1er avril 2014
[À rebours du Street art carriériste,
le muralisme poético-enragé
de feu Zoo Project (1991-2014)
va beaucoup nous manquer.]

Bilal Berreni a passé son enfance dans l’Est parisien, entre Belleville et le quartier Saint-Blaise, avant de prendre les pinceaux dès l’âge de quinze ans pour dessiner à l’air libre, puis de s’inventer un blaze de peintre mural vers 2009 : Zoo Project. S’en suivent deux années d’intense activisme pictural entre Stalingrad et le Père Lachaise, renouvelant sans cesse son bestiaire chimérique (homme-oiseau, homme-mouton, homme-singe, etc) ainsi que ses clones humanoïdes aux cerveaux à ciel ouvert, dupliqués au doigt et l’œil par l’ordre social.
J’avais repéré quelques-unes de ses fresques à cette époque, lors de balades en scooter.

Jusqu’à tomber sur lui, non loin de la porte de La Chapelle, en train de ripoliner un drôle de tête-à-tête entre deux trépanés. Il m’avait permis de le portraiturer à l’ouvrage, de dos, tout en me racontant ses astuces et galères au quotidien.

Le lendemain, j’ai pu constater que, comme à son habitude, il avait ajouté au tableau urbain un aphorisme de son cru :

En janvier 2011 paraissait dans Article 11 un magnifique entretien du «pirate» mural par Lemi. On la trouve encore en ligne ici.
Au fil de la conversation, l’artiste de rue, du haut de ses 20 balais, brossait en quelques mots bien sentis son refus de céder aux sirènes du Street Art institutionnel : « C’est vrai que les gens commencent à parler de moi, à me proposer des expos. Beaucoup s’imaginent que je vais suivre la voie toute-tracée du street-artiste : tu peins énormément dans la rue pendant un an, puis tu exposes et tu dis adieu à la rue pour toujours. C’est la meilleure manière de perdre toute liberté et créativité. […] Quand tu bosses dans la rue, l’important est d’exposer ta révolte aux yeux de tous, de ne pas la garder pour toi ou un petit cercle. Pour être intéressant, il faut rester sauvage, irrécupérable. Voilà pourquoi je refuse les projets légaux. C’est d’abord une démarche politique, avec ce rêve de contribuer à réveiller une population endormie. Ça peut paraître présomptueux, mais je sais que ma position ne variera pas : les milieux arty me débectent vraiment trop… »
La suite de sa courte existence ne l’a pas démenti. Dès mars 2011, attiré par les premiers éclats de la «révolution dégage» en Tunisie, il se rend sur place. Et ce franco-algérien d’origine commence par s’immerger dans les milieux insurgés avant d’entamer une série de personnages détourés grandeur nature sur carton, en l’occurrence les centaines de morts de l’insurrection partie de Sidi Bouzid. Ces silhouettes servant parfois à de nouvelles manifestations pour les jeunes contestataires trahis de toutes parts.

S’approchant ensuite de la frontière libyenne, non loin de Ras Jedir, il va passer plusieurs semaines à Choucha, un camp de réfugiés où il va peindre sur tissu des centaines d’étendards à l’usage des déplacés alentour.

Durant l’année 2012, L’activiste reprend du service dans ses quartiers parisiens, en électron plus libre que jamais, hors galerie arty, hors champ tout court. On lui connaît une échappée belle en Russie, pour fêter le 1er Mai à Odessa, avec le vidéaste Antoine Page, histoire d’étendre une mutltitude d’étendards sérigraphiés au-dessus du célèbre escalier de Potemkine. On trouvera d’autres images ici.

Et puis sa trace se perd dans les friches urbaines de Détroit au début de l’été 2013. Le mystère vient d’être levé. Assassiné d’une balle dans la tête, son corps attendait depuis des mois d’être identifié à la morgue. Sa mort violente provoque émotion, article louangeurs, le début d’une légende posthume dans le milieu du Street art, et bien au-delà. Mais, pour l’honorer au plus près de lui-même, il ne faudrait pas oublier que de son vivant, il est demeuré rétif à toute récupération, normalisation, commercialisation de sa pratique clandestine. D’où l’envie ici de rendre hommage à un aspect rare et peu valorisé de son travail, son goût d’accoler du textes à ses imageries fantasques. Bref, sa poésie subversive qui fait tant défaut aux carriéristes des arts de la rue.
Salut à toi et Repose En Peinture…

on est rarement
ce que l’on croit être
[Paris, août 09]

dans mon kartier
soit on grandit trop vite
soit on reste des mômes

être dans les statistiques
faire 1 bébé
et demi
[Paris XI, avenue Jean Aicard, mi-septembre 09]

non aux frontières
à sens unik
[Paris XIX, 3 octobre 09]

détache-toi
[Paris XI, bd Richard-Lenoir, 6 octobre 09]

pas encore d’ici
plus jamais de là-bas

[Paris XIX, rue Clavel, mi-octobre 09]

le silence est d’or
le bruit est de béton
[Paris, Pont National & Bd Poniatowski, novembre 09]

j’ai mal à mes racines
[Paris XII, novembre 09]

les oreilles
ont des murs
[rue Oberkampf, décembre 09]

parlez
à vos voisins
[Paris X, quartier République, février 10]

il y a 1 flic en nous
tuons le
[Paris XX, mi-février 10]

c’est assez bien d’être fou
[Paris XX, bd de Charonne, fin février 10]

arrêtons de s’espionner
[Paris XVIII, bd de La Chapelle, fin mars 10]

à défaut d’être au dessus
de tout le monde, on veut
être comme tout le monde
par peur d’être en dessous
[Paris III, rue du Renard, avril 10]

Tatoué par la rue

quand t’es môme
pour être quelqu’un
il faut être plusieurs

Belleville kids
[Paris XX, Bas-Belleville, avril 10]

un voyageur sans bagages
n’a pas forcément la tête vide
[Paris XIX, mai 10]

on apprend plus dans
une nuit blanche que dans
une année de sommeil
belleville nights
[Paris XX, angle rue du Liban & rue Julien Lacroix, juin 10 ]

gare aux
gorilles

hommes
[Paris XX, Belleville, mi-juin 10]

ne plus en pouvoir [d’achat]
[Paris XIX, fin juin 10 ]

ne demandez jamais votre chemin
à quelqu’un qui le connaît
vous risqueriez de ne pas vous perdre
[Paris XIII, bd Vincent Auriol, août 10]

j’ai hurlé des mots
j’ai crié sur les toits
société, tu m’auras pas
c’est assez bien d’être fou
[Paris XIX, août 10]

qui promène son chien
est au bout de sa laisse
[Marseille, Cours Julien, fin novembre 10]

je ne me laisserai pas endormir
dans ma cité dortoir
[Paris XIX, fin novembre 10]

ce n’est pas toujours
l’exploitation de l’homme par l’homme
c’est parfois l’inverse
[Paris, bd de la Villette, janvier 12 ]

la misère ne tombe que sur les pauvres
[Montreuil, rue de l’Eglise, février 12]

Post-scriptum du 17 avril 2014 :
En remontant la rue Saint-Blaise, non loin de là où Bilal, encore gamin, a mûri les premières esquisses de son bestiaire mural en noir & blanc, une fresque en hommage à feu Zoo Project, peinte de fraîche date par le graffiste haut en couleurs KashinK.

Post-scriptum de fin mai 2014 :
D’autres hommages découverts, sur le Net ou en scooter, entre Montreuil et la butte Montmartre.

Pour faire circuler ce texte, le lien est ici même