21 juin 2010
[Portraits crachés — Suite sans fin.]

Dans la famille Lamour, je demande la fille : Jennifer. Ce n’est pas une blague de fin de repas, elle existe vraiment cette adolescente née dans une ville moyenne de l’Est de la France, baptisée il y a dix-sept ans Jennifer Lamour, au hasard d’un foutu lapsus parental. Et en guise de doudou, dès la naissance, ce calembour idiomatique qui fait l’amour sans le faire exprès, un premier jouet de mots, sex toy en anglais. Ensuite, il a fallu qu’elle grandisse avec ce nom à rallonge, qu’elle fasse la sourde oreille aux allusions touche-pipi des gamins de son âge, puis aux sous-entendus graveleux entre habitués du Bar tabac de son père. Au collège, sitôt les premiers reliefs apparus sous son T-shirt, ça lui collait déjà à la peau, de sales rumeurs à son sujet : rien dans la tête, tout entre les jambes. Alors, plutôt que de faire la moue, la gourde ou la timorée, au lendemain de ses quatorze ans, elle a pris les devants, relevé le défi, provoqué son destin, pour être enfin à la hauteur d’une réputation précoce : salope tous azimuts. Et elle y a pris goût, rien qu’à voir la morgue virile de ses pires insulteurs se dégonfler entre ses doigts, ses lèvres, ses cuisses. D’un autre côté, ça lui a moins réussi, sales notes en classe, redoublement proposé, passage en CAP filière «couture flou» et abandon en milieu d’année, après cinq mois de grossesse clandestine.
Un an plus tôt, elle avait bien prévenu la conseillère d’orientation : «Si je trouve pas à déboucher dans la mode, je pourrais toujours me mettre en cloque.»

Pour faire circuler ce texte, le lien est ici même