses propres moyens, on lira ci-dessous un lot de messages & aphorismes plus ou moins récents extraits de ma collecte, piochés parmi tant d’autres.

crisis ?

[USA, Detroit, septembre 09]

divorciado de la
normalidad

[Espagne, Barcelone, 10 juin 12]

île fée beau !!

[Lille, à la craie, 16 avril 13]

ma maman
était au centre
de ma sexualité

[Marseille, « Ayku », mi-janvier 14]

le rsa c’est bien
mais qu’est-ce que
ça se boit vite

[Marseille, « Piafo », 25 janvier 14]

use
de la
ru[s]e

[Paris XVIII, papiers collés, 30 janvier 14]

psycho-
sexuellement
ras le bol

[Paris VI, rue Auguste Comte, 30 janvier 14]

vive ton
vagin

[Paris xx, rue Piat, février 14]

stop nacionalizmu !

[Bosnie, Tuzla, 7 février 14]

ralentir à toute vitesse

réduire le vouloir d’achat

[Paris IV, rue des Francs-Bourgeois, sur algéco, 11 février 14]

nous forniquons
la maréchaussée

[Strasbourg, au pochoir, 17 février 14]

on a tout à perdre à ne pas

[Nantes, centre-ville, après manif anti-aéroport, 22 février 14]

je déclare
l’état de
bonheur
permanent

[Disneyland (Seine-et-Marne), 26 février 14]

dimanche est un jour pour se
venger des six autres

[Banlieue lyonnaise, usine désaffectée, 2 mars 14]

allez debout les
grands chasseurs
d’étoiles

[Paris XVIII, entrée du Sacré-Cœur, 14 mars 14]

c’est à cette
heure qu’on
rentre ?

[Pré-Saint-Gervais, sur pub, mi-mars 14]

crise… barbituriques…
…somnifères…

[Brest, mi-mars14]

après july
august

[Paris III, rue Béranger, escalier de secours
à Libération, «LapsOups», 19 mars 14]

a quoi sert
de faire des
maths si on
peu pas
compter sur les autre

[Paris XX, quartier Ménilmontant, 30 mars 14]

sayeb el koffet el mouatin
[lâchez le panier du citoyen]

sayeb zatla
[je fume la zalta et je vous emmerde]

[Tunisie, Tunis, au pochoir,
en dialecte derja, avril 14]

éprouver certaines
longueurs avec
ses pieds

[Bordeaux, quartier Saint-Michel,
rue Nerigean, avril 14 ]

eiste skata nas cosmos
[vous êtes un monde de merde]

[Grèce, Trikala, avril 14]

la télépatie
existe

[Paris XII, 3 avril 14]

tu cherche du travail demain ?
– non, j’ai piscine !
(c’est bon pour le dos)

[Alès (Gard), 11 avril 14]

ch’ui chiante !

[Montreuil, rue Désiré Chevalier, mi-avril 14]

si vous
retrouver
ma licorne
alors aretez
la drogue

[Parcey, près de Dole, mi-avril 14]

c’est pas la police
ici c’est nous
qui commande

[Paris XVIII, rue d’Orsel, sur trottoir, 22 avril 14]

why is it illegal
to feed the pigeon
but not the superstition ?

[Hongrie, Budapest, « ProMo », 22 avril 14]

love ?
hate ?
raclette

[Lyon, rue Joseph Sarlin, 30 avril 14]

avec mon r.s.a.
j’ai acheté de la peinture &
de la biere

[Paris xii, port de l’Arsenal, mai 14]

mangeons avec les mains

[Rennes, 1er mai 14]

je n’espère plus rien
je n’ai peur de rien
je suis chômeuse

[Grèce, Athènes, 6 mai 14]

la peinture appartient à ceux qui la regardent

[Paris XX, place Fréhel, mi-mai 14]

quittez les cavernes
de l’être, venez

[Lyon, Croix-Rousse, mi-mai 14]

ici on apprend à faire
travailler les autres

[Nantes, rue Crébillon, école de Commerce,
rue Crébillon 19 mai 14]

dis-donc le bus
charrie tes bœufs
vers l’usinoir

[Lyon, Croix-Rousse, 27 mai 14]

hope
carriérisme
résignation

[Suisse, Lausanne, 30 mai 14]

mes durs
rêves formels
sauront te
chevaucher

[Paris XIII, passage Boiton, 1er juin 14]

la gauche
m’a tuer

[Lyon, Croix-Rousse, 3 juin 14]

417€
c’est le
minimum

[Lyon, Croix-Rousse, 6 juin 14]

gentrification
is the new
colonialism

[USA, Brooklyn, Bushwick, au pochoir, 13 juin 14]

happy hour
molotov pour
tout le monde !

[Paris XI, non loin canal Saint-Martin, mi-juin 14]

j’ai moins
peur de faire
un braquage
qu’un dépistage !!

[Versailles, mi-juin 14]

keep calm
and
caddie on

[Paris xi, passage Bullourde,
au pochoir sur trottoir, 19 juin 14]

merci de m’aider à me
retrouver

[Bagnolet, rue Victor Hugo, 21 juin 14]

women are half the sky

[Montréal, 22 juin 14]

paf
le faf

[Paris vi, rue d’Assas, très effacé, 24 juin 14]

seuls les
poissons morts
suivent le courant !

[Paris xx, rue Sorbier, 27 juin 14]

chômons dès aujourd’hui

[Paris x, quai de Valmy, Point-Éphémère, 30 juin 14]

retourne
te coucher

[Paris xiii, bd du Général Simon, fin juin]

le présent est condamné
achevons-le !

[Lyon, Croix-Rousse, 9 juillet 14]

tu vuex que jeux
t’aprene un truck

[Paris xx, rue Etienne Marey, 30 juillet 14]

en chacun de nous
il y a un pancréas

[Toulouse, port Saint-Sauveur, 5 août 14]

amour à toi mère qui gueule

[Marseille, Cours Julien, papier collé, juillet 14]

je te parle
comme si
tu étais
dans ma tête…

[Paris II, août 14]

jamais bossé

[Niort, 13 août 14]

make love
not love locks

[Paris, pont des Arts, à côté cadenas accrochés par milliers, mi-août 14]

le rsa à
5000€

[Paris XX, rue Boyer, mi-août 14]

plutôt
mourir
que pluto
mickey

[Paris V, rue du Faubourg Saint-Jacques, 16 août 14]

vague
impression
entropique

[Paris XX, rue Stendhal, 25 août 14]

Et pour conclure en beauté, une quarantaine de traces textuelles photographiées, à une exception près, par mes soins.

Outre cette transcription systématique & hasardeuse d’écritures murales, on trouvera sur le site deux diaporamas sur le même sujet, l’un consacré aux bombages des années 70 et l’autre s’enrichissant au jour le jour de graffitis plus récents, glanées sur le Net ou pris sur le vif, sur cette page-là.

Et à la prochaine, d’ici quelques mois pour la suite…

Pour faire circuler ce texte, le lien est ici même