17 juillet 2011
[Allergie à l’air du temps –
France Culture licencie,
la preuve par le vide.]

En 2010, c’était Pascale Casanova – et son émission l’Atelier Littéraire – qui était congédiée par l’ancienne direction de France Culture «pour un désaccord concernant son contrat de travail». Aujourd’hui, c’est au tour de Francesca Isidori – et son émission Affinités électives – de passer à la trappe. Licenciée en trois minutes, montre en main, après des dizaines d’années à l’antenne. Motif invoqué, libérer des cases pour les suivants… et puis un bilan d’audience un peu « faible ». En fait, on lui reproche trop d’exigence littéraire hors mode, coterie et actualité marchande. Dans la foulée, on apprend la disparition de l’Atelier de Création Radiophonique, animée depuis une décennie par les producteurs Frank Smith et Philippe Langlois. Ceux-là jouaient trop à la marge du sampling textuel. Dehors les gars, faut draguer l’auditeur mainstream, pas s’enfermer dans son petit labo expérimental. Et puisque jamais deux sans trois, on apprend aussi la fin de la chronique de Sophie Joubert…
La roue tourne, dira-t-on, et peu importe les aléas des ressources humaines dans telle maillon de la chaîne culturelle, avec pas que du bon mais pas tant de mauvais, comme partout ailleurs dans nos vies, des vies perdues, des profits retrouvés. Et puis quoi, restons zen, la balle au centre. Rien à dire, ça les concerne, entre journalistes, animateurs, producteurs et leur direction. Lutte de places, querelles internes. On n’a pas connaissance du dessous des cartes ni aucune raison de s’en mêler.
Et pourtant si, ça commence à faire beaucoup de monde du mauvais côté de la balance. Et toujours dans le même sens : le populisme anti-intello, le nivellement par la bassesse, le carriérisme décomplexé des têtes molles de la Kommunication. Avec en ligne de mire, cet idéal tautologique : de Very Inculte People tendant le micro à d’autres VIP.
Alors, même si je déteste les pétitions (à répétition), quelques endroits où partager son ire, ajouter son nom, mettre son grain de sel.
C’est ici ou là, et même ailleurs.
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16 juillet 2011
[Texticules et icôneries — Rien à signaler.]

Absence de perspective, surface illimitée.
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14 juillet 2011
[Inscriptions murales — no copyright.]
En 68, les murs de la fac de Nanterre puis du Quartier Latin ont «pris la parole», l’espace d’un printemps. Durant les années 70, chaque lutte, occupation, grève, cortège a marqué son territoire à l’encre noire ou rouge, côtoyant d’autres traces de révoltes loubardes, junkies, baba cool, punk, sans oublier l’humour corrosif de l’anti-sexisme et la provoc des pédés sortis du bois. Mais cette contagion-là n’a pas eu les honneurs de l’édition commémorative. Et rarement droit de cité puisque, selon une légende rétrospective, tout était déjà écrit en mai-juin 68. Comme si l’imagination ayant eu le pouvoir deux mois durant, ça suffisait comme ça. Plus rien à signaler, ou alors de très pâles copistes, émules redondants & scribouilleurs sans intérêt.
Bref, après l’âge d’or des premiers mots «d’ordre & de désordre», serait venu l’âge mûr, vite faisandé, de la contestation stéréotypée. Et pourtant, ça n’a jamais cessé depuis… de faire des petits, avec des flux et des reflux, des moments de crispation dogmatique et des états d’expressivité massive. Sauf qu’à force de fétichiser le seul graffitisme made in 68, de lui faire un sort si particulier que séparé et réifié, on a manqué ses métamorphoses ultérieures, ses subjectivations protéiformes, ses renouvellements vivaces.

