13 novembre 2009
[Portraits crachés — Suite sans fin.]

Sylvain aura bientôt la quarantaine et le coup de blues qui va avec. Pour se changer les idées grises qui lui naissent à la racine de ses cheveux poivre & sel, et mettre dans le même sac poubelle ses parents retombés en bas âge avec couche absorbante et couveuse respiratoire, un divorce encore imprononcé, deux enfants à charge, une moitié de semaine tous les quinze jours, il a réservé un petit nid d’amour, pour lui et sa nouvelle compagne de seize ans sa cadette, dans un gîte rural, un week-end de trois nuitées complètes, fête de la Toussaint oblige, en Bretagne pas trop profonde, à peine dix bornes d’ici le bord de mer.
Pour commencer en beauté, dîner en amoureux, huîtres à volonté, vue imprenable sur le port miniature, retour au bercail champêtre, embrassades maladroites, préliminaires épidermiques, du bout des doigts qui contournent, pressurent, s’immiscent, sauf qu’en surplomb du lit en bataille, il y a ce trophée de chasse accroché à une patère, foutue sale tête de cerf menaçante, mal rempaillée et son pelage épaissi de poussières. Et ci-dessous, la plaque argentée où figure la date de décès de la bête : 11 NOVEMBRE 1969. Tiens, pure coïncidence, plutôt malencontreuse alors qu’il faudrait s’oublier profond, oublier certains souvenirs parasites, derniers scrupules adultères, poids morts généalogiques, débits bancaires, différences d’âges… 11 novembre 69, c’est la date de naissance de Sylvain, qui en perd aussitôt ses moyens, très moyens, totalement rétractés, plate couture maintenant qu’il explique ce hasard objectif à sa promise en petite culotte affriolante. Foutue interruption qui oblige à reprendre l’initiative, sans trop y croire, à reprendre les choses depuis le début, oui rien que des choses inanimés, à reprendre leurs ébats là où ça s’était arrêté, « leur ébats leurs abats » pense-t-il soudain, presque en automate, avec des gestes qu’il se regarde manipuler, de trop loin. Et la poisse qui leur colle à la peau. Demi-lune de miel, faux semblant d’idée fixe à l’horizon, décroissante. Jouissance qui peine à se départager, à moitié vide, à moitié pleine.

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