13 avril 2010
[En roulant en écrivant, stylo-scooter — Point mort.]

Encore un contrôle pour feu cramé à l’orange trop mûr, le troisième depuis le début du mois. Scooter sur béquille, moteur coupé, papiers à disposition, voix blanche et latin de cuisine : mea maxima culpa et cætera. D’ordinaire, après vérification, si on la joue zen, yeux baissés ras du bitume, on s’en sort gratis… «Allez, ça ira pour cette fois». Sauf que là, mal parti. Trois uniformes en présence, ça rivalise d’imagination punitive. Déjà trois six neuf points en sursis pour tout un tas de motifs subsidiaires. Temps mort procédurier, gestuelle au ralenti, guerre des nerfs… surtout pas de panique, rester zen, opiner en silence.
«Et votre casque ?!» Oublié de l’ôter, fait chier merde ! non plutôt zut et je m’exécute. «Et votre lanière, là !» Euh, oui, et alors ? «Aucune protection, pas assez serré !» Bien sûr. « En cas d’accident, votre tête dans le mur et le casque dix mètres plus loin.» Excusez-moi ! «À ce prix-là, vous auriez plus vite fait de vous jeter direct dans la Seine !» D’accord. «Et en plus les autocollants dessus, c’est interdit». Ah bon ? j’ignorais. «Ben si, réfléchissez : après le crash, vous êtes dans le coma, étendu par terre, le SAMU vous laisse le casque, pour pas aggraver votre cas, on sait jamais, mais à l’hosto ça risque de gêner, les autocollants, si on fait un IRM…» Vraiment ? ça paraît bizarre, enfin quoique si vous le dites…

Je me tais sans rien laisser deviner du sourire qui me bouffe les joues de l’intérieur et je lorgne mon casque noir couvert de petites étiquettes de fruits & légumes, ces stickers miniatures glanés ici et là, en faisant les courses depuis l’été dernier. Du coup, il me vient une drôle d’anticipation, balayée au scanneur géant, mon crâne d’œuf grandeur nature sur leur écran de contrôle, et le cortex pire qu’un étal d’épicier, avec ses estampilles d’origine sur chaque produit frais, une vraie mappemonde publicitaire : Rosa Spania, Maltaise Tunisie, Bonita Ecuador, Reinette Canada, Kinglime of Mexico, Turbana Colombia, Boni Florida, Mangoo Peru, Ugli Jamaica. Rien qu’à m’imaginer le portrait en coupe cervicale – Mademoiselle France –, face au trio d’experts prêts à verbaliser – Maroc select –, difficile de pas glousser en douce, le scooter planté dans le décor et des décalcomanies tout autour de la tête : Tana sans traitement après récolte.

Ça m’obsède de proche en proche – gueule sandwich, cerveau en promo, brain-shopping, tronche à logos, crâne d’aliéné – par pure association d’idées… de bouts de ficelles… de cheval de course… J’en cherche une autre, d’expression, qui me résiste encore sur le bout de la langue. Dommage, ça me revient pas. Silence cousu de fil blanc. Et le flic de renchérir, plus sérieux que jamais : «Parce que les autocollants, peut-être que ça n’a l’air de rien, mais ça contient des peintures métallisées, et à la radiographie ça suffit pour parasiter l’examen, et même pour fausser le diagnostic.»

Évidemment, dans ce cas-là. «Allez, circulez, et que ça vous serve de leçon… la prochaine fois!» Merci bien. Au fait, trop tard, mais j’ai retrouvé mes esprits et le rire jaune qui va avec : tête de gondole.

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