Pour assurer le lien, refaire émerger la permanence anonyme & clandestine de la poésie subversive depuis quatre décennies, on a fureté un peu partout, entre l’avant-hier et l’immédiat aujourd’hui. D’où ce petit livre numérique, comme un chantier à ciel ouvert, qui voudrait recenser les bombages méconnus de nos quarante dernières années, retrouvés dans des livres, revues, albums de photos, sites web ou, pour les plus contemporains, au premier coin de rue, si d’aventure….
Et ici, nul souci d’exhaustivité, puisque la tâche est infinie par définition même. Mais pour donner envie à quelques amateurs de me prêter main forte, pour enrichir la liste de leurs récentes trouvailles ou pour en inventer d’autres à faire soi-même, à découvrir ci-dessous, quelques tags piochés parmi plus d’un millier d’autres déjà compilés ici-même…
Si dyeux est mort
kill le sait?
[Montreuil, rue des Roches, mi-juillet 11]
Nos martyrs ne sont pas à vendre
[Tunisie, Kasserine, juin 11]
Écoute la nuit
[Paris, rue Michel Le Comte, à la craie, 2 juin 11 ]
Essayer, c’est résister
[Paris, rue de Bagnolet, papier collé, 26 mai 11 ]
Être humain
se conjugue au présent
[Paris, place de la Bastille, sur trottoir, 23 mai 11 ]
I love elles
[Paris, rue Francis Picabia, 14 mai 11 ]
Poetic futur or not!
[Paris XX, Belleville, immeuble en construction, 4 mai 11]
Un mec dans mon pieu
pas dans ma peau
[Paris XIII, rue Jeanne d’Arc, fin avril 11 ]
ton patron a besoin de toi…
tu n’as pas besoin de lui!
[Besançon, 26 avril 11]
À bas le libéralisme existentiel
[Marseille, 30 mars 11 ]
Heureux soient les félés
ils laisseront passer la lumière
[Paris, Canal Saint-Martin, 22 mars 11]
Laissez–nous écrire notre histoire
[Paris, quartier Goutte d’Or, mars 11 ]
Non à l’est non à l’ouest
[Libye, Benghazi, 21 février 11 ]
Plutôt chômeur que professeur
[Grenoble, porte de l’IUFM, 19 février 11 ]
Le moi ne
[Paris, rue de l’Orillon, 11 février 11 ]
Fiché, fauché, fâché
[Toulouse, rue Jaurès, 5 février 11]
Nous voulons la liberté,
nous voulons vivre,
nous voulons du haschich
[Le Caire, 30 janvier 11]
À les vies dansent
[Paris, rue Maubeuge, 19 janvier 11 ]
Aimerai bien essayer l’enfer des autres…
c’est où?
[Genève, rue des Étuves, janvier 11]
Marre des banalités en grand format
[République, métro, sur pub, fin novembre 10]
Qui promène son chien
est au bout de sa laisse
[Marseille, Cours Julien, fin novembre 10]
Pôle emploi t’as de beaux yeux tu sais
[Dijon, fac, 10 novembre 10]
Je cours derrière rien
mais rien me suit
[Marseille, novembre 10]
En grève jusqu’à la retraite ha ha ha!
[Paris, Odéon, octobre 10]
Soyons désinvoltes n’ayons l’air de rien
[Le Mans, 12 octobre 10]
My body is your body
[Istanbul, octobre 10]
Tout vient aux mains qui savent s’étendre
[La Baule, septembre 10 ]
La sagesse ne viendra pas
[Besançon, placard publicitaire, août 10]
Masque télépathique à vendre
[Saint-Girons, août10]
J’ai des papillons dans le ventre
[Paris XI, bd Magenta, sur asphalte, 20 juin 10]
Pauline partout Justine nulle part
[Rennes, 1er mai 10]
En raison de l’indifférence générale
demain est annulé
[Lille, rue de Cambrai, mars 10]
Notre monde est en sommeil
faute d’imprudence
[Paris, rue des Francs-Bourgeois, à la craie, mars 10]
Il n’y a pas d’ailleurs où guérir d’ici
[Montreuil, à la craie, février 10]
Trop de chefs
pas assez d’indiens
[Besançon, place Pasteur, 16 octobre 09 ]
Tiens, t’es radié!
[Lens, mur de l’antenne Assedic
incendiée la veille, 17 janvier 06]
Le travail est à la vie
ce que le pétrole est à la mer
[Paris XIX, rue Haxo, 03]
Ici personne n’est normal
[Sarajevo, 95]
La mélancolie est un style de vie
[Uruguay, Montevideo, «leyenda ingeniosa», 89 ]
Bourvil’s not dead
[Lyon, entrée fac Lyon II, 86]
Chiez sur les cadres
tapez dans le décor
[Paris XX, passage Stendhal, 81]
Rasez les Alpes qu’on voit la mer
[Lausanne, Lôsane Bouge, été 80 ]
Votez les visions
[Nice, mars 78 ]
Il delitto paga
[Bologne, 20 février 77]
Futurs ancêtres
que vos os pourissent sous la lune
[Paris, pro MLF, juin 71]
Y a–t–il une vie avant la mort ?
[Belfast, Bogside, 71]
Si ça continue faudra que ça cesse
[Flins, usine Renault, juin 70]
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9 juillet 2011
[Texticules et icôneries — Tautologie ferroviaire.]

Ne pas tomber sous le sens.
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8 juillet 2011
[Allergie à l’air du temps —
Il y a deux ans à Montreuil,
flashback, flashball & cie…]
Il y a un peu moins de trois ans, face à la place du Marché de la Croix de Chavaux, en plein centre de Montreuil, une ancienne clinique privée en état de délabrement complet était occupée, réaménagée avec les moyens du bord et régulièrement ouverte au voisinage pour des braderies, permanence précarité, concerts, projections et débats.
De l’extérieur, ça ressemblait à ça.


Il y a deux ans, à la fin du mois de juin, le squat de la Clinique était vidé manu militari, puis blindé de partout avec maître-chiens. Quelques jours plus tard, le 8 juillet 2009, un repas collectif dans la rue piétonne de Montreuil, suivi d’une petite ballade festive aboutissait à l’intervention policière disproportionnée sur le terre-plein de la place du Marché : flash-balls aussitôt braqués, tirs à volonté sur le petit attroupement, sans aucune sommation, ni respect des distances minimum ou des zones d’impact (comme l’ont démontré des rapports balistiques, une reconstitution sur place et des témoignages concordants). Et les cow-boys surarmés de la BAC visant sciemment les nuques, les épaules… faisaient pas moins de cinq blessés. Quant à l’ami Joachim Gatti, une balle en plein visage… éborgné à vie.



