2 juin 2011
[Lectures en partage —
Victor Serge, les pièces manquantes
d’un puzzle communiste libertaire.]
Depuis près d’un an, pensebete.archyves.net propose en feuilletage & téléchargement de larges extraits de l’essai de Jean-Luc Sahagian, Victor Serge l’homme double – Histoire d’un XXe siècle échoué.
Depuis quelques jours, c’est devenu un livre aux éditions libertalia.

Pour l’occasion, je me suis fendu d’une préface, à lire ci-dessous.
D’un serge l’autre
Fils d’émigrés russes anti-tsaristes, Victor Serge a 27 ans quand un monde bascule, là-bas, à l’Est du charnier européen, du côté des Soviets. La terre de ses origines familiales a tremblé, et ce séisme, comme pour tant d’autres, lui ouvre des horizons. La Révolution, avec son grand appel d’air, il ne la rejoindra qu’en janvier 1919 pour devenir un des soutiens intellectuels les plus ardents du régime bolchevique, avant qu’il ne lui faille déchanter, sa proximité avec des oppositionnels de gauche au stalinisme naissant devant lui coûter très cher. Cruel retour de flamme à la hauteur de ses idéaux jamais repentis : déportation à Orenbourg en 1933, internement psychiatrique de sa femme Loubia en 1934 et expulsion d’URSS en 1936. Mais bien avant l’enthousiasme du léniniste fraîchement converti, bien avant les compromis tactiques du propagandiste du Komintern, bien avant les temps amers de l’exil et les querelles entre ex-compagnons de route de Trotski, bien avant que se confrontent les points de vue du romancier et de l’homme d’action, le jeune Victor avait eu une première vie politique, tout un parcours déjà tumultueux, enraciné dans les milieux libertaires belge puis français du début du XXe siècle. Et l’on ne comprendrait pas grand-chose aux doutes, scrupules et nuances qui ont sous-tendu par la suite son éthique militante et littéraire si l’on continuait à traiter à la légère cette période fondatrice, comme un simple défouloir adolescent, une sorte de stade infantile de ses engagements ultérieurs, quand l’âge adulte vous remet dans le droit chemin de la raison d’État, fut-il prolétarien.
Et c’est d’abord là où Jean-Luc Sahagian fait exception, rompant avec l’habituelle dévalorisation de la période anarchiste de Serge – réduite à une parenthèse folklorique –, pour en exhumer les multiples facettes et les enjeux majeurs. Partant de cette hypothèse à contre-courant, l’essayiste redonne enfin sa place à cette sensibilité de jeunesse et fait le pari qu’elle n’a pas disparu du jour au lendemain, mais, au contraire, qu’elle a marqué sur la durée son être profond, servant alternativement de garde-fou ou de repoussoir au futur porte-voix du pouvoir bolchevique, puis de boussole ou de mauvaise conscience au dissident révolutionnaire qu’il s’évertuera malgré tout à demeurer, malgré les faux amis et frères ennemis de son propre bord. Il est temps de relire aujourd’hui le destin de Serge à travers ce prisme originel, pour mesurer la part d’attachement à ses premières intuitions libertaires, sans négliger en lui la part du déni, de la hantise, de l’incohérence ou du doute…
Avant de céder la parole aux nuances éclairantes de Jean-Luc Sahagian, quelques mots encore pour résumer à grands traits l’état d’esprit d’un certain Victor Kibaltchitch, alias Le Rétif, son nom de plume d’alors… En 1909, il vient d’avoir dix-neuf ans quand il signe ses premiers articles dans l’anarchie, le brûlot hebdomadaire des anarcho-individualistes fondé quatre ans plus tôt par Albert Libertad – cet invalide des deux jambes qui prônait « la grève des gestes inutiles » face à l’abrutissement du travail. Lecteur précoce de Kropotkine et de Nietzsche, il en tire une singulière synthèse, moquant pêle-mêle la bêtise patriotarde, la farce électorale, mais aussi le jésuitisme pseudo-laïc et la veulerie attentiste des syndicats. Plus brutalement encore, il renvoie dos-à-dos la vachardise patronale et la servitude des masses laborieuses. Au rituel «ni dieu, ni maître», il ajoute sa note discordante : «Ni berger, Ni mouton», comme l’avait fait avant lui d’autres «en-dehors» de la Belle Époque : Zo d’Axa, Darien ou Jossot. Avec une virulence débridée, il provoque, surenchérit, cogne sur les soumis autant que sur les puissants et, face à l’inertie sociale mortifère, prône la réappropriation immédiate ou la marge des «milieux libres». L’aube nouvelle d’accord, mais ici et maintenant. D’où le ton de ses appels qui se double parfois d’un mépris pour la passivité de ses frères de misère, tant l’impatience de sa révolte lui semble incompatible avec les demi-mesures du mouvement ouvrier organisé. À ses yeux, il faut franchir le cap illico, quitter les routines de sa condition, sortir du lot commun, et même passer les bornes de la légalité, si nécessaire. Au fameux adage des socialismes partageux du XIXe siècle – «De chacun selon ses besoins à chacun selon ses moyens» – il fait un sort particulier à ce «chacun», non pour que «chacun pour soi» tire son épingle du jeu (de dupe), mais pour que «tout un chacun» y mette son grain de sel, pour que ça fasse tache d’huile, de l’unique au multiple, par contagion affinitaire. Ce credo stirnérien qui avait gagné des adeptes depuis la fin des années 1890 – la fameuse «libre association des égoïsmes» –, Victor le pousse à l’extrême, parfois aux limites supportables… Mais de tels accents anti-plébéiens contre les «bêlements» des victimes consentantes ne peuvent s’interpréter isolément – comme une adhésion aux préjugés réactionnaires sur la « psychologie des foules » d’un Gustave Lebon –, puisqu’ils cherchent à briser le cercle vicieux de cette résignation par d’autres moyens, en l’occurrence, le passage à l’acte des volontés de rupture individuelle.
