Encore un bouquin qui a d’abord cherché sa voix/voie sur mon pense-bête, à partir de quelques fragments mis en ligne. Pour s’en tenir au mode d’emploi, ça tient en un petit paragraphe, placé au début de l’ouvrage : «Tous les pourcentages cités dans ce livre sont authentiques, aucun n’est de pure imagination, même si leurs sources n’apparaissent nulle part. Des années durant, j’en ai noté des centaines dans un carnet, à tout hasard, sans trop savoir qu’en faire, sinon reparcourir avec perplexité ce vertigineux inventaire. Difficile de rompre la glace du monstre statistique, d’échapper à ses ordres de grandeur qui prétendent tout recenser de nos faits et gestes, quantifier nos opinions, mettre en coupe réglée nos vies matérielles. Sous emprise comptable, chacun se sent casé d’office, sondé de bas en haut, profilé sinon déchiffré. Et comme, par définition, l’objectivité fractionnelle manque cruellement d’équivoques, d’écarts atypiques, d’utopies discordantes, on a du mal à y reconnaître la trame irrégulière du vivant. Rien que des chiffres et des non-êtres… mais alors comment nous soustraire au grand dénombrement ? Sans souci d’exhaustivité, j’ai passé ces données brutes au tamis de quelques rêveries interprétatives, pour traquer leurs failles implicites, les confronter à d’autres cas de figure – ces exceptions qui souvent infirment la règle –, en me défiant des fausses évidences, quitte à leur préférer certaines marges d’erreur.»
Pour aller lire des extraits, avoir un aperçu de la critique et mater quelques photos XXL, c’est sur une page du site ici même.
Et comme, dans la foulée de la parution, l’excellent Richard Gatet, de Radio Nova m’a demandé de faire une petite fiction sonore dans le cadre de l’Arche de Nova sur un «monde désirable», j’ai brodé autour d’une hypothèse (le grand partage onirique), en hommage à tous les rêveurs du matérialisme enchanté, depuis Denis Diderot jusqu’à Gabriela Cabezón Cámara, en passant par Charles Fourrier et Alfred Jarry. Ça s’appelle : Les zombies-héros de l’an zéro virgule un. Et même si c’est destiné à une mise en voix, j’en transcrit ci-dessous le verbatim in ex extenso :
«Salut les gens du vieux monde, et bienvenue en l’an zéro virgule un, 2063 dans l’ancien calendrier des pompiers pyromanes. Bon, petit résumé des épisodes précédents, juste avant la sénescence programmée. Donc, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, seuls quelques happy few aristo-ecclésiastiques profitaient du droit à la paresse, et puis est venu le temps des grandes extractions de valeurs marchandes, dans les mines, à la chaîne de montage, et puis enfin en call center, celles et ceusses qui bossaient ont connu plusieurs régimes d’émulation démo-pratique, en bossant toutes et tous à en crever, et réciproquement, CDI jetable, Uber recyclage et CDD-CD en concession perpétuels. Ensuite, la décennie 2020 a sonné le glas du blabla managemental. Vivre ensemble sa no life ? Mon œil, ça rend flou. Alors, ça a implosé en douceur, sans que ça se voie. D’abord, la quasi-totalité des votoyens et votoyennes ont fini par s’abstenir d’urner. Plus d’opinion publique, que des abstentiels à domicile H24 gavés par le marketing viral et des excréments de langage qui puaient de la gueule : fatalité des chances, obligation de résilience, délation fraternelle, la retraite post-mortem, collapsologie positive…
Et hop, du jour au lendemain, un seul hashtag en orbite : No more oxymore ! Par centaines de millions, les gens ont fait faux bond, panne d’oreiller interactive, narcolepsie pandémique sur les trois tiers des deux hémisphères. Même les cadres sup du dernier échelon se sont mis en burn out, à part quelques crypto-rentiers en fake-coins qu’on a foutu au congélo sur ce qui restait de banquise, avec les ours autochtones en voie de régénération. Et après cette grande sieste planétaire, on s’est coordonné à l’horizontale, pour ne plus faire que le nécessaire et le reste au hasard du farniente. Face à un tel krach productif, les places fortes boursières se sont annulées d’elles-mêmes, avec un bon deal in extremis : le revenu inconditionnel de subsistance à hauteur de deux fois le seuil de pauvreté. 2063 euros à l’heure où je vous parle. Chacun chacune s’est vite trouvé des zones d’activité où se déprendre des gestes inutiles et des routines contre-productives. Attention pas d’angélisme, y’a eu des flottements entre râleurs diurnes et tapageurs nocturnes, entre frugalo-égoïstes et nostalgiques du superflux des biens de consolation, mais bon, mieux valait ces rixes de voisinage qu’un retour à la guérilla psychique du capital-risque. Mais, comme le cortex à l’état de nature a horreur du vide : on avait énormément de temps libre, sauf qu’on était pas préparés à se l’approprier. Les derniers adeptes de taux d’employabilité concurrentiel comptaient là-dessus – un peuple d’oisifs dépérissant de lui-même – pour reprendre le pouvoir sur une main d’œuvre sans droits et presque à l’œil. Et c’est là qu’a surgi l’antidote existo-sensoriel. Un illustre inconnu, technophobe endurci, demeuré cyber-addict sous pseudo, a inventé un procédé d’imageries cérébrales dédiées aux phases du sommeil paradoxal. Sans entrer dans les détails, disons qu’il s’agissait d’un système de neuro-analogie onirique sur petit ou grand écran. On pouvait revoir ses rêves à la télé, home cinéproche, ou les partager en visio-scope, et même organiser des Dreams-clubs privés ou des débats en live dans multiplexes. A partir de là, avec ce sixième sens commun, tout un chacun chacune s’est fait voyant rétro-projectif, plus besoin de professionnels de la culture, ni des icôneries colportées sur le DarkWeb. Mais attention, y’en avait encore qui souhaitaient légiférer sur ce point sensible : organiser à l’école des séances de dodo obligatoire avec notation à la clef. Ou créer un festival des meilleures réalisations mentales selon d’ex-catégories hollywoodiennes. Pire encore, très récemment, un groupe d’omni-vigilants, prônant l’HarmoNuit sécuritaire, s’est mis à prôner un contrôle des cauchemars en circulation pour capturer certaines images suspectes. A l’heure qu’il est, l’éventualité d’une telle intrusion dans nos mauvaises pensées n’est pas totalement à exclure. C’en serait fini des acquis spéciaux de nos anonymaginaires en libre partage. Chaque utopie à ses écueils, en l’occurrence un flicage inter-neuronal en perspective, mais bon, espérons qu’on aura assez d’intelligence collective pour trouver une autre ligne de fuite. On en est là, grêveuses grêveurs, et désolé si ça paraît un peu binaire : soit Roupillon soit Extinction !»
On peut entendre la version mixée par , sur le replay du site de Nova en cliquant exactement là.
Pour faire circuler ce texte, le lien est ici même