Aujourd’hui, à la place de la bâtisse démolie à la fin de l’été 2009, un terrain vague aux gravats savamment labourés pour empêcher toute installation d’un campement de Rroms ou d’autres sans-logis. Les herbes folles ayant peu à peu gagné tout l’espace, on contemple dans l’interstice des palissades ou à travers le grillage de l’entrée, un espace vert, dont nul ne pourra jouir avant longtemps, puisque ce genre de friche spéculative est interdite au public. Tout un symbole.


Dans les jours prochains, d’autres lieux occupées sont menacés d’expulsions. On peut se tenir au courant à cette source-là. Face à ces réappropriations collectives, l’équipe municipale de Dominique Voynet use d’un double langage permanent, entre compassion et stigmatisation, (on en déjà parlé longuement ici). Reste que cette duplicité politico-médiatique laisse les mains libres au Préfet du 93 pour mener son sale boulot d’expulseur des pauvres dont le seul tort consiste à s’être organisés eux-mêmes plutôt que de subir le quota et les cas par cas des listes d’attente .

Quant au tri sélectif que la Mairie de Montreuil tente d’opérer entre les habitants des squats dits «politiques» et les «vrais mal-logés», on ne peut que lui promettre un réveil difficile le jour où elle comprendra que ceux qui rénovent des maisons en revendiquant la «grève des loyers» ne sont pas des agitateurs extrémistes, parachutés hors sol, mais des jeunes chômeurs & précaires du coin qui en ont plus que ras la frange du gentil paternalisme de la gauche gestionnaire.


Il suffit de lever un peu la tête au-delà des seules échéances électorales pour s’apercevoir que les prochaines révoltes sociales, déjà amplement commencées en Grèce ou en Espagne, n’hésiteront pas faire la critique en acte des faux semblants du discours social-démocrate.

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4 juillet 2011
[Texticules et icôneries —
Des goûts & des couleurs, tri sélectif.]

Natures mortes plus ou moins photogéniques.
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2 juillet 2011
[Souviens-moi — (suite sans fin).]
De ne pas oublier qu’à force de fracasser des coquilles de noix d’un coup de tête sur la table, pour faire rire mes enfants aux éclats, j’ai eu le lendemain, outre une sévère gueule de bois, une petite croûte sanguinolente au-dessus des sourcils, en lieu et place de ce troisième œil qui marque au front la plupart des sagesses extrêmes-orientales.
De ne pas oublier que le très inquiétant titre de cette thèse de doctorat – Le sort posthume de la personne humaine en droit privé – m’a plusieurs fois fait défaut à tel ou tel mot près et que, pour le retranscrire ici le plus fidèlement possible, j’ai été obligé d’en redemander l’intitulé exact auprès de son auteur et amie juriste au teint si pâle qu’on la dirait vouée à une convalescence éternelle.
De ne pas oublier que, selon mes calculs approximatifs d’ancien surveillant d’externat au collège Paul Valéry, un élève sur trois se plaignant d’un racket, d’un vol ou d’une agression verbale mentait par intérêt ou par omission, mais que ce parjure abusif cachait souvent une plaie intérieure dont il partageait la mauvaise conscience avec le faux coupable, d’où l’incongruité tragique d’un recours à la force publique qui par réflexe pavlovien préfère trancher dans le vif.
De ne pas oublier qu’au premier jour de l’été 2011, lors de l’arrestation d’un noctambule invectivant ses maîtres, un berger allemand de la brigade cynophile de Paris-Nord a reçu un coup de pied dans la gueule et, faute de pouvoir répondre dent pour dent, muselière oblige, a été conduit aux urgences vétérinaires où on lui a certifié deux jours d’Interruption Temporaire de Travail (ITT).
De ne pas oublier que mon père est mort cinq ans après la mise en circulation des premiers euros dans onze pays européens, mais qu’à partir d’une «brique» – cent mille balles quoi! –, il comptait toujours sur son dernier lit d’hôpital en anciens francs.
De ne pas oublier que, lors d’un hommage aux fusillés de «l’Affiche rouge» sur le parvis de l’Hôtel de Ville, après avoir crié «Oui, Manouchian était un sans-papiers!», j’ai été conduit de force jusqu’à un car de police déjà bondé, puis bousculé au point de laisser tomber mes lunettes par terre, aussitôt écrasées sous les rangers d’un CRS qui, faute de pouvoir exprimer sa jubilation en public, allait bientôt se trahir à voix basse : «Sale p’tit pd d’intello de merde!»
De ne pas oublier que dans 89% des cas l’abuseur sexuel connaît de plus ou moins longue date sa proie, soit par des liens de parentés directs, soit en tant qu’intime ou proche gravitant à visage découvert aux alentours de ce cercle a priori vertueux de la cellule familiale.
De ne pas oublier que le manutentionnaire de base, embauché par intérim, s’il veut, pour alléger sa charge lombaire, s’installer au volant d’un chariot élévateur et déplacer ainsi les palettes à distance, bref s’il veut donc changer de posture et devenir cariste, doit se payer lui-même un permis de conduire spécialisé, à près de 800 euros de sa poche, sans délais ni crédit formation, soit deux tiers du SMIC mensuel, tout comme l’apprenti maître-chien qui conserve à sa charge le total des frais de bouche, accessoires et vaccinations que nécessite son clébard adjoint.
De ne pas oublier que j’ai déjà dû rencontrer l’amie d’ami d’un inconnu dont les cousins éloignés ont perdu de vue un couple qui, avant de se séparer, étaient en procès avec le fils mitoyen d’un marchand de biens tombé en faillite puis racheté à la bougie par une association humanitaire cofondée par le demi-frère d’un type plutôt lambda qui ne saura jamais ni pourquoi ni selon quel détour j’ai cru utile, malgré tant d’intermédiaires virtuels, d’évoquer ici l’hypothèse, faute de liens avérés, d’une relation sans cause ni effet.