Certains lecteurs hâtifs ou malveillants ont cru reconnaître dans ce culte de l’énergie associé à une morgue envers la passivité grégaire du peuple les liaisons dangereuses d’un certain «pré-fascisme». L’amalgame paraît d’autant plus abusif que les individualistes libertaires, malgré leur dédain affiché, ont participé à la plupart des combats fédérateurs de l’extrême gauche durant la Belle Époque, tandis que les rares transfuges ayant rejoint à partir des années 1910 le pôle social-nationaliste de l’Action Française, via le Cercle Proudhon, étaient plutôt des syndicalistes révolutionnaires influencés par les dérives idéologiques de George Sorel. D’autre part, et aussi paradoxal que cela puisse paraître, ce sont souvent les partisans de « l’Unique contre le joug majoritaire » qui ont mis en pratique les principes de l’entraide en créant diverses expérimentations communautaires (lieux de vie, de production agricole, d’amour libre, de pédagogie parallèle, de causerie populaire, de bibliothèque pour tous et de diffusion de presse militante). Reste que le malentendu entre volonté émancipatrice (en puissance) et volonté de puissance (tout court) n’est pas si facile à éviter, y compris dans les écrits du jeune Victor. À force d’essentialiser une pure désaliénation de soi par soi, et de dénoncer la posture victimaire des incurables esclaves, le franc-tireur anti-autoritaire n’a pas toujours évité la posture «anaristocratique» ou l’apologie shématique du «bandit d’honneur». Mais les ambiguïtés élitistes de cette surenchère verbale nous parlent aussi d’aujourd’hui, annonçant les mêmes travers chez certains (post-)situationnistes et (néo-)insurectionnalistes tiqquniens. Et c’est aussi l’intérêt du livre de Jean-Luc Sahagian que de nous replonger dans des débats d’idées ou des utopies concrètes qui font écho à des questions actuelles, pour remettre en perspective les errements et la richesse de ces expériences antérieures.
On connaît mieux l’épilogue de cette histoire… quand, parmi les plus proches amis du Rétif, quelques «anarchistes malfaiteurs» vont passer à l’action, tous azimuts, avec panache, quoique parfois sans scrupule. Malgré ses propres désaccords avec Jules Bonnot, il va défendre «l’illégalisme» de ses compagnons d’infortune, non sans nuance, mais avec une loyauté sans faille, jusqu’au désastre final. Et ça, il le payera très cher : quatre ans de détention et l’ombre d’un doute qui commence à planer sur ses convictions d’alors. Parce que, à mesure que la guerre approche et que le syndicalisme d’action directe perd du terrain, la nébuleuse anarcho-individualiste restreint ses préoccupations à la portion congrue : nudisme, camaraderie amoureuse, végétarisme… Exilé à Barcelone en janvier 1917, le typographe Victor Serge participe à une tentative de grève générale, espoir déçu mais le réconciliant durablement avec la force collective du mouvement ouvrier. Et c’est à partir de là qu’il prend ses distances avec l’égotisme étroit de ses anciens amis, celui du néo-malthusien Émile Armand en particulier, et qu’il rédige dans la foulée son Essai sur Nietzsche, un texte charnière qui, sans renier l’anarcho-individualisme, y pressent quelques écueils internes et risques de confusion.
Ensuite, il y a un second Victor Serge, rejoignant l’épopée des Soviets sur le tard, en 1919. C’est celui-là, devenu tout à la fois écrivain du temps présent et révolutionnaire professionnel, qu’interroge Jean-Luc Sahagian, en piochant ici et là dans sa vie et son œuvre. Sans œillères ni tabou, il nous invite à sonder les zones d’ombre et de lumière d’un destin plus complexe qu’il n’y paraît. Car derrière le portrait plutôt lisse que Serge a voulu donner de lui-même, on découvre un être soucieux de cacher ses états d’âme, d’arrondir les angles, de concilier le pire et le meilleur, d’équilibrer la fin et les moyens, de peser le pour et le contre, de faire tenir ensemble bien des contradictions secrètes. Avec élégance et courage souvent, mais aussi un soupçon de mauvaise foi dans cette façon d’amoindrir la portée de ses premières amours libertaires pour mieux coller à son bolchevisme de deuxième main. Confrontant les récits autobiographiques de Serge à d’autres témoignages d’époque – ceux d’Alexander Berkman ou de Jean Malaquais, entre autres –, l’auteur s’arrête sur quelques moments forts des années 20 et 30, ainsi que d’autres accidents de parcours moins reluisants. Au fil des pages, le lecteur rassemble les pièces du puzzle, fait la navette entre la fougue subversive des années de jeunesse et la discipline militante de l’homme de lettres. Et au terme de cet itinéraire politique, existentiel et littéraire, on prend toute la mesure des dilemmes à jamais irréconciliables qui n’ont cessé de hanter Victor Serge, non par duplicité, mais selon le trouble intérieur d’une schizophrénie permanente.
On l’aura compris, cet essai n’est pas neutre, il est même traversé de sentiments contraires, d’empathie irrésistible et d’agacement marqué. Non pas que l’auteur ait voulu trancher entre le communiste et le libertaire, déboulonner une idole ou redresser les torts des biographies officielles. Rien d’universitaire ni de dogmatique dans la démarche de Jean-Luc Sahagian, mais bien plutôt le souci de maintenir un point de vue subjectif et rêveur malgré les contraintes d’une recherche documentée. Et c’est ce parti rigoureusement passionné et fraternellement polémique qui – sans nous obliger à y adhérer en bloc –, rend ce travail de mémoire d’une actualité encore vive.
D’autres écrits de la période libertaire
de Victor Serge ici même.
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29 mai 2011
[Texticules et icôneries — Sommeil paradoxal.]

