15 mars 2018
[Solde net & sous-ensembles flous (2)–
Des migraineux, des SMS et des loups.]

Parmi les migraineux des deux sexes, dans 60% des cas, ça se passe à leur insu, ils ont beau héberger ce syndrome entêtant nuit et jour, ça ne leur ait jamais venu à l’esprit de le faire diagnostiquer, et pour cause, ça occupe leurs méninges en toute discrétion, à bas bruit, telle la rumeur maritime logée au cœur d’un coquillage, et cette présence parasite leur est si naturelle qu’elle a fini par passer inaperçu, moins vibrante que des acouphènes, juste un fond de céphalée presque imperceptible, un très vague pointillé de douleur qui fait partie de leur flux de conscience, si bien que soixante personnes atteintes sur cent ignorent tout de cet insidieux mal de crâne, comme des canards qui, après avoir été décapités, n’en poursuivent pas moins leur course folle.

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En dépit des nécessités du sommeil réparateur et du bon sens des aiguilles d’une montre, il arrive à 15% des collégiens d’Ile-de-France de textoter au milieu de la nuit, et parmi ces SMS envoyés à quelque camarade, on distingue deux questions récurrentes – Tu dors ? ou T la ? – et en cas de réponse : Presque ou Ta gueule ou Y’a koi ?

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Ils ont beau avoir disparu du territoire français dans les années 30, puis ressurgi six décennies plus tard à la frontière franco-suisse et augmenté leur population de 23% au cours des deux dernières années, on ne saurait suivre à la trace leurs déplacements sur les pentes enneigés des Alpes, chacun empruntant pas à pas l’empreinte du congénère précédent, si bien qu’à l’œil nu, en hiver, leur multitude en migration n’en fait jamais qu’un, un indivisible individu, et pourtant ils ne sont pas moins de six ou sept par meute en moyenne à mettre une patte devant l’autre et, selon une ruse inspirée de la file indienne, à épouser la trajectoire de leurs semblables et revenir indénombrablement au même : un seul loup pour l’homme.

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Pour des motifs d’ordre financier, combien de gens se sont sentis toisés de haut par leur supérieur, obligés d’assumer le lendemain qui déchante, empêchés de penser à autre chose, combien de gens, taraudés par cet argent qui manque, ont rationné leur espérance de vivre, ont remis l’essentiel aux calendes, ont suspendu un enfant en cours, combien se sont enfermés dans un cercle vicieux, aigris sur pieds, privés d’un luxe hasardeux par nécessité, combien de personnes sur cent, faute de liquidités immédiates, se sont bornés à, contentés de, voués à ne plus, soumis d’avance, combien ont tiré un trait sur, mis en berne leur, sacrifié tel ou tel, refoulé à jamais, combien se sont éloignés d’un centre-ville, endettés en nature et culture, vengés d’eux-mêmes sur eux-mêmes, combien ont perdu l’appétit des autres, failli attenter à leurs jours, puis abandonné l’idée in extremis, puis différé, puis renoncé, puis différé, puis renoncé, pour des motifs d’ordre financier, en tout cas, il en est 23% qui déclarent avoir différé un traitement ou renoncé à des soins.

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Depuis la nuit des temps, chez les homo sapiens, on dénombre quatorze fois plus de déjà morts que d’encore vivants, soit près de 100 milliards d’êtres humains à avoir été ; et seulement 7% à faire perdurer la lignée.

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