[La série des Souviens-moi ayant fait son
chemin par extraits sur ce Pense-bête,
on en retrouvera la somme remaniée et
augmentée dans un volume à paraître
aux éditions de l’Olivier en mars 2014.]
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27 juin 2011
[Texticules et icôneries —
Demi-mesure & embarras du choix.]

Aux voies prédestinées, préférer les chemins de traverse.
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23 juin 2011
[Allergie à l’air du temps —
Compassion & stigmatisation,
un double langage permanent,
le cas Voynet à Montreuil.]
Une série d’événements touchant à divers aspects du mal-logement ont eu lieu à Montreuil dans le mois écoulé. Et il suffit de les mettre en regard, de les analyser de front, pour y voir converger le lot commun des arbitraires sociaux, des discriminations insidieuses, bref de la barbarie économique, mais aussi des terrains de lutte transversaux d’ordinaire voués à la défaite silencieuse. On y distingue aussi, outre les réflexes glaçants de la répression étatique, les traits récurrents d’un double discours de l’équipe municipale dirigée par Dominique Voynet. En cette période de crises locales répétées, on l’aura vue jouer sur les deux tableaux de la compassion médiatique (dans les prises de parole publiques) et du dénigrement culpabilisant face à toutes sortes d’expulsés en sursis (lors de réunions à huis clos, de face à face informels ou par rumeurs instillées de bouche à oreille). Aucune obsession sur la personne de Madame la Maire, mais l’examen d’un véritable cas d’école rhétorique de la gauche gestionnaire qui, ici comme ailleurs, en vient à adopter la duplicité cynique et émotionnelle de ces politiques du fait divers qui gouvernent aujourd’hui le vide sidéral de nos consciences radiotélévisées. Pour en juger (sur pièces), un rappel détaillé de quelques faits bruts, aussitôt suivis de belles paroles en l’air ou de légendes mensongères.
Le lundi 2 mai 2011 — Les résidents du 94 rue des Sorins reçoivent un arrêté préfectoral d’expulsion les sommant de déguerpir avant le 22 mai 2011. Qui sont-ils ? Entre 200 et 300 immigrés, majoritairement d’origine malienne, bossant dur la plupart du temps, avec ou sans papiers, et ayant épuisé toutes les possibilités de logements précaires. Pour moitié, ils sont là depuis 2008, ayant peu à peu aménagé des dizaines de chambres-cabanes au sein de l’immense hangar désaffecté et installé le minimum vital à leurs frais (de coûteuse toilettes entre autres). Récemment, ils avaient passé une convention avec la Mairie, la Confédération nation nationale du logement (CNL) et Veolia pour régulariser l’approvisionnement en eau (et en payer les factures). Mal leur en a pris, puisque l’ordre de quitter les lieux semble avoir découlé, une semaine plus tard, de cette démarche.
Et comment ont-ils réagi à l’injonction de Christian Lambert, Préfet du 93 ? Avec le souci de rester soudés en ces périlleuses circonstances et une maturité politique qui force le respect. Ils ont donc exprimé leur intention de ne pas résister par la force en cas d’expulsion, mais d’aller tous ensemble développer un campement durable… sur n’importe quelle place de la commune, celle de la Mairie par exemple. Soutenus par le DAL et par divers Montreuillois, dont des habitants de maisons occupées, ils ont sollicité une concertation avec la préfecture et un geste de soutien de la Municipalité. Les autorités préfectorales ont accepté de recevoir 4 membres du collectif des Sorins, mais mis un véto définitif à la présence de deux « soutiens » extérieurs, même en tant que simples observateurs. Du coup, le porte-parole des « Sorins en lutte » a décliné cette proposition, jugeant que les mises en garde policières contre lesdits « anarcho-autonomes » qui leur prêtaient main forte n’étaient qu’un piège (en forme de mot-valise) et que personne, bien au contraire, n’avait eu à se plaindre de l’aide précieuse de ces « dangereux » squatteurs, solidaires de la première heure. Par contre, côté municipal, silence-radio sur toute la ligne.
Bien sûr, dans les hautes sphères, entre Voynet et les bras armés du ministère de l’Intérieur, ça a dû palabrer sec, sous pression à chaud puis à froid, peser le pour et le contre, et couper des poires en deux ou trois. Résultat, début juin, rien de nouveau sous le soleil, ni expulsion manu militari, ni la moindre solution alternative, mais une sporadique intimidation policière, à proximité du lieu occupé, avec au compte-goutte des « obligations de quitter le territoire » pour les interpellés.

