22 juin 2015
[Grève des loyers, un journal mural (suite)
L’insolvable locataire de la rue de Chantilly
interné par la police & délogé par un huissier.]


À la mi-mai 2012, l’animateur de radio Jérôme V. – rescapé vingt ans durant d’une kyrielle de CDD sur la bande FM et d’une ultime rupture de contrat en CDI jetable – s’est retrouvé incapable de payer le loyer de son studio en rez-de-chaussée du 1 de la rue de Chantilly (Paris IXe). En attendant l’issue du procès au Prud’homme contre son dernier employeur, il décidait alors de rompre le cercle vicieux de la survie : annonçant par voie d’affiche sur sa porte qu’il ne payerait plus son loyer tant qu’il n’aurait pas retrouvé un revenu décent.
On en avait déjà parlé ici et .


Et tant qu’à passer pour un occupant abusif – pire, un de ces «assistés» voué à l’opprobre sociale parce que sa fragilité psychique lui vaut une « pension d’invalidité » –, il a pris le parti de livrer son cas de chômeur en burn out à la publicité. Et de couvrir la façade de son modeste logis d’affichettes à l’usage des passants.


Ce journal mural a pris de l’ampleur pendant les 3 années de résistance de ce Bartleby contemporain qui préférait ne pas… perdre sa vie à gagner le montant de son loyer. Privé de courant par EDF, il a aussi choisi de ses rebrancher par ses propres moyens, pour échapper à la nuit noire de son solitude à huis clos. Une telle énergie du désespoir lui a attiré bien des sympathies, des marques de solidarité, mais aussi l’incompréhension de certains : « T’as qu’à bosser comme tout le monde » » ou « Faut être réglo avec ton proprio ! »

L’hostilité alentour s’est parfois soldée par des altercations sévères, et même des coups et blessures à son encontre. D’où quelques plaintes au commissariat, classées sans suite. Et le passage il y a un an et demi de trois sbires appointés par le syndic pour nettoyer ses placards protestataires au Kärcher.


Début 2015, la pression des huissiers s’est renforcée.

Et sa résistance doublée d’une terrible prophétie à la bombe aérosol.

Quand on a épuisé tous les recours auprès des guichets sociaux (aveugles et sourds à ses appels), ne reste plus qu’une colère implosive, une bataille contre l’indifférence qu’on livre à ses dépens. Pour l’expulsable en sursis, camper sur ses positions, c’est aussi jouer à la roulette russe plutôt que déposer les armes. C’est, de guerre lasse, prendre le risque de mettre son existence en péril… comme tant de migrants en font la tragique expérience d’une rive à l’autre de la Méditerranée.

Lundi dernier, alors que Jérôme V. s’était une nouvelle fois rendu au commissariat de la rue Chauchat (Paris IXe) pour signaler les menaces de riverains hostiles, on lui a fait comprendre qu’il était surtout une menace pour lui-même, bref que son attitude suicidaire nécessitait une mise en observation à l’infirmerie psychiatrique de la Préfecture. Il y a passé 48 heures à l’isolement. Et jeudi 18 juin au matin, retrouvant sa précaire liberté, il a vite déchanté, une fois retourné chez lui : façade nettoyée et porte close.

Entre-temps, l’huissier mandé par le syndic n’avait pas chômé, profitant de la mise à l’écart du contrevenant pour faire place nette et changer les serrures. Et au terme de cette expulsion médico-légale, une vague promesse de relogement très provisoire en hôtel meublé. Comme pour ses infortunés semblables, les réfugiés de la Chapelle, invisibilisés manu militari. Aux dernières nouvelles, ce SMS envoyé par Jérôme à ses rares soutiens, comme une bouteille à la mer…

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