15 mai 2010
[Portraits crachés — Suite sans fin.]

On a récemment découvert une tumeur, genre œuf de pigeon, derrière la tête de Raoul, là où lui naissent ses idées inavouables, tout près du cervelet, au même point d’impact que le fameux copyright Mattel Inc. sur la nuque des poupées Barbie. Pas de complication maligne et état stationnaire, selon le docteur en imagerie médicale. Et tant que ça n’enfle pas, selon un confrère en neurologie encéphalique, dans le doute, mieux vaut s’abstenir d’aller y fourrer son scalpel, zone sensible, attention danger. Les statistiques sont assez parlantes : un trépassé sur dix après passage au bloc opératoire. Dans l’autre cas, si ça prend trop de volume, une chance sur dix de ne pas imploser…
Sa poche parasite, Raoul ne l’a pas senti grossir, dommage, cinq ans plus tôt, c’était juste un pépin de raisin, peut-être un noyau d’olive, encore faciles à déloger. Pourtant certains symptômes ne datent pas d’hier – malaises, migraines, amnésie partielle, hallucinations nocturnes, bouffées paranoïdes –, mais comme ce photographe underground a le nez dans la poudre depuis le milieu des années 80 – séances podium, night-snuffing, backroom, j’en passe et des after –, pas facile de faire la part des choses, entre le cocktail des causes héréditaires et les effets secondaires de la coke. L’addiction a longtemps fait écran, brouillé les pistes, servi de cache-misère au kyste qui s’était trouvé là un nid douillet.
Raoul doit son récent diagnostic à une garde-à-vue plutôt musclée au commissariat central de Marseille, dix-neuf heures d’affilée en dégrisement dans les caveaux de l’Evêché. Quarante interpellés gisant au hasard de l’obscurité, avec une seule tinette pour tous et pas un rouleau de papier, d’énormes virgules de merde sur les quatre murs, parce qu’ici on condamné à s’essuyer du bout des doigts. Le lendemain, vers midi, Raoul a fini par piquer sa crise, torse nu dans la fosse commune, parmi ses frères galériens devenus suspects, pire que ça, zombies hostiles, à mesure qu’il les provoquaient à voix basse pour « chasser les marchands du Temple », virer tous ces « faux prophètes, dealers de malheur, indics pharisiens », puis à grands coups de coudes & pompes contre ces camés qui auraient bien voulu connaître « le secret de mes plantes médicinales, mais ça jamais, pure racine de mon esprit ».
Alors, vu que le delirium tremens tournait au délire de persécution, on l’a exfiltré ailleurs. Transfert auprès de blouses blanches assermentées, puis mise en observation une semaine, sous camisole chimique. Et là, coup de chance, un psychiatre qui ne pressentait chez lui ni syndrome bipolaire ni état de manque cocaïnomaniaque, mais préférait, par acquis de conscience, le soumettre à un IRM. Et voilà Raoul allongé sous X, crâne en Technicolor sur l’écran de contrôle. Et là, pas de doute, ça se devine pire que le nez au milieu du visage, un corps étranger en pleine tronche, de la taille d’un « œuf de pigeon » lui explique le radiologue. « Une boule de shit » enchaîne son sarcastique patient.
— Presque une balle de ping-pong…
— Du genre croupion de poulet…
— Plutôt un marron glacé…
— Et bientôt mon poing dans ma gueule ?!
Rires entendus de part et d’autre, faute d’oser une ultime métaphore filée : pétard mouillé, mèche lente, colis piégé, pain de plastic, minuterie à distance, bombe à retardement, compte à rebours, ni trop tôt, ni trop tard, nitroglycérine.

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