22 juin 1992
[Journal de bord — Extraits.]

Claro est venu me voir causer au colloque Céline, François Wastiaux aussi. Midi, déjeuner avec un certain Jean C.***, nouvelle silhouette autodidacte du milieu célinien. Bravache, vantard, tout cela adorablement, il donne le récit de sa vie par bribes : séjour à Rodez, rencontre avec sa compagne, infirmière psy dans l’hôpital où Antonin Artaud a été électro-cogné, plus de neuf ans en clochard de luxe dans sa bagnole, nomadisme automobile à travers l’Europe, du Nord au Sud. Premier personnage des marges céliniennes qui ne soit pas du tout fascisant. Ancien leader du Larzac qui passe le premier déjeuner à culpabiliser les thésards attablés. Amateur aussi de Genet, Gombrowicz, Witkiewicz, Bloy et Lorrain – dont la statue à Fécamp jouxte, paraît-il, une école maternelle baptisée justement du doux nom de ce pédophile. Il connaît bien la grotesque Nicole D., freudienne tendance Jeanne d’Arc, provocatrice maigrelette qui a connu Céline sur sa fin et n’a cessé depuis de s’identifier au  maître», étonnante parano-mystique tendance facho-beatnik : pipe marocaine, peinture sur soie et National-hebdo sous le bras. Une baba pas cool, très stressante. Le même Jean C*** enchaîne sur le soleil noir de l’ultra-gauche, Guy Debord, qui vient de pilonner tous ses livres chez Champ Libre pour mieux se faire racheter-pléiadiser par Gallimard.
À ce sujet, voir ci-dessous, un papillon de mon cru dont j’ai déjà glissé quelques dizaines d’exemplaires dans le dernier opus de Debord, à la FNAC des Halles.

Donc, récit de première main sur l’auguste dialecticien professionnel du situationnisme, pas triste ou plutôt si, à pleurer, quoique mieux vaut s’en tamponner le coquillard tellement c’est caricatural. Guy Debord : rentier de feu Gérard Lebovici qui lui payait grassement ses mensualités de dilettantisme révolutionnaire et dont l’épouse a prorogé la rente. Guy Debord & sa compagne Alice : abonnés au traiteur Hédiard, curieuse dérive psycho-consumériste. Quitte à ragoter salement, autant y aller, paraîtrait que miss Alice Becker-Ho a même offert un manteau de vison à la compagne de Jean C., largesse de princesse aux pieds nus… Bref, le pape des situs n’en revenait toujours pas d’avoir rencontré un authentique lumpen-prolétaire en la personne de Jean C. Aussi l’a-t-il convié six mois durant à ses perpétuelles et coûteuses beuveries. Signes particuliers du célèbre Cassandre parano-critique : changeant de cafés tous les trois jours par peur de s’y faire assassiner, se persuadant être filé en permanence par la Police, voyant dans chaque litron de pinard l’objet d’un hypothétique empoisonnement. Et en guise d’exil misanthropique, une maison de campagne hénaurme, je ne sais où, et des liquidités considérables arrosant moins les adeptes de la subversion clandestine que sa spectaculaire gidouille d’Ubu réincarné. Cruel destin. Et pour clore le tout, on m’apprend qu’il se ferait servir à table par sa compagne : entrées, plats, fromages et desserts, debout et à sa gauche, s’il vous plaît ! Chez traiteur ou au taxi : la future guerre de Trente ans annoncée dans les phases terminales de son éthylisme post-canaille. J’en passe et des bien pires.
Remugles de l’anarchiste-despote dont a si bien parlé Artaud dans son Héliogabale. Triste sire, ou plutôt triste cire d’un rebelle figé dans le dernier rictus de sa postérité. Rendez-vous chez Grévin.

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