D’où l’organisation, le vendredi 10 juin, d’un repas collectif en soirée pour fêter le fragile statu quo et faire caisse de résonance auprès des Montreuillois au sens le plus large. Soirée de grande émotion confraternelle avec des Rroms du quartier, des réfugiés tunisiens via Lampedusa, des sans-papiers et mal-logés du 93, des soutiens de longue date (les précaires & chômeurs du collectif des Cafards et les animateurs de la bibliothèque autogérée Le Rémouleur), d’autres plus récents (du NPA, entre autres) et pas mal de riverains non encartés. Plats à 2 euros, bal mixte improvisé et projection d’un film vidéo montrant les conditions d’habitation à l’intérieur et les efforts de tous et chacun pour rendre la vie commune supportable malgré tant de misère quotidienne. Aucune bagarre à déplorer, ni dope en circulation, ni harcèlement sexuel (ces détails ont leur importance, on le verra par après), mais sans doute quelques traces d’urine dans les caniveaux alentour. On y a aussi beaucoup parlé d’un drame survenu quelques jours plus tôt à 300 mètres de là…
Entre-temps, il est vrai que, dans la nuit du dimanche 5 juin 2011, alors qu’un orage éclate, au 77 rue Parmentier, un immeuble de quatre étages en cours de « réhabilitation » finit par s’effondrer sur une petite maison mitoyenne, provoquant la mort d’une habitante, Sira Fofana, et de deux de ses enfants, Sennou et Boubakar, tandis que le mari, sauvé in extremis, est gravement atteint à la jambe. Deux autres familles comptent huit blessés et des gamins sous le choc.

Dans la précipitation, certains rescapés sont envoyés à l’hôtel par les services sociaux (le plus miteux du coin, en l’occurrence, après comparaison des tarifs, « à cinq euros près », par un responsable, non loin des décombres), et les mômes scolarisés accueillis par des parents d’élèves aux mœurs plus hospitalières. Notons que jusqu’au 23 juin, malgré un vague engagement concernant les rescapés Fofana, aucune des trois familles n’a reçu la moindre proposition de relogement, mais un début de pétition à ce sujet et un rassemblement devant le conseil municipal ont changé la donne. Et obligé la municipalité à promettre une issue rapide à ce problème, relayée par la presse. Affaire à suivre, donc…
Le lendemain de l’effondrement, face aux micros et caméras, Dominique Voynet trouve les mots justes pour compatir et dénoncer la spéculation immobilière, non sans rappeler que les victimes étaient des occupants «illégaux» qui vivaient dans un « squat », parce que, à ce même propos (et sans guillemets, pour ne la citer qu’en substance), des gens à la rue, clandestins de ceci ou de cela, il y en a tellement d’autres à Montreuil, et des plus mal lotis encore, au-delà de ce que la Mairie, humainement toujours, peut supporter, vu qu’il y a en déjà 6000, de demandeurs de logements, sur les listes d’attente, alors faut me comprendre, etc. Quelques jours plus tard, le texte du bulletin municipal conclura sur le même balancement argumentaire : les Montreuillois et la misère du monde… toutes choses inégales par ailleurs… c’est pas de notre faute ni dans nos moyens… trop de pauvreté tue l’esprit d’hospitalité…
N’empêche, fallait-il rappeler à ces morts & survivants qu’ils étaient d’abord des hors-la-loi, «squatteurs», donc un peu dans leur tort quoi ! Était-ce le moment de tant insister sur ce point faible. D’autant que ça n’a rien à voir avec le drame en question, puisque ce n’est pas l’état de délabrement de leur maison, ni leur propre inconscience à l’occuper qui les a conduits à la catastrophe, mais la l’immeuble en péril d’à côté qui aurait pu décimer d’autres voisins ou les enfants de l’école en face si c’était arrivé en pleine journée. Quoique, à ce stade du récit, on objectera qu’il s’agit d’un mauvais procès. Mme Voynet n’avait pas l’intention de nuire à leur réputation, juste un goût de la précision, disons déplacé, et qui l’a maladroitement conduite à chipoter ce distinguo entre citoyens de première et de seconde zone (celle de transit justement), sinon pas citoyen du tout, mais passons.


