19 novembre 2020
[L’homme hérissé, Liabeuf tueur de flics,
réédité par Libertalia, remet les pieds dans le plat.]

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Drone d’époque pour remettre ce récit documentaire en circulation, à l’heure où il sera sous peu interdit de prendre sur le fait (photographique) une brutalité policière ou de dénoncer les exactions systémiques de la BAC ou des CRS nasseurs (sous prétexte d’incitation à la haine par nature d’affinité islamo-gauchiste). Cette troisième édition tombe ainsi très mal à propos, et alors? C’est le moment ou jamais de remettre au jour cette vieille histoire de légitime défiance entre «classes dangereuses» et forces de l’ordre, en l’occurrence, celle d’un cordonnier des années 1910 envers la brigade des mœurs, et ses pratiques de ripoux. A moins qu’on impute à l’examen minutieux de ce fait divers socio-politique des intentions de nuire (psychiquement ou physiquement) aux sempiternels agents de la «sûreté» (alias les «condés» ou les «vaches» d’alors).
Expliquer ou comprendre comment, de longue date, toutes sortes de soi-disant gardiens de la paix (sic) ont criminalisé les prolos en «pétard», les attitudes déviantes ou les propos jugés infâmes tentant de résister aux injustices flagrantes qu’elles subissaient, ne vise pas à adouber, sinon rendre exemplaire n’importe quel passage à l’acte anti-flic, mais à remonter à la source d’un rapport de force par nature inégal tirant sa pseudo-légitimé d’un monopole de la violence étatique (servant à couvrir d’autres violences physiques et psychiques faites au corps social). Or, aujourd’hui comme avant-hier, cette disproportion principielle, cet abus de droit inscrit dans le marbre, bref ce duel biaisé d’avance, assure l’impunité absolue des robocops chargés du maintien de l’ordre établi. Et même s’il est de notoriété publique que ces gros bras surarmés des Préfets et autres factieux en uniforme exercent quotidiennement leur préjugés racistes, homophobes, sexistes ou leur mépris anti-chômeurs, stéréotypes relayés de longue date par leur hiérarchie, il n’empêche, désormais ce sont bien eux qui font la loi au ministère de l’Intérieur.
Et pourtant, loin de tout esprit de vendetta spectaculaire et sans céder à une désarmante résignation face à la radicalisation sécuritaire, je préfère m’en tenir à un trait d’ironie qui, aussi assassine soit-il, n’a jamais tué personne : avec cette affichette qui réactualise modestement un subtil garde-fou datant de juin 68.


Pour donner un petit aperçu de cet Homme hérissé, je recopie ci-dessous un petit avant-propos figurant dans sa réédition :
« Ce livre a déjà eu plusieurs vies. Au départ, vers 1993, une commande des éditions Fleuve noir pour la collection « Crime story ». Vingt mille balles – trois mille euros lourds – pour romancer un fait divers. Je propose le cas Liabeuf exhumé durant ma thèse sur Louis-Ferdinand Céline. Contrat conclu sur synopsis : un « tueur de flic s» ayant défrayé la chronique en 1910. Je me documente à fond. Derrière le côté pittoresque à la Casque d’or – un cordonnier injustement condamné pour proxénétisme se forge des brassards cloutés, s’arme d’un surin et part à l’assaut de policiers ripoux –, l’affaire m’ouvre d’autres horizons sociopolitiques. C’est alors la vogue des « bandes d’apaches », nouveaux prétextes à criminaliser les « classes dangereuses ». C’est aussi une date clé pour le syndicalisme révolutionnaire, de l’apogée au reflux. Sans négliger la dimension pasolinienne de ce vengeur désarmant d’innocente naïveté, le bouquin mène l’enquête à froid, en réactivant l’envers du décor d’une Belle Époque finissante : entre confrontations sociales et obsessions sécuritaires.
Fleuve noir ayant sabordé sa collection, le manuscrit est resté plusieurs années dans un tiroir. L’insomniaque l’a publié en 2001, avec une préface vitaminée de l’éditeur, jusqu’à épuisement du stock. L’ami Jean-François Platet l’a repris dans sa collection Baleine noir, en 2009. Trois ans plus tard, de passage à Rome, je tombe sur une traduction pirate d’anarchistes milanais, Liabeuf l’ammazzasbirri, avec une couverture singeant la visuel des poches de Feltrinelli. La contrefaçon est parfaite, bravo à eux. Et aujourd’hui, c’est Libertalia qui me propose de remettre le couvert, l’aventure continue. Et comme Anne Steiner et Frédéric Lavignette ont bien œuvré entre-temps sur le même sujet, j’en ai profité pour revoir ma copie. Voilà donc l’ouvrage remis sur le métier : Liabeuf’s not dead. »

Et en sus, quelques photos de l’affaire Liabeuf, dont certaines figurent au Musée de la police.


Et pour en savoir un peu plus, c’est de ce côté-là.

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