Prédestination postsynchronisée.
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28 mai 2011
[Portraits crachés — Suite sans fin.]
Comme le courrier est adressé à Monsieur H***, sans se poser de question, le père de Florian H*** commence à décacheter, déplier et découvre aussitôt qu’il y a erreur sur la personne – le seul prénom de son fils en haut à droite de la lettre et de nouveau Cher Florian virgule à la ligne, mais trop tard, maintenant que sa curiosité s’est mise en éveil, ça invite à y regarder de plus près… D’abord l’en-tête officiel du Collège Évariste Galois, puis l’intitulé majuscule convocation et ces deux mots, même détachés de leur contexte, qui font tache : Conseil de discipline, avec la date et l’heure en caractères gras.
À peine le temps de renfiler la feuille dans l’enveloppe, ni vu ni connu, et dring dring le premier concerné qui sonne à la porte parce qu’il a dû oublier ses clés, et encore si c’était que ça, en vadrouille le Florian depuis la veille milieu de matinée, malgré ses grands dieux jurés crachés, retour minuit pile c’est promis, sauf que non, personne à l’heure dite, et le reste de la nuit idem, parce que du haut de son mètre quatre-vingt-onze, ce fieffé bluffeur tire sur la corde et mène ses parents en bateau, sans qu’on sache jamais où il crèche ni avec qui que quoi ni sms, un peu à l’ouest sans perdre le nord, évaporé d’ici ou là, peu importe, du moment qu’il revient au bercail le jour d’après, la gueule enfarinée, avec de fausses excuses plein la bouche, et d’autres craques à volonté et très mauvaise haleine, lui qui vient tout juste de fêter ses quatorze balais et paumer son troisième portable dans la foulée, mais pas sa faute, non non, c’est à cause de Shamir, un pote qui se l’est fait confisquer par deux adultes en civil, à la sortie du bahut, des assermentés de la BAC, crânes rasés super louches il paraît, qui voulaient l’obliger à accuser son frère d’un racket bidon juste parce qu’ils sont jumeaux et que, d’accord, l’autre Shamsidine même s’il est pas blanc-blanc, depuis l’infractus de leur mère, ils ont grave des raisons de déjanter, faut comprendre.
Cette fois, le père aussi a ses raisons et l’occasion rêvée de signifier à son foutu rejeton et découcheur récidiviste que la coupe est pleine, juste une petite goutte de trop, et que ça déborde du vase, qu’il n’en peut plus de ses bobards à dormir dehors, ras le bol quoi ! Mais le fiston a déjà prévu la parade, le boniment adéquate. Et le voilà reparti, tête baissée, yeux fuyants, bouche traviole, pour un tour de piste, à réciter d’une voix morne sa petite leçon de cancre au grand cœur.
— Je sais p’pa, j’aurais dû vous rappeler, mais là c’était un cas limite, genre on était sortis tranquille en soirée, et Mona elle a déconné aux toilettes, ensuite fallait prendre un taxi vite fait, mais l’autre con a voulu qu’on descende à cause du sang sur sa banquette, même à l’hosto, ils ont flippé en la voyant, Mona super blême et sa grosse veine du bras qui pissait à mort, après je me suis endormi dans la salle d’attente, et ses parents toujours injoignables, à cause d’eux, j’allais pas la laisser rentrer toute seule, surtout qu’ils sont avocats d’affaires, leur fille, je sais pas moi, on dirait que c’est pas leur bizness, et en plus, comme ils savent que je suis un mec réglo, ils me laissent chaque fois gérer le problème…
— Et puis quoi encore, hein ? T’as rien trouvé de plus… ?!
— Si si, p’pa, je te promets, tu la connais Mona, tu sais bien que…
— Mélange pas tout, d’accord ! Même si sur ce coup-là… bon ben disons que je te crois, t’as quand même l’art de te foutre dans des merdes pas possibles. Et puis ça suffit quoi, c’est pas de ton âge des trucs pareils !
— N’empêche c’est ma copine, c’est obligé que, si elle a envie de se faire du mal, je sois super présent…
— Justement Florian, ça fait combien de temps que t’es pas allé en cours, hein ?
— Crise pas, c’est juste que des fois c’est pas trop possible d’être partout à la fois, alors si je dois m’occuper de Tariq et de Sofiane et de Léonore et même du fils du proviseur qui s’est fait gauler avec un tas de conneries dans les poche, hyper mal barré, là forcément c’est full time, donc je sèche à temps complet.
— Plusieurs jours, c’est ça !
— Bof, deux petites semaines…
Silence de part et d’autre, en attendant que le père encaisse le choc et remette la main sur l’enveloppe ouverte par erreur, son espèce de joker.
— Et ça c’est quoi, hein ?
— Aucune idée, montre voir…
Bref moment de répit avant que le ton ne monte d’un ultime cran et que, ayant tous deux épuisés les charmes de la guerre des nerfs, ça finisse par se régler à coups de poings, quatre cinq rounds presque à égalité, et au bout du compte à rebours : le père couché raide mort sur la moquette et le fils claquemuré en pension au trimestre suivant.
— Alors, conseil de discipline, t’es fier de toi ?
— Ouais, pas mal, ça va bientôt faire le sixième conseil en plénière, j’aime bien, tout le monde essaye d’être réglo, la classe. D’ailleurs y’a dix jours, j’ai même voté une exclusion définitive, à l’unanimité sauf deux parents d’élèves, un cas naze, total indéfendable. Sauf que ensuite, on se taille à minuit du collège, et le lendemain faut justifier le bordel, ça prend des plombes sinon c’est le souk dans le quartier.
— Attends, Florian, tu vas pas me dire que, toi, tu… ?!
— Si si, j’ai dû oublier de vous dire, c’est moi qu’on a élu en début d’année, un truc de ouf, je suis délégué des délégués.
— Et le proviseur, il en pense quoi de tes absences, tout ça ?
— Oh, c’est pas ça la priorité du point de vue de la vie scolaire, il m’a prévenu d’ailleurs, c’est sûr que l’année prochaine je serais pas admis à redoubler dans l’établissement, mais comme il a dit, c’est plutôt en tant que représentant de la communauté éducative, pour tout le relationnel avec les élèves, que je vais lui manquer.
— Florian, tu te rends compte de ce que tu es train de…?
— Ben ouais, p’pa, mais je crois surtout que t’as pas idée de comment ça se vit en vrai la mixité sociale à l’école…
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25 mai 2011
[Icône Binôme — Chien à géométrie variable.]