Comment un tel désastre a-t-il pu se produire ? Un permis de construire concernant l’immeuble effondré a bien été validé par la Mairie, même si elle a tiqué en voyant le motif commercial : « Hôtel de tourisme ». Évidemment un jeu de dupe, faute de touristes, juste la petite combine d’un marchand de sommeil : retaper un taudis au black, tous travaux payés en blanchissant du cash, pour mieux faire du fric ensuite avec les services sociaux comme hébergeur bas de gamme sur le dos des relogés d’urgence (la fausse-bonne solution habituelle aux frais de la collectivité, et pourtant toujours préférée à une relative bienveillance envers la libre réquisition des logements laissés vacants à des fins outrancièrement spéculatives par des sans logis bricoleurs, mais bon…) Puisque tout était en bonne due forme, sur le papier, les autorités municipales ne semblaient pas avoir les moyens de s’y opposer. C’est le bon sens du système de défense officiel. Sauf que ça ne tient pas trop debout cet argument…
Depuis plusieurs semaines, une poignée de sans papiers d’Europe de l’Est étaient surexploités sur ce chantier à claire-voie (sans bâche ni palissade), soumis aux injonctions d’un contremaître peu scrupuleux, incompétent en matière d’architecture et soucieux de « réhabiliter » le bien de ses donneurs d’ordre à moindre coût. Autrement dit, on avait fourni aux ouvriers (ne pouvant comprendre des consignes complexes faute de connaître un mot de français) des masses pour briser les planchers et des brouettes pour ramasser les gravats. Sans vouloir causer du tort à ces employés au black, certains voisins directs ont posé des questions aux services concernés de la mairie, finit par joindre les proprios mafieux (qui ne s’en cachaient pas vraiment) et constaté dans les derniers jours avant la catastrophe l’érection sur le reste du terrain de petites casemates en parpaings (en contradiction complète avec les plans), sans doute des abris d’infortune pour loger la main d’œuvre sur place. D’autre part, la surveillance de visu des chantiers en cours (surtout dans ce cas d’emblée litigieux qui aurait nécessité un véritable « permis de démolir » et pas l’accord sur une simple « réhabilitation ») fait partie des attributions municipales. Il y a donc eu pour le moins un dysfonctionnement, même involontaire, dans le suivi du Plan d’Occupation des Sols. Et sans s’acharner a posteriori sur les responsabilités municipales, on pouvait au moins espérer quelques mots d’excuse, l’aveu d’une certaine « négligence », un profil bas…
Le dimanche 12 juin, Dominique Voynet ou ses représentants avaient l’occasion de s’expliquer en direct avec les gens du quartier puisque une cérémonie de recueillement était organisée devant le lieu du drame, à l’initiative des familles, des riverains et de sans papiers solidaires. À l’heure dite, 15h, une centaine de voisins, tous âges confondus, se regroupent face aux ruines, protégées par un grillage couvert de dessins d’enfants, de fleurs déjà fanées et d’autres accrochées de fraîche date, ainsi qu’une affichette appelant à une marche silencieuse des habitants des Sorins, ce qui explique la présence indécente en ce moment de deuil collectif de 8 fourgonnettes de CRS dans l’avenue de Chanzy. Par contre, aucune présence d’agents de la mairie, ne serait-ce que pour bloquer la circulation en amont, chose faite avec un panneau de déviation de la voirie par mes soins. Comme annoncé, les mal-logés des Sorins, après avoir parcouru les 500 mètres qui les sépare de la rue Parmentier et contourné le dispositif policier, s’approchent en un cortège mutique, une centaine d’hommes (et quelques femmes) brandissant la photocopie d’une photo de l’immeuble effondré.


S’ensuivent quelques prises de parole bouleversantes, de la directrice de l’école en face, d’un rescapé, d’une parent d’élève proche de la défunte Sira, de sans papiers maliens, de « Babar », le porte parole de Droit Au Logement (DAL).

Pas un(e) élu(e) à l’horizon, semble-t-il (qu’on aurait pu imaginer ceint(e) de son écharpe tricolore pour l’occasion). Ah si si, je me trompe, la maire-adjointe est là, Catherine Pilon, mais faute de s’adresser à l’assemblée à la suite d’autres prises de parole, elle préfère rester à l’écart et répondre à une interview pour le télé BFM.

C’est sa mission du jour, se déculpabiliser en martelant que « nous n’avons pas été alertés par des défauts du chantier avant qu’il s’écroule. » Et la chose importante à ses yeux, c’est que ce message passe aux journaux télévisés, parce qu’elle sait bien que cette même phrase, si elle l’avait prononcée à voix haute devant la foule environnante, lui aurait valu démentis cinglants et débats houleux.
Tout un art consommé du contournement médiatique pour éviter de ses confronter avec des opinions publiques de proximité. Mais c’est la semaine suivante, dans le compte-rendu de cette cérémonie improvisée au sein du bulletin municipal du 21 juin qu’un autre type de manipulation se fait jour. On y raconte «la solidarité spontanée des habitants du quartier, des militants associatifs, des élus (sic)» et l’arrivée du «cortège silencieux et digne : les résidents du foyer Centenaire », dont se détache un homme qui «affirme d’une voix forte : “Nous sommes ici en tant êtres vivants !”». Ça fait d’ailleurs le titre de l’article entier, cette maxime humaniste. Mais remettons la réalité sur ses pieds et les propos dans la bouche de bonnes personnes. Celui qui parlait ainsi, ce n’était pas un résident du foyer Centenaire, c’était le porte-parole des mal logés des Sorins, ces expulsables en sursis dont la présence ce jour-là avait convaincu les représentants de la Mairie de se faire plus que discret, témoins absents. Comme s’il fallait ne pas tout mélanger, des gens en lutte et d’autres en pleurs. On verra plus loin combien ce malencontreux lapsus en dit long sur la duplicité de certains discours municipaux dont aucun erratum ne pourra absoudre le cynisme ordinaire.
Deux jours plus tard, autre lieu, autre injonction à déguerpir. Le mercredi 15 juin, le tribunal d’instance de Montreuil prononce l’expulsion sans délai du 234 rue de Rosny, justifiant sa décision par divers courriers de la mairie, dont celui-ci…

