27 août 2010
[Portraits crachés — Suite sans fin.]

Depuis son plus bas âge, Judith se sait dotée d’un odorat surdéveloppé. Ses proches, elle les flaire de très loin, par association d’idées : amande douce pour sa mère, tabac froid du soir et after-shave matinal chez papa, lavande éventée sur les lainages de sa tante, purin d’herbe grasse dans la piaule des petits cousins de vacances et saucisses au barbecue dès que, Wanda, sa chienne, rapplique dans les parages. Bien sûr, depuis la fin du collège, elle s’est familiarisée avec des odeurs plus âcres ou capiteuses – lampées, suées, giclées, resucées qui vous lèvent le cœur longtemps après. Surtout Judith, avec sa sensibilité spéciale, quand les baisers profonds lui font remonter ces effluves-là, ça envahit totalement le reste de ses pensées, et ensuite sous les draps pire qu’une cloche à fromages au frigo. Et pourtant, difficile de dire le contraire : plus ça pue, mieux ça lui plait.
Par contre, ce qui la dégoûte à plein nez, ce sont ces gens bizarres, les « sans rien » comme elle les appelle. Eux, ils sentent vaguement quelque chose, un genre de truc pas net, sauf que la fadeur, justement, y’a pas de mot précis: zéro parfum, ni naturel ni de synthèse. Sa prof de Math en seconde était comme ça, feu le collègue de bureau de son père aussi, le fils de l’ancien concierge pareil, bien foutu en débardeur mais bon, dommage, et même le demi-frère de Judith, avant qu’il ne parte en pension, bon débarras. C’est peut-être pas de leur faute, s’excuse-t-elle en grimaçant, chacun ses préjugés débiles mais moi je supporte pas, c’est des espèces de personnes… sans personne à l’intérieur. On dirait presque, à l’entendre, qu’ils embaument déjà le néant.

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