Angle droit devant

Bord cadre maxillaire
Pour accéder à d’autres photos appariées
de la série «Icône Binôme», c’est par là.

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24 mai 2011
[Souviens-moi — (suite sans fin).]
De ne pas oublier que, traîné par mon père au Grand Palais qui consacrait alors son exposition à Cézanne, j’avais très peu goûté le dédale du musée, avec ses natures mortes par dizaines en enfilade, tant de pommes et poires en rangs d’oignons que c’en était à pleurer d’ennui, et après cette compote de fruits des paysages de campagne, genre carte postale des pires vacances qui se puissent imaginer, quand les parents croient faire plaisir en proposant d’aller «se mettre au vert».
De ne pas oublier que, sur une façade d’angle donnant sur la rue Montmartre, est longtemps demeuré le motif défraichi d’une très ancienne réclame pour le quotidien l’Humanité, non loin du café du Croissant où Jean Jaurès fut assassiné le 31 juillet 1914, et puis que cette peinture murale a soudain disparu après certains travaux de ravalement, sans doute par décision des co-propriétaires soucieux de redonner un coup de neuf à leur investissement immobilier.
De ne pas oublier que, si l’on invente aujourd’hui des mini-radars capables de détecter les macro-radars régulant la vitesse des flux automobiles, c’est bien la preuve que la société de contrôle prophétisée par Gilles Deleuze ne cesse de faire des progrès, mais le fait que le mot « radar » soit un palindrome doit aussi avoir un rapport avec ce retournement-là, sans que je sache trop quoi en conclure.
De ne pas oublier que, au-dessus du lit double offert pour l’anniversaire de mes seize ans, trônait une affiche où foisonnaient divers slogans seventies, parmi lesquels : «une femme sur deux est un homme», «la pénétration n’est pas obligatoire», «coup bas si, porc no!», et d’autres qui ont fini par m’échapper, sauf ce dernier – «viol de nuit, terre des hommes» – qui plaisait comme à son insu au petit prince que j’étais encore.
De ne pas oublier qu’en arabe dialectal harraga signifie littéralement ce «qui brûle » et, que, de proche en proche, par quelque déplacement populaire du sens, le même mot s’est mis à figurer en chaque migrant clandestin celui qui a dû «brûler » ses papiers d’identité avant de traverser la mer méditerranée sur quelque embarcation d’(in-)fortune.
De ne pas oublier ce fin gourmet japonais qui, après avoir parcouru tous les étals du marché aux fruits et légumes de Dinan, s’était contenté de glaner deux sacs entiers de fanes de carottes, abandonnées, à son grand étonnement, par terre.
De ne pas oublier que j’ai cessé de regarder les informations télévisés, sur quelque canal ou chaîne que ce soit, en janvier 1991, suite aux effets spéciaux de la première guerre du Golfe – cet interminable wargame entre les «Scud» et les «Patriot» –, première guerre du Golfe, ai-je d’abord cru, induit en erreur par la propagande de l’époque, alors que c’était la deuxième et pas la dernière, si l’on tient compte du conflit antérieur entre l’Iran et l’Irak, avec ses centaines de milliers de cadavres de part et d’autre de la ligne de Front, tous passés inaperçus depuis, par pertes et profits.
De ne pas oublier que, lors des mes trois dernières visites à l’hôpital Emile Roux de Limeil-Brévannes, je n’ai pas su quoi répliquer à ma grand-mère qui, face à l’importun qui se penchait pour l’embrasser, n’eut pour le tenir à distance que ces deux mots à murmurer : «Bonjour Monsieur».

[La série des Souviens-moi ayant fait son
chemin par extraits sur ce Pense-bête,
on en retrouvera la somme remaniée et
augmentée dans un volume à paraître
aux éditions de l’Olivier en mars 2014.]
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22 mai 2011
[Texticules et icôneries — Sieste à durée indéterminée.]

Si vous ne nous laissez pas rêver…
nous vous empêcherons de dormir!
[Si no nos dejáis soñar…
no os dejaremos dormir!]
Banière géante,
place Puerta del Sol occupée,
Madrid, 17 mai 2011.
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21 mai 2011
[Allergie à l’air du temps —
Contre-révolution tunisienne,
retour de flammes et diaspora.]
Difficile d’élucubrer sur la situation des réfugiés tunisiens sans revenir sur les événements de ces deux dernières semaines, de part et d’autre de la Méditerranée. Donc, pour commencer, petit flash-back sur les manifestations qui ont eu lieu à Tunis du jeudi 5 au dimanche 8 mai. Face au recyclage des cadres de l’ancien régime, à l’indigence des améliorations sociales et au renforcement de la répression quotidienne, des cortèges se sont formés sur l’avenue Bourguiba (non loin du ministère de l’Intérieur) avec pour cri de ralliement l’hymne national et d’autres slogans plus politisés : «Ce gouvernement de transition travaille toujours pour Ben Ali», «Gouvernement dégage», «Flics, bande de lâches».

En réponse, les CRS locaux ont lacrymogéné la foule, avec le soutien de quelques blindés légers et de brigades motorisées & cagoulées (comme en Iran), tandis que des flics en civils bastonnaient salement aux alentours… jusqu’au couvre-feu décrété le samedi soir à Tunis.

Il est vrai qu’en lointaine banlieue, des émeutes de la misère avaient éclaté au même moment, avec pillage à la clé et incendie d’au moins cinq commissariats. Face à cet embrasement, les porte-paroles de l’Etat ont brandi la menace du complot et accusé les fauteurs de troubles d’être «manipulés» et «payés» par des «forces occultes», alléguant qu’il pourrait s’agir d’ex-benalistes ou d’agitateurs d’extrême gauche, ou des deux à la fois. Histoire de déconsidérer le noyau dur des jeunes enragés (de la première heure révolutionnaire) et les crève-la-faim de la périphérie, dont les mouvements étaient suivis par un projecteur à bord d’un hélicoptère survolant la zone, tandis que les miliciens du principal mouvement islamiste (Ennahda — Renaissance) quadrillaient le quartier. Pour éviter de voir circuler trop d’images sur les circonstances exactes de ce regain de tension, les appareils photos des reporters ont été confisqués et les forces de l’ordre ont même poursuivi les rares journalistes à l’intérieur du siège du journal La Presse où ils s’étaient réfugiés (ce qui a d’ailleurs valu au Pouvoir un communiqué outragé sur l’absence de « liberté d’expression » par le syndicat SJNT).

Outre six morts du tableau de chasse (à l’homme) des robocops militaro-policiers, on distingue parmi les dizaines de blessés un certain Oussama Achouri, dont la tragique mésaventure enflamme depuis quelques jours les réseaux sociaux des Tunisiens en colère (mais qu’aucun média français n’a jugé utile de raconter).

