12 février 2018
[Factuels dilemmes & sens ubiques (1),
Histoire d’un graffiti bête et méchant.]

LE SAMEDI 11 MARS 1978, Claude François meurt d’électrocution dans sa salle de bain en milieu d’après-midi. La nouvelle est vite annoncée sur les ondes, provoquant un attroupement de fans inconsolables devant son domicile, 42 boulevard Exelmans. A l’écart de la foule en pleurs, quatre jeunes rockeurs, qui ont eu vite fait de rappliquer en bagnole pour se repaître du spectacle, lancent à la cantonade quelques sarcasmes, malséants à souhait. Décidément, l’idolâtrie ambiante les met en joie, à tel point que des agents de police, diligentés dans les parages pour contenir l’émotion populaire débordant sur la chaussée, enjoignent le quatuor de blousons noirs de déguerpir illico. Les voilà repartis vers la Bastoche et ses environs, leur terrain d’aventure depuis qu’ils sont gosses. Cette petite virée dans les beaux quartiers mérite quelques consolations sur le zinc et leur donne l’occasion d’afficher un mépris débonnaire pour ce « crevard du showbiz » à la voix nasillarde. On est tout juste la veille de premier tour des élections législatives, et comme le « programme commun » des socialo-communistes menace le parlement d’un raz-de-marée, ça fout la frousse aux bourgeois, raison de plus pour se sentir à la fête et improviser une brève de comptoir, parmi tant d’autres : « Claude François a volté ! » Sitôt dit, sitôt promis d’aller le faire savoir, à la bombe aérosol sur les murs avant de rentrer chez eux. Dont acte aux alentours de la mairie du XIIe arrondis-sement. En majuscules noires sur quelques façades en pierres
de taille.
L’anecdote m’a été rapportée récemment, par un des quatre loustics de l’époque, aujourd’hui bien propre sur lui, avec sa plaque de kiné ayant pignon sur rue, mais pas peu fier d’avoir commis un tel forfait scriptural. A ceci près, m’avoue-t-il, que le surlendemain, en page intérieure de Libération, après les gloses électorales sur le demi-échec de la gauche, figurait ce pied de nez nécrologique : Claude François : a volté.

ET QUARANTE ANS PLUS TARD, toujours la même interrogation sur ce point : le titreur de Libé a-t-il eu, à deux jours près, le même idée que ces soiffards satiriques ? Ou bien est-il tombé, entre-temps, de visu sur ce slogan graffité en sortant de chez lui ? Éternelle dilemme, faut-il privilégier la piste des hasardeuses confluences de l’inventivité, ou traquer partout une source première qui serait l’objet d’emprunts successifs ? Faute de pouvoir trancher, autant laisser en friche cette zone de non-droit d’auteur.

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