2 avril 2010
[Allergie à l’air du temps — Vents contraires.]

Il y a trente-sept ans, Walter (alias Benjamin S.) est né dans une bergerie en ruine, surplombant un village vinicole à mi-chemin de Sète et de Port-Bou. Sur cette parcelle de terre caillouteuse, ses parents voulaient fuir les transhumances moutonnières de la grande ville et fonder un havre paisible, à l’écart, le grand écart d’un lieu de vie alternatif. Et il leur en a fallu de la patience, des économies de bouts de ficelle, des nuits à la belle étoile, des coups de main bénévoles, et même une ultime crise conjugale avant séparation, pour faire d’un tas de pierres une discrète demeure à ras de terre sur une colline aride désertée par les derniers bergers.
Aujourd’hui, Walter passe la plupart de ses vacances là-haut, avec sa mère institutrice à la retraite, en totale autosuffisance : chauffage, lumière, douche chaude, grâce à un modèle réduit d’éolienne et quelques panneaux solaires – l’usufruit gratuit de Dame Nature.
Mais depuis cinq ans, ère du développement durable oblige, le petit mas coquet, avec son patio ombragé, ses pièces basses aux plafonds arrondis et juste un cercle vertueux d’énergie renouvelée au-dessus de leur tête, cette utopie concrétisée à toute petite échelle, est désormais cernée par une cinquantaine d’éoliennes géantes d’Est en Ouest ainsi qu’au Nord, aux trois coins de l’horizon donc, avec leurs clignotants nocturnes, leur rumeur entêtante dès que le vent se met à souffler. Ironie de ladite « croissance verte », ces grands pals ondoyant à 70 mètres d’altitude sont gérés à distance, via des capteurs ultrasophistiqués, par une entreprise scandinave qui revend son gain d’énergie à une holding électrique espagnole, sans que les deux ou trois villages à la ronde ne bénéficient du moindre kilowatt.

Faute de pouvoir pomper leur jus à ces girouettes, comme un simple service de proximité, les municipalités touchent des impôts supplémentaires, une taxe exorbitante qu’il faut maintenant dépenser sans compter.

Alors, autant goudronner partout les trottoirs, inventer des ronds-points, tracer des contre-allées, chacune pourvue de coquets lampadaires imités des premières lanternes à pétrole et, comble de gestion dispendieuse mais démocratiquement éclairée, installer un vaste système de vidéosurveillance, pour surprendre la moindre incivilité de quelque gibier de potence, y compris ce tag à la craie sur le mur de l’école primaire :
«Meunier tu dors, ton moulin, ton moulin va trop vite!».

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