Molesté dans l’après-midi du 6 mai, le jeune manifestant a accepté de donner dès le lendemain un témoignage vidéo pour le site indépendant Nawaat à propos de son agression. Le 12 mai, il est arrêté par des agents du « septième » poste de police, de triste réputation, et transféré auprès de la section technique du ministère de l’intérieur qui filme une séquence édifiante d’auto-critique transmise sur une chaîne de la TV nationale. Il y confesse que les « casseurs » seraient à la solde d’agents manipulateurs (en l’occurrence, le militant des droits de l’homme Hamma Hammami et et le secrétaire du Parti Communiste Ouvrier de Tunisie… si si, rien que ça).

Mais peu après avoir été relâché, il cherche à prouver les sévices subis lors de sa mise à l’ombre. La plupart des médecins contactés refusent, mais un plus courageux que ses confrères accepte de lui délivrer un certificat, détaillant les cicatrices de son passage à tabac, doublé des traces d’un viol.

Fort de ce papier officiel, il en fait état au cours de plusieurs interview rendues publiques.

D’où sa nouvelle arrestation le 14 mai et sa libération en catimini, face au tollé qui couve via Internet sous ce très symbolique nom de code : « Nous sommes tous Oussama Achouri ! » D’où les nouveaux incident à Tunis, aussitôt réprimés le 14 mai dernier.
Repassons de l’autre côté de la Méditerranée. Quelle a été, ici, la couverture médiatique des événements de début mai à Tunis ? Quasi nulle. À part l’invitation sur France Inter, le 10 mai à 7h45 heures, du nouveau ministre des Affaires Étrangères tunisien interrogé par Pascale Clark, visiblement tombée sous le charme de ce diplomate de 65 ans. Pas un mot sur son passé. Et pourtant, ça mérite le détour : diplômé en philosophie de l’université de Strasbourg, ex-ambassadeur à Prague, Berlin, Moscou puis Londres, ainsi que chef de cabinet ou chef de mission au Ministère des Affaires étrangères durant la dernière décennie du président Ben Ali… Bref, un rouage raffiné et discret de l’Ancien Régime qui, vu ses titres de gloire, a forcément couvert la politique de fichage, diffamation et persécution des opposants à l’étranger. Qu’on en juge : premier geste depuis sa nomination le 21 février, nommer 34 nouveaux ambassadeurs, dont 90% exerçaient déjà cette fonction auparavant. Le changement dans la continuité, donc. Mais bon, alors… quel message était-il venu délivrer à l’opinion publique française et à ses compatriotes de la diaspora ? Que ces «fuyards» tunisiens qui « sont partis au lendemain du recouvrement de la liberté » pour chercher l’Eldorado en Europe se sont fait tromper par des «passeurs» sans scrupules (ça, c’est sûr, et les garde-côtes du régime actuel s’en soucient fort peu). Il a ajouté que contrairement aux «véritables réfugiés politiques» libyens qui «ont risqué leur vie», eux «y’a pas photo», ils ne «risquent pas grand-chose dans leur propre pays, même s’il y a encore des bagarres et du chômage». Relancée par l’animatrice radio sur les émeutes récentes de Tunis, il a aussitôt minimisé cet accès «de fièvre d’un corps convalescent» qui ne devrait pas tarder à retomber. Et pour toute explication dudit «épiphénomène»… la thèse du complot : «Ce qui s’est passé y’a 4 ou 5 jours… malheureusement, il y a certaines forces, qui pensent que les élections ne doivent pas avoir lieu. (…) On a des présomptions, sans être sûr… des forces occultes qui payent des jeunes, on sait que certaines parties (sic) travaillent dans l’ombre et cette jeunesse abandonnée est une proie facile pour ces manipulateurs-là, des anciens bénalistes ou de l’extrême gauche.» Tout un savoir-faire dans l’intox, alternant confusion et suspicion, pour discréditer les manifestants, criminaliser leurs faits et gestes, tarir à la source le contenu de leurs slogans et salir leur réputation. Alors qu’il est très bien place pour savoir de quoi il retourne : ces jeunes en colère sont ceux-là mêmes qui, trois mois plus tôt, ont fait tomber l’ubuesque despote et s’ils reviennent à la charge, s’insurgent encore, c’est parce qu’ils ont le sentiment d’avoir été trompés, bernés, floués. D’ailleurs, ce propagandiste ministériel qui invoque on ne sait quelle conspiration en est la preuve vivante : Ben Ali’s not dead. Et pire encore la bête immonde tire la plupart des ficelles de la transition démocratique ? Et pour mieux faire passer la pilule amère, elle fait naître d’étranges zombies fantasmatiques, des « casseurs » mercenaires à la solde tant des sbires du RCD que des gauchistes (Tiens tiens tiens, on a soudain changé de cible, d’habitude c’était plutôt le péril islamiste!)…
Et face à ce bobard énorme, aucune réaction de la journaliste, pourtant réputée si caustique. Mais il est vrai qu’elle n’en était pas à son coup d’essai. La semaine précédente, le 27 avril, elle avait invité une autre personnalité du pouvoir en place, Mehdi Houas, le ministre du Commerce et du Tourisme tunisien très fraîchement intronisé. Là encore, à l’antenne, on n’a pas vraiment su à qui on avait affaire. Un franco-tunisien de 47 balais, fils d’un exilé des années 50, né à Marseille, brillant élève, puis ingénieur des Télécoms, engagé au bas de l’échelle chez IBM, bientôt écarté avant qu’il ne co-fonde une entreprise en 2002, Talan (450 salariés depuis), spécialisée dans la vente de conseils informatiques aux principales banques françaises et à trois opérateurs de téléphonies mobiles. Du bagout à revendre, un affichage éthique contre la discrimination dans les Cités et des relations très haut placées (souvent à droite, y compris avec l’ami Brice Hortefeux invité lors d’un dîner de son Club du XIIe siècle, mais aussi du côté de Bertrand Delanoë avec lequel une conférence de presse le 8 avril dernier annonçant en grandes pompes l’érection d’un «Village du Jasmin» sur le parvis de l’Hôtel de Ville le 21 et 22 mai).

Premier acte fort de cet adepte de l’économie mixte, le refonte du site web de son ministère et le lancement d’une campagne Tunisia I love you, (sans aucun appel d’offre) par la société multimedia Bygmalion, dirigée par un certain Nicolas Chadeville et surtout Bastien Millot, ex-communiquant en chef à France Télévisions et idem aujourd’hui auprès du nouveau patron de l’UMP, Jean-François Copé.


