10 janvier 1992
[Journal de bord — Extraits.]

Souvenir d’il y a une semaine : j’apprends par Eric, le seul ludion franc et massif de l’underground parisienne, qu’une bande de snobs vont annoncer leur ralliement au Parti Communiste Français au Moloco, ignoble bar branché de Pigalles. J’y vais donc pour m’en payer une tranche. Finalement, ils se sont fait refuser à leur grand étonnement par le patron du Moloco. Motif invoqué : risques de descente de fascistes, donc pas de politique dans son Haut-lieu. Repli stratégique sur un bar en face, bar à traves et arabes (à des prix normaux donc). Juste le moment plus hilarant de cette farce : le gérant de L’Idiot International, un certain Marc Cohen (membre et poisson pilote du PCF-branché), avec à côté de lui, un certain Soral, auteur de Les Mouvements de mode expliqués aux parents, superfrimeur venu draguer en eaux troubles. Discours à deux voix. D’un côté, le petit apparatchik en mission prosélyte ; de l’autre, le grand blond, rallié à la cause par dandysme au quatrième degré. Un mètre cinquante d’amnésie stalinienne en compagnie des un mètre quatre-vingt-dix du converti de fraîche date au « marxisme ». À crever de rire. La carpe et le coup du lapin. Le petit juif honteux transi d’admiration pour sa recrue bien aryenne : blabla pour les voitures françaises, les mines de charbons françaises, etc. Le snobissime Soral ose même une apologie d’un nouveau « national-populisme » à la française pour contrecarrer le Front National. Drieu derrière le masque de Malraux qui se prendrait pour un Morand tendance Nizan. Il dit adorer « Céline en littérature », mais préfère « appeler cette première cellule des travailleurs des médias, cellule Vailland ». Je prends vaguement la parole : « Elstine est l’auteur d’un récent putsch stalino-libéral que certains avaient déjà prévu dès les années 1920 au risque du Goulag… en URSS, le capitalisme d’État dévoile son vrai visage, après avoir, il y a quarante ans déjà, dévoilé sa consanguinité avec la tentation fasciste, etc. » Je cause un peu Histoire donc, dans le désert devant une trentaine de petites têtes molles qui me regardent comme si je tombais de la lune. Illettrisme politique absolu. Question : cette scène qui se passe aujourd’hui, est-elle si différente de celles qui ont dû se passer dans les années 30 quand les normaliens s’enrôlaient pour le stalinisme et insultaient Victor serge, Souvarine, Trotsky et tant d’autres sans rien savoir de rien, par anti-conformisme analphabète. Pauvre histoire des idées revues et corrigées par des poseurs cyniques. On se casse avec l’ami Eric qui vend ses journaux satiriques dans les bars. Beuverie au Chat Noir. Une vieille putain m’aguiche. Ex-fantasme obèse, ridé, et qui se confie jusqu’au vertige de l’angoisse, bières après bières. Je rentre me coucher aux aurores.

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