15 janvier 2014
[Le Street Art dans tous ses états
Les graffitis de juin 68 à nos jours…
rapport d’étape d’une collecte en cours.]

Les inscriptions murales du printemps 68 font désormais partie d’un folklore patrimonial sans lendemain. Et pourtant, des seventies à l’immédiat aujourd’hui, les graffitis n’ont pas cessé de proliférer, se renouveler, passer de main en main, n’en déplaise à ceux qui voudraient traiter les tags au Kärcher sous prétexte de vandalisme autistique. Alors, pour donner à voir la permanence clandestine de ces expressions sauvages depuis quatre décennies, on a fureté à tous les coins de rue, traqué les bribes de phrases à la craie, au marqueur ou à la bombe dans des livres, des revues, des archives photo et, plus récemment, parmi les sites consacrés au « Street art », malgré l’indifférence manifestée par les pros du Graff pour la créativité textuelle qui continue d’exister à rebours du carriérisme narcissique de ce milieu, obnubilé par le colorisme XXL à l’aérosol et la monomanie du blaze territorial. N’empêche, ici ou là, les murs ne cessent de prendre la parole, de produire du sens, entre mots de passe urbains et petites annonces anonymes, il suffit de prêter attention par exemple au renouveau du pochoir ironique & subversif sur les bords de la méditerranée ou en Amérique Latine, en passant par les petits mots doux & rageurs qui font des petits un peu partout : à Niort ou Melbourne, Strasbourg ou Brooklyn, Marseille ou Montréal, Paris ou Saint-Ouen, même si l’efficacité implacable de la vidéosurveillance et des équipes de nettoyage privées ou municipales gagne chaque jour du terrain.
D’où cette compilation numérique, comme un chantier à ciel ouvert, qui voudrait recenser ces bribes d’écritures malhabiles, potaches, dyslexiques, absconses, lapidaires, lacunaires, puériles ou sidérantes, glanés depuis quelques années sur des sites web ou, pour les plus contemporaines, avec mon appareil photo toujours prêt à saisir au vol d’inédites inscriptions, sans oublier l’aide précieuse de quelques comparses amateurs qui me font partager leurs découvertes.
Entamé il y a 3 ans, ce recueil provisoire compte déjà plus de 3700 graffitis distincts – transcrits tels quels, datés et localisés autant que possible. Nul souci d’exhaustivité dans cette collecte, puisque la tâche est par nature infinie, juste le work in progress d’un recensement partiel & partial, qui un de ces jours deviendra peut-être un gros bouquin, mais dont on peut déjà feuilleter ou télécharger la somme de plus de 300 pages en format pdf ici même…

Et dans la foulée, pour donner envie à quelques transcripteurs dilettantes de me prêter main-forte, pour enrichir la liste de leurs trouvailles in situ ou pour en inventer d’autres à taguer par ses propres moyens, on lira ci-dessous quelques messages & aphorismes plus ou moins récents extraits de ma collecte, piochés parmi tant d’autres.

transport payant =
vol sur le salaire

[Paris, station de métro après sabotage des composteurs, juin 78 ]

jesus est mort!
t’inquiètes pas!
il est aussi ressuscité!

[Genève, rue de Berne, 00 ]

i am this poem

[Australie, Perth, 14 mars 06 ]

to turn right
turn left twice

[Irlande, Dublin, au pochoir, 18 février 06 ]

suis le lapin blanc

[Paris XIV, métro Duroc, sur miroir, 14 février 07 ]

nous nous en allerons

[Paris X, quai de Valmy, 9 juillet 10 ]

bored ? fatigued ? depressed
why not try revolution

[Grèce, Athènes, quartier Exarchia, automne 10 ]

drink… drank… drunk…

[Berlin, au pochoir, «DotDotDot», mi-octobre 10 ]

ça fatigue
d’être jeune

[Paris XVIII, 17 février 11 ]

le présent…
c’est maintenant

[Metz, 11 mars 11 ]

n’oubliez pas
la mémoire
est courte

[Paris xiii, rue Geoffroy, 4 décembre 11 ]

les nations
sont des
hallucinations!

[Suisse, Lausanne, route Aloys-Fauquez, 5 avril 12 ]

tant va le prolo à l’usine
qu’à la fin il se lasse!

[Montpellier, 1er mai 12 ]

en moyenne l’amitié dure entre 5 et 7 ans

[Marseille, rue Frédéric Chevillon, mi-août 12 ]

suffit-il?

[Canada, Québec, mi septembre 12 ]

la poesia no necesita
adeptos, sino amantes

[Argentine, Tucuman, «Accion Poetica», octobre 12 ]

nul si recouvert

[Sète, au pochoir, 17 janvier 13 ]

ici vie
un peuple
de boue

[Notre-Dame-des-Landes, quelque part
dans la ZAD, février 13 ]

dur comme faire

[Paris V, à la craie, 23 février 13 ]

même l’inerte est mis en cage

[Rennes, chemin de Halage, 7 juin 13 ]

barbouiller
pour l’éternité

[Canada, Montréal, Hochelaga-Maisonneuve, 3 juillet12 ]

dieu
chèques ou
espèces

[Paris XVIII, 10 juillet 13 ]

la paresse ne nous est pas ennemie
free party

[Paris XI, rue Proudhon, 13 juillet 13 ]

no more pain(t)

[Entre Rennes et Saint-Malo, voie rapide, mi-juillet 13 ]

soyez réel
demandez
le virtuel

[Lyon, Croix-Rousse, au pochoir, 16 juillet 13 ]

que le mouton soit chèvre

[Marseille, au pochoir, 31 juillet 13 ]

i dream awake

[Montreuil, rue Léon Loiseau, août 13 ]

vivre en mar«geu»
pour pas crever
au milieu

[Lyon, Croix-Rousse, 8 août 13 ]

stop taking my book
so litterally – god

[États-Unis, Brooklyn, mi-août 13 ]

lorem ipsum

[Entre Nantes et Rennes, pont sur N137, mi-août 13 ]

dieu est un singe
et je suis sa cage

[Suisse, Lausanne, l’Hermitage,
au pochoir, 1er septembre 13 ]

# oubli

[Paris XI, rue du Faubourg du Temple,
à la craie, 18 septembre 13 ]

meuble tes pensées

[Saint-Ouen, Marché aux puces, 23 septembre 13 ]

ensemble
bâtissons un monde
sans brocoli

[Saint-Étienne, 26 septembre 13 ]

j’prefaire habité
un quartier sensible
qu’un quartier insensible

[Paris XVIII, rue Marcadet, «Fatou», octobre 13 ]

big google
is indexing you

[Metz, au pochoir, 4 novembre 13 ]

les automnes ont
comme des parfums

[Strasbourg, rue du Vieil Hôpital, 23 novembre 13 ]

entretuez-vous

[Rouen, 24 novembre 13 ]

tout ce que tu ne peux donner…
te possède

[Lyon, Croix-Rousse, 8 décembre 13 ]

ne pas prendre les messies
pour des lanternes

[Montreuil, rue Marcel Sembat, «LapsOups», 2 janvier 14]

Outre cette transcription systématique & hasardeuse d’écritures murales, on trouvera sur le site deux diaporamas sur le même sujet, l’un consacré aux bombages des années 70 et l’autre s’enrichissant au jour le jour de graffitis plus récents, glanées sur le Net ou pris sur le vif, sur cette page-là.

Et pour conclure en beauté, une quarantaine de traces textuelles in situ, soit glanées sur le Net, soit photographiés par mes soins.

Pour faire circuler ce texte, le lien est ici même