Et qu’avait-il à raconter à Pascale Clark, ce manager new-look ? Que «la Révolution a beaucoup apporté au Tunisiens» qui sont d’un seul coup d’un seul passés d’une «dictature» à un «pays libre», sauf qu’il faudrait «qu’il arrêtent les manifs maintenant», parce que ça n’a jamais été qu’un mouvement «pour la dignité», pas un «mouvement social» ou alors sur des problèmes «conjoncturels». Cerise sur le gâteau, il se réjouit de la liberté de circulation «pour les bizness-trip des hommes d’affaire tunisiens, un seul papier au lieu de quatre» et botte en touche à propos des migrants arrivés à bout de force à Lampedusa : «Parlez-moi des belles choses… de la plage, du soleil!» Et voilà le tour de passe-passe achevé en douceur. Aucun souci de lutte des classes, juste une lutte pour les places à prendre, bref le renouvellement des vieilles élites corrompues par la génération suivante des corrupteurs aux dents si longues que ça rayait le parquet de Radio France à la fin de l’émission. D’un ministre l’autre, la boucle radiophonique était bouclée, celle du recyclage en cours des dignitaires les moins compromis avec quelques Bernard Tapie bi-nationaux [et il est remarquable que deux heures d’investigation sur Internet suffisent à voir le dessous de certaines cartes, sans que la plupart des journalistes ne jugent nécessaires d’y aller voir de plus près, de recouper et creuser ces infos pourtant éclairantes…]
D’accord mais, objectera-t-on, quel rapport immédiat entre l’effervescence sociale là-bas, l’hypocrisie de la couverture média ici et le mauvais sort des réfugiés s’amassant vers la porte de La Villette ou se donnant un début d’expression autonome dans le gymnase de la rue Fontaine au Roi ? Le rapport est permanent, transversal et essentiel. Il suffit d’avoir assisté à quelques bribes d’Assemblée Générale du Collectif des Tunisiens de Lampedusa pour s’en rendre compte.
Pour preuve, la semaine dernière, quand l’un des migrants en lutte haussa le ton pour annoncer qu’il venait de perdre deux cousins dans la repression des manifs de Tunis. Ou quand un autre, plus jeune, à qui je demandais quel type de slogan gueulaient les manifestants du 7 mai, me répondit avec un très large sourire complice :
« Ben Ali, sa tête on l’a dégagée, mais son corps est encore là. »
D’où, entre autres questions évoquées dans l’Agora du gymnase occupé depuis dix jours, celle qui fait l’unanimité parmi les migrants: exiger auprès de l’État français ou/et de la Mairie de Paris la réquisition immédiate de l’ensemble des biens immobiliers acquis par les anciens régimes corrompus de Tunisie et de Libye pour restituer ces locaux vacants aux plus réprouvés de leur population.
Ce n’est pas un mirage ou une lubie, juste une façon de reposer dans le bon sens certaines lois de l’hospitalité. Alors, c’est pour quand, la confiscation des avoirs mafieux des despotes déchus et redistribution aux acteurs du Printemps arabe qui ont choisi, plus ou moins provisoirement, l’exode…?!

Encore une proposition «irresponsable», nous objectera-t-on. En ces matières diplomatiques, il ne faut pas insulter l’avenir, et surtout pas se fâcher avec les pouvoirs fantoches qui comptent bien conserver et faire prospérer les acquis & méthodes de la même corruption. Ceci étant dit, c’est un objectif pratique plus réaliste qu’on ne croit, et surtout plus propice à faire comprendre, au-delà du cercle des déjà convaincus & soutiens solidaires, comment une partie de la «Révolution-Dégage» se joue également ici.

À ce propos, justement, le 16 mai dernier à Tunis, au cours d’une rencontre entre Claude Guéant et son homologue tunisien Habib Essid [sexagénaire discret, promu officier de l’Ordre de la République tunisienne 1992 et fidèle bureaucrate de l’Ancien Régime depuis plus de 25 ans, dans le secteur de l’économie agricole], plusieurs accords de coopération (protection civile, métiers de la mer et la création d’un centre militaire de formation professionnelle à Gafsa) ont été signés. Le ministre de l’Intérieur français a réaffirmé son refus d’accueillir toute « immigration illégale » (même avec un visa Schengen délivré par l’Italie) en demeurant très flou sur le renchérissement éventuel des modalités d’aide au retour (300 euros par adulte, ce qui aux yeux des réfugiés ayant risqué leur vie en traversant la Méditerranée dans des embarcations de fortune rembourse à peine un tiers du prix extorqué par les passeurs). Quant au savoir-faire français dans le domaine sécuritaire, le successeur de Michèle Alliot-Marie a renfoncé le même clou : «Si la Tunisie souhaite organiser des formations ou effectuer un échange d’expériences, nous sommes prêts à le faire. (…) Pour ce qui est de la police, la France reste ouverte à toute demande de formation des autorités tunisiennes, qu’elle se fasse chez nous ou en Tunisie…» (et sans que, cette fois, la proposition de collaboration ne provoque aucun émoi…)