Le pavillon en question abrite en effet une dizaine de personnes, couples, et familles avec enfants, dont un né depuis l’emménagement en 2009. Suite à leur installation, les occupants ont effectué d’importants travaux à leurs frais et vécu en bon entente avec le voisinage. Qu’on leur conteste toute légitimité à squatter une propriété privée est une chose, mais ce cas précis devrait faire réfléchir les plus rétifs à la grève sauvage des loyers : cette maison appartient à Proudreed/Quartz properties, une société d’investissement immobilier qui possède un patrimoine de 2 092 millions d’euros. L’ayant laissée vacante depuis plusieurs années, ces proprios sont le symptôme exemplaire d’une immobilisation spéculative d’un bien à vocation locative (selon la classique logique capitaliste d’anéantissement de la valeur d’usage).
On est donc en droit de s’étonner que Dominique Voynet ait pris l’initiative d’alerter ces «vautours» dont elle combat officiellement la logique purement financière (celle qui a d’ailleurs ruiné la commune sous les précédentes mandatures de Brard, à force de préemption défensive face à l’irrésistible montée des prix au mètre carré). À moins que la Mairie, considérant ce lieu comme « un squat politique », selon son expression, soit désireuse de s’en débarrasser, même s’il ne dérangeait personne dans le coin, sauf ceux qui ont quelque chose à craindre d’une ruche à idées subversives. Mais on a dû l’informer que vivent là plusieurs personnes qui ont animé la « grève des chômeurs » l’année dernière et que ces mêmes fauteurs de trouble, ironie du sort, font partie de ceux qui aident dans la faible mesure de leurs moyens ( banderole, affiche, camion-sono…), l’actuel collectif des Sorins. D’incurables emmerdeurs, donc, aux yeux de ces élus. Tant pis pour ces « squatteurs », et même un petit appel du pied aux expulseurs, un coup de main en douce, l’air de rien… ou presque. Dommage que ça saute aux yeux, l’hypocrisie gestionnaire d’une Mairie qui catalogue les plus à gauche de ses oppositionnels comme ses pires ennemis…
Pour en savoir plus sur les idées, pratiques et façons de s’exprimer des habitants du 234 rue de Rosny, on se reportera aux proses bien senties qu’ils ont regroupés dans un tract grand format. Un bel exercice d’écriture à dix ou douze mains ! C’est disponible ici même.
Ultime étape de ce récit, le samedi 18 juin, une manifestation du « collectif des habitants du 94 rue des Sorins» est prévue. Des affichettes intitulées « Ville en révolte » ont fait des petits un peu partout dans le Haut et le Bas-Montreuil.

La matin même, une rencontre avec Dominique Voynet est organisée en toute hâte. Il s’agit de renouer le dialogue in extremis. Plusieurs délégués des Sorins y participent, le porte-parole du Dal et d’autres soutiens. Après exposé des diverses demandes des occupants en sursis sur les formes possibles de soutien de la Mairie face à l’imminence d’une expulsion, Dominique Voynet commence par calmer les esprits, rassurer sur le peu de probabilité d’une intervention policière, tout en réaffirmant que de son côté elle n’a rien signé en ce sens. Puis le ton se fait moins aimable, car après tout, ils ne sont pas les seuls à être mal lotis, ni les plus à plaindre, etc. Puis vient l’estocade, la Maire évoque les problèmes de drogue, la mort d’une femme par overdose, l’existence d’une prostitution d’abattage dans l’enceinte de l’immeuble squatté et même, selon son dir’ cab’, un appel téléphonique concernant une tentative de mariage forcé. Sans oublier la présence d’excréments sur les trottoirs alentour que les services de nettoiement, pourtant « issus de la diversité », se plaignent d’avoir à ramasser. Alors quoi, chacun sa merde ! Après la chaleureuse entrée en matière, la douche froide et le nez dans le caca. Les habitants des Sorins répliquent que, justement, après l’overdose en question, ils ont appelé la police pour en finir avec les rares dealers qui opéraient aux environs, sans grand succès, avant de faire le ménage eux-mêmes. Quant à la prostitution et aux mariages forcés, ils démentent en bloc. Parole contre parole. S’ils étaient trois cents Français de souche, vivant dans le même précarité, leur aurait-on reproché toutes les transgressions qui à la marge n’auraient pas manqué de se produire ?
Restent deux jokers dans le double jeu de Voynet (entre coopération affichée et suspicion à mots couverts, protestation de fraternité et conseils paternalistes, bref entre carotte et bâton). Premièrement, elle leur conseille de tenir à distance les éléments « violents » de la mouvance « autonome » qui gravitent dans leur parage, surtout lors du défilé qui aura lieu quelques heures plus tard. On la voit ainsi emprunter sa terminologie aux grilles d’analyse ministérielles, sans nuance ni bémol. Comme quoi, les coups de flashball à répétition ces dernières années ne lui ont pas servi de leçon, puisque la voilà qui relaie à sa manière la pression criminalisante contre certains milieux, libertaires entre autres. Deuxième leçon de morale, Voynet évoque brièvement leur participation à la marche funèbre du dimanche 12 juin, qualifie cette « récupération » d’indécente et affirme que les riverains ont trouvé cette arrivée en masse choquante. Ici, toutes les bornes de l’allégation mensongère sont dépassées. Et si je puis me permettre (en tant que simple résident de la rue Parmentier), c’est faux. Tous et chacun des présents pourront témoigner que cette communion avait une force inouïe, un intensité de chagrin, de rage, de dignité, de désespoir et de tant d’autres sentiments indémêlables, et que dénigrer ainsi ce moment de partage sans frontière est tout simplement odieux.

