18 juin 1992
[Journal de bord — Extraits.]

Hier, fin d’après-midi, petit détour à La Guilde, une librairie de livres anciens tenu par un ancien ami de clandestinité de mon père, Johan. Ébauche de discussions et d’un seul coup, quelques confidences glanées. Il semble qu’il se soit brouillé avec mon père, non pas tant sur une histoire de réappropriation escroque de la librairie du groupuscule trotskiste dissident où papa militait, mais sur une histoire de cul concernant une certaine Annie Économos (?) dont j’ai toujours vaguement entendu parler. Je glisse. Il ajoute que mon père, à la fin de sa période de résistance clandestine, en 1948 – persécution stalinienne oblige –, a choisi contrairement à lui de devenir un « sorbonnard ». Sa vision des choses. Un secret qu’il me tient à cœur de percer. J’explique au vieil anar individualiste Johan, allemand exilé qui a appris le français dans Voyage au bout de la nuit (eh oui, ça s’invente pas !), que mon père espérait sûrement changer l’Institution de l’intérieur et réaliser ses idéaux égalitaires par la voie novatrice des sciences humaines. Il opine lointainement. Je l’interroge sur les années 30. Il m’évoque ses virées à travers la Scandinavie avec 4 marks en poche et l’espéranto pour outrepasser les frontières idiomatiques du nationalisme, les seuls insurmontables pour les prolétaires d’alors. Il se souvient que Staline et Hitler ont interdit l’espéranto presque au même moment… Encore un signe des temps. Johan est en train d’écrire ses mémoires à partir d’un journal tenu à l’époque, où mon père apparaît souvent. Une piste pour mon archéologie intérieure.

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