Que le Pouvoir sarkozyste joue sur ces deux tableaux n’étonnera personne, qu’il s’accommode avec enthousiasme des hommes d’appareil & d’affaires ayant émergé dans ce gouvernement tunisien plus que jamais made in RCD, rien que de très normal. Mais on serait en droit d’attendre une autre attitude de la part de la Mairie de Paris, qui joue avec le feu d’une manière désinvolte, hypocrite et cynique. D’un côté, elle surmédiatise les 350 000 euros qu’elle prétend apporter sur la table en soutien aux réfugiés tunisiens ». Or que, faute d’en détailler la répartition réelle, on est conduit à se rendre à l’évidence : cette somme servira pour une grande part à payer les nuitées en foyer, facturées par l’association Aurore (dont les liens sont très étroits avec le groupe Vinci…) et à régler la facture de la soupe populaire servie aux environs de La Villette. Pas un sou ne revenant bien évidemment aux réfugiés, c’est en fait une augmentation d’une ligne budgétaire dévolue aux situations d’urgence sanitaire et sociale. Or, cet effet (pervers) d’annonce caritative, centrée sur le coût de ladite générosité, est plus qu’une maladresse, une véritable tromperie sur les faits, gestes et revendications du Collectif des Tunisiens de Lampedusa.
Eux n’ont jamais demandé de si onéreuses et malcommodes solutions (des couloirs sous vidéo-surveillance, ouvrant sur des dortoirs à 7 lits, avec interdiction de recevoir quiconque et obligation de déguerpir en journée, avec le risque d’ailleurs d’être cueilli par un contrôle de police non loin de la sortie). Ils ont proposé et mis en acte une toute autre stratégie (comme tant d’autres sans-logis), occuper un bâtiment vacant, dont on les délogera par la force sous prétexte d’un « péril » très imaginaire. Et pour ce qui concerne le gymnase occupé depuis presque deux semaines, c’est sans conteste une gêne pour ses usagers habituels, mais dans la dernière injonction qui leur ordonne un départ immédiat (depuis le 19 mai à midi), la gauche municipale va jusqu’à leur reprocher la «saleté» et l’usage prohibé d’ustensiles de «cuisine» dans un local à caractère sportif. Et là, on se demande jusqu’où le cynisme de M. Delanoë va continuer à pousser le bouchon. Car, contrairement à des promesses négociées à plusieurs reprises, la Municipalité n’a jamais fourni le moindre matériel d’entretien, ni organisé de distribution alimentaire aux abords de lieu occupé. Elle a simplement joué le pourrissement, dans le désir désormais indéniable de tuer dans l’œuf toute tentative d’auto-organisation chez les réfugiés, et d’empêcher l’émergence de leurs libres paroles (avec les s du pluriel, c’est exprès).
Comme quoi le social-pragmatisme humanitaire de la Mairie préfère dépenser plus, pour se débarrasser de la patate chaude et recouvrer la paix médiatique. Sinon comment expliquer que de façon si systématique, on cherche à briser les liens de l’entraide, à atomiser tout regroupement solidaire à coup de «quota» et de «cas par cas» et, pour en finir avec ce «problème», à renvoyer à leur invisibilité naturelle les premiers concernés (par clochardisation résiduelle & expulsion en catimini).
Manifestation avec les Tunisiens sans papiers en lutte,
samedi 21 mai,15h, rdv Porte de la Villette
Ce matin, en plein vernissage de son «Village du du Jasmin», aux côtés de Michel Boujenah et Serge Moati, Bertrand Delanoë a été interpellé verbalement et sommé de justifier sa nouvelle demande d’expulsion contre le Collectif des Tunisiens de Lampedusa.
L’après-midi même, à l’heure dite du rassemblement,
la nasse policière est déjà en place…
Au final : un blessé conduit à l’hôpital
et près de 70 arrestation pour l’exemple et le fichage,
quasiment tous relâchés par la suite .

Pour tracts & infos complémentaires, c’est sur le site de la CIP ici même

A signer des deux mains, une pétition sous forme de «Lettre ouverte à Monsieur Bertrand Delanoë, Maire de Paris, au sujet des Tunisiens de Lampedusa à Paris», de ce côté-là.
A voir aussi, sur Médiapart, ici…
ou sur Afrik.com, là…
ou en parcourant les articles du mois de mai sur le site indépendant Naawat, en route vers l’interface méditerranéenne…
Pour faire circuler ce texte, le lien est ici même
18 mai 2011
[Texticules et icôneries — Biotope atypique.]

Grains à moudre & association d’idées.
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17 mai 2011
[Allergie à l’air du temps —
DSK: assez de pitié… c’est déplacé.]
Depuis 24 heures, les têtes molles de gauche & de droite rivalisent de compréhesion pour l’ancien directeur du FMI, sous prétexte qu’il serait présumé innocent, laissant à Marine Le Pen et Bernard Debré l’exclusivité d’un contre-feu à cet élan compassionnel pour un Puissant saisi au moment de sa déchéance. À l’exception de Cécile Duflot et Clémentine Autain, pas une réaction nuancée, chez les socialo-écolos, qui devraient pourtant s’inspirer du plus élémentaire bon sens: si tentative de viol il y a eu, notre première pensée va à l’abusée… même si l’accusation paraît à certains peu plausible, incohérente, invraisemblable. Bref, ça pue, ce parti pris qui voudrait salir le témoignage de l’une pour laver l’autre de tout soupçon. On connaît trop bien ce refrain-là: post coitus forcé l’animâle a le complot triste. Autrement dit, «C’est pas queue de ma faute, c’est rien qu’elle qui m’a provoqué…!?» Au milieu des années 70, sur une couverture de Charlie Hebdo, Reiser avait génialement caricaturé l’arrière-pensée ordinaire des procès pour viol: le président du tribunal grondait ainsi la chèvre qui avait porté plainte: «N’empêche, mademoiselle, vous n’aviez pas de culotte!». Lieux communs d’une société phallocratique qui n’a pas tellement changée, et dont on retrouve trace dans cette émotion médiatique sélective cherchant à tout prix à sauver la réputation de DSK. D’où ce sophisme répété à l’envi, de la bande FM aux éditoriaux de presse, ce présupposé aussi machiste que débilitant: la plaignante est a priori bluffeuse; et l’inculpé victime d’un malentendu.
Alors, comme dans un rêve éveillé, je me prends à halluciner la retransmission TV, ce soir, en direct du Festival de Cannes, à l’heure de la montée des marches, pour la projection de L’Apollonide, souvenirs de la maison close, le film de Bertrand Bonello. Et si les douze «putains» du bordel en question, oui, ces douze intermittentes du pestacle retrouvant le goût épicé du dissensus, brandissaient ensemble une large banderole avec juste marqué dessus:
NOUS SOMMES TOUTES DES FEMMES DE CHAMBRE!!!
Et si, en levant des poings gantés de dentelle noire, les mêmes reprenaient en chœur quelques slogans bien sentis, du genre:
«Chaud, chaud, chaud, ras l’viol des lapins chauds!», «DSK, prends pas ton cas, pour une généralité!», «Quand une femme dit non, c’est pas oui, c’est non!», «Homme infâme du FMI, paie ta dette, par ici la sortie!»
Un happening sans doute inimaginable aujourd’hui, et c’est bien la preuve que certains réflexes se sont perdus, du côté d’une gauche au sens large… large mais pas forcément si lâche.