Vient l’heure de la manifestation, à 200, puis 300, puis 400, à très hautes voix pour les slogans et une caravane sono en queue de cortège, pour les rappeurs improvisant en cours de route des hymnes multilingues. Les Robocops de la Préfecture manquent à l’appel, la BAC aussi, tant mieux. À leur place, l’équipe municipale dite de « tranquillité publique » encadre le défilé sans défouler leur hargne habituelle. Il y aurait à redire sur leurs comportements ces dernières années, et sur la personnalité trouble de leur chef, comme il est expliqué ici… mais passons.

Première station devant le foyer Centenaire, puis devant la mairie où un mariage bat son plein. Petit compte-rendu au mégaphone positivant les acquis de la rencontre avec Voynet, histoire de ne pas insulter l’avenir, comme on dit.

Ensuite, remontée sur plusieurs kilomètres, vers le parc de Montreau où, malgré la pluie intermittente, la ville organise justement sa fête annuelle.

Nouvelles prises de parole au micro, face au double cordon de sécurité empêchant les manifestants d’entrer, si jamais il leur venait à l’idée de gâcher le plaisir aux vrais Montreuillois…

Même pas, mais le plus drôle c’est que plusieurs sans papiers se détachent du meeting improvisé pour aller saluer quelques potes, parmi les vigiles qui ont été appelés à la rescousse. Fraternisation qui n’a pas l’air d’amuser beaucoup les sbires en jaune de la sécurité officielle. Ça y est, on arrive au terme de ce long parcours, aussi combatif que festif. On va se disperser, sans même négocier notre entrée dans la kermesse… histoire de ne donner aucun prétexte à dénigrement ultérieur.

Depuis le début de la marche, deux représentants de la Mairie nous ont accompagnés, en mission d’observation. Et comme celui de gauche (en blouson de cuir) m’a déjà éconduit après une brève altercation où j’ai trop vite perdu mes nerfs, je m’approche de l’autre (en anorak rouge). Changement de ton, je me présente comme habitant de la rue Parmentier. On engage un petit dialogue de sourds, mais dans des formes apaisées. Et puis voilà, ça tourne un peu en rond. La lettre de Voynet, pour accélérer l’expulsion des usagers du 234 rue de Rosny, il ne nie pas, il hésite, précise qu’il en ignore les tenants et les aboutissants, plutôt gêné aux entournures, mais bon, c’est pas de sa compétence. Par contre, il a sa petite idée sur la réunion qui a eu lieu le matin même entre Madame la Maire et le collectif des Sorins. Et là, à ne pas en croire ses oreilles, il résume ainsi le motif de cette rencontre : « Les gens des Sorins sont venus nous confier tous les problèmes qu’ils ont avec la drogue et la prostitution… pour qu’on les aide à en venir à bout…» De peur d’avoir mal entendu, je lui fais répéter. L’erreur est humaine, sauf que non, il persévère au mot près.
Croit-il lui-même à cette version des faits ? Prend-il ceux qui soutiennent les Sorins pour des cons ? Ou n’est-il pas plutôt à l’exacte croisée des chemins de notre époque, à ce point de décomposition de la gauche réformiste & morale : la discrimination compassionnelle. Celle qui a dans le viseur d’un certain pathos dénonciateur toutes sortes de chômeurs, précaires, putes ou sidéens, sous prétexte d’assistanat, de fraude, d’illégalité. On croyait ce ressort idéologique à double détente l’apanage de la droite populiste, malheureusement, la confusion a gagné l’esprit moribond de la culture social-démocrate.
On reviendra bientôt ici même pour décrire un phénomène similaire dans la gestion, pseudo humanitaire et ultra-répressive, des réfugiés tunisiens par la Mairie de Paris, avec à sa tête Bertrand Delanoë, un ex-ami de Ben Ali qui a tant à se faire pardonner…
Post-scriptum & rendez-vous ultérieurs :
Les habitants menacés d’expulsion du 234 rue de Rosny organisent un rassemblement devant la Mairie de Montreuil le mardi 28 juin à partir de 14 heures, afin de «s’opposer aux spéculateurs qui gouvernent la ville» et de remettre leur «lettre ouverte» à Mme Dominique Voynet, non sans lui demander audience pour obtenir quelques «éclaircissement»…

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21 juin 2011
[Texticules et icôneries — Casting équivocal.]

Cocher le numéro de sa case avant de parler…
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