À moins que…

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13 mai 2011
[Lectures en partage —
Insultes littéraires… retour de flamme.]
Il y a une semaine, le vendredi 6 mai, à l’invitation du Festival Paris en toutes lettres, avait lieu une soirée consacrée à «L’insulte littéraire». Outre des extraits de classiques de l’outrage et des chapelets de jurons tirés d’œuvres déjà classiques, on devait y donner lecture de lettres ouvertes d’écrivains contemporains, dont la mienne, intitulée «What the fuck Am I Writing about ?», à découvrir in extenso ci-dessous :
«Chères organisatrices et organisateurs de cette soirée,
Vous m’avez demandé d’écrire une lettre d’insulte, oui, commandé un libelle injurieux et, comme c’est assez rare qu’on soit payé pour ça, je vais m’efforcer — sans trop me forcer — d’obéir, vu que c’est pas souvent qu’on nous rétribue au quolibet, qu’on nous finance à la ligne de tir, qu’on nous soudoie pour aboyer… Ou alors si, bien sûr que ça a déjà existé, mais c’était pendant l’Occupation, quand nos chers hommes de lettres ont mis à bas la doxa dominante, brisé tous les tabous, rivalisé d’imagination, outrepassé le politically correct… Ah non là y’a erreur dans le texte, c’est pas du tout ça que je veux dire. En fait, chez ces insulteurs à gages, aucune audace ni bravoure, mais un sens affûté du carriérisme. Les anticonformistes d’alors ont juste vendu leur âme et leur plume mercenaires pour pisser de la copie xénophobe, bouffer du juif, du métèque, du polack, du manouche, du négro & autres sangs impurs. Et histoire de les remercier d’avoir conchié le métissage apatride dans leurs pamphlets, pièces de théâtre, entretiens radio, etc., on les a grassement promus, et puis académisés. Ils ont touché les dividendes de leur collaboration à la France des terroirs et des mémoires… sélectives. Aiguiser à plaisir le lazzi pro-nazi… c’est un alexandrin je crois, ai-gui-ser-à-plai-sir-le-la-zzi-pro-na-zi, oui un vers blanc, et même petit blanc, dont l’allitération zazou a pas mal rapporté, dans l’intelligentsia franco-française de vieille souche entre 39 et 45, non, entre 1937 — «plutôt Hitler que le Front Populaire» —, et le 11 septembre 2001 — «Plutôt Le Pen que Ben Laden». Bref, un pur bizness qui douille sa race en monnaie sonnante et peu ragoûtante.
Ouf, ça y est, j’ai déjà rempli un tiers de ma tâche, mille huit cents signes, sans trop me salir les mains d’accord, mais là, va bien falloir entrer dans le vif du sujet, m’exécuter illico, diffamer quelque chose ou quelqu’un … Bon ben alors malgré tout quoique néanmoins… essayons-nous à cet exercice de sinistre lignée dans l’Empire du Milieu littéraire… Même si, vous allez me dire quand Antonin Artaud insultait les médecins chefs des Asiles de fous, rien à dire, ça avait de la gueule… Ou quand Picabia moquait le refoulé colonialiste dans la fascination d’André Breton pour l’Art Nègre ou quand Aragon premier style «conchiait l’armée française dans sa totalité», ou quand ,vingt ans plus tard, Jean Malaquais pointait dans l’Aragon deuxième manière un triste « Patriote professionnel » ou quand Armand Robin, en 1941, dans une lettre d’auto-dénonciation à la Gestapo, traitait les hitlériens d’assassins en se réjouissant d’être bientôt, à cause de cela même, fusillé aux côtés de «ses frères, les travailleurs allemands», là, on tire son chapeau, grande classe polémique. Sur un mode plus mineur et plus contemporain, ça me rappelle un cortège de chômeurs & précaires en colère qui criait ce slogan : «Crachons dans la soupe ! elle est dégueulasse !». Parce qu’aujourd’hui, ce sont plutôt les insulteurs plumitifs qui vont à la soupe, qui s’en pourlèche, qui s’en servent des louches entières et pire encore qui sont eux-mêmes la soupe – le soap comme en dit en franglais. Disons que, depuis Aristophane ou Agrippa d’Aubigné pas mal d’eaux troubles ont coulé sous les ponts, et ce qui change la donne aujourd’hui, c’est ce soap multi-média, qui inverse le sens des paraboles, met la marge satirique au centre et banalise l’attaque ad hominem, avec beaucoup beaucoup beaucoup de buzz pour rien. D’où ce nouvel imposteur qui en découle: l’iconoclaste sur écran plasma.
On en est là, avec un art de l’outrage qui fait même plus tache, ni débile ni indélébile, juste une touche de couleur dans l’incolore ordinaire. Dire du mal, c’est du dernier chic culturel, un gimmick d’ironiste sur télécommande avec ses figurants obligés sur le plateau, à ma droite le populiste Eric Zemmour, à ma gauche le populiste Eric Noaulleau, deux Eric sans Ramzy, bonnets blancs et blancs benêts. S’ils savaient comme on s’en bat de ces putains de clones tristes. Ah merde, ça y est, je crois que je viens de m’y mettre aussi, de m’y commettre, mais difficile de ne pas se prendre au jeu. Et y’a pas qu’eux qui m’énervent. Y’en a des plus rassis dans leur Panthéon. Philippe Murray, le ressentimenteur perpétuel, Emile Cioran, pareil, avec sa décomposition en dix leçons… euh, non, là, faut que j’arrête avec les macchabées, on ne crache pas sur les morts, c’est trop mal élevé et puis un peu lâche. Injurions d’abord les vivants, du moins les presque encore vivants. Rien à foutre de collectionner de nouveaux smiley sur Facebook, je préfère décompter la somme de mes ennemis au compteur. Name-trashing, ça s’appelle. Un nom bien propre et le gros mot qui va avec. Allez, on y va : Richard Millet, le chien de guerre et de rut champêtre; Christine Angot, la piteuse pythie du trauma-bizness, Michel Houellebecq, le névropathe à quatre pattes, Christophe Donner, la born again vieille teigne, Olivier Rolin, le Mao-Tseu à la sauce aigre-douce… Désolé, c’est déjà fini. Ce soir, j’aurais pu m’en faire plein, des ennemis, dix feuillets recto verso, mais ça nous menait très au-delà du temps qui m’est imparti.»
Pour un meilleur confort de lecture ou un téléchargement sous format pdf., c’est par ici.
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