20 février 2012
[Graffiti politiques & poétiques —
Archéologie de l’éternel présent]
Il y a quarante et des poussières, les murs prenaient la parole, à la Sorbonne et ailleurs. On a fait tant d’honneur et de rétrospectives à ce graffitisme made in 68 que ça en deviendrait presque suspect. Comme si il fallait à tout prix embaumer ce défouloir scriptural pour mieux passer sous silence les métamorphoses ultérieures de cette expression sauvage et traiter tous les tags d’aujourd’hui au Kärcher sous prétexte de vandalisme autistique.
Alors, pour refaire émerger la permanence anonyme & clandestine de la poésie subversive depuis quatre décennies, on a fureté un peu partout, depuis les bombages des années 70 jusqu’au renouveau du pochoir contemporain. D’où cette compilation numérique, comme un chantier à ciel ouvert, qui voudrait recenser ces écritures à l’air libre de nos quarante dernières années, retrouvées dans des livres, revues, sites web ou, pour les plus contemporaines, avec mon appareil photo toujours aux aguets…

Ici, nul souci d’exhaustivité, puisque la tâche est infinie par définition même. Mais pour donner envie à quelques amateurs de me prêter main forte, pour enrichir la liste de leurs récentes trouvailles ou pour en inventer d’autres à faire soi-même, à découvrir ci-dessous, quelques tags piochés parmi plus de mille cinq cents autres déjà compilés ici-même…
Ni maître
et avoir été
[Montreuil, au tampon,
rue Parmentier, 19 février 12]
Quand je suis parano, je suis trash
[Lyon, 28 janvier 12]
Marre de parler à un mur
[Rennes, sur Pôle emploi muré,
bd Albert 1er, 19 janvier 12]
Marcheur, il n’y a pas de chemin
les chemins se foot en marchant
[Marseille, 30 novembre 11]
Nous sommes partout mais n’allons nul part
[Lyon, Croix-Rousse, 24 novembre]
Who’s watching the watchers?
[Egypte, Le Caire, rue Saleh Selim, au pochoir, «kaizer», 22 octobre 11]
Comment avez–vous pu
laisser vos vies se rétrécir?
[Paris, rue d’Hauteville, au pochoir, 7 octobre 11]
Toi le dégout moi l’amertume
comment s’aimer
[Marseille, début août 11 ]
Si dyeux est mort
kill le sait?
[Montreuil, rue des Roches, mi-juillet 11]
Nos martyrs ne sont pas à vendre
[Tunisie, Kasserine, juin 11]
Écoute la nuit
[Paris, rue Michel Le Comte, à la craie, 2 juin 11 ]
I love elles
[Paris, rue Francis Picabia, 14 mai 11 ]
À bas le libéralisme existentiel
[Marseille, 30 mars 11 ]
Tout est vrai rien est permis
[Colombes, passerelle de la gare, 24 mars 11 ]
Heureux soient les félés
ils laisseront passer la lumière
[Paris, Canal Saint-Martin, 22 mars 11]
Laissez–nous écrire notre histoire
[Paris, quartier Goutte d’Or, mars 11 ]
Plutôt chômeur que professeur
[Grenoble, porte de l’IUFM, 19 février 11 ]
Ils ne savaient pas que c’était impossible
alors ils l’ont fait
[Toulouse, sur panneaux pub, juillet 11]
Le moi ne
[Paris, rue de l’Orillon, 11 février 11 ]
Fiché, fauché, fâché
[Toulouse, rue Jaurès, 5 février 11]
Nous voulons la liberté,
nous voulons vivre,
nous voulons du haschich
[Le Caire, 30 janvier 11]
Vivre en enfant incomplet
nos aventures perdues
[Le Mans, 16 janvier 11]
À la santé du feu et de la famille
[Rennes, La Courouze, janvier 11]
Qui promène son chien
est au bout de sa laisse
[Marseille, Cours Julien, fin novembre 10]
Je cours derrière rien
mais rien me suit
[Marseille, novembre 10]
En grève jusqu’à la retraite ha ha ha!
[Paris, Odéon, octobre 10]
Sky is the limit
[Paris, rue Ledru-Rollin, janvier 10]
Un autre monde existe
il est dans celui–là
Y’a des cigales dans la fourmilière
Rendre l’âme
d’accord mais à qui?
[Lyon, Croix-Rousse, fin 09]
Trop de chefs,
pas assez d’indiens
[Besançon, place Pasteur, 16 octobre 09]
Mon sperme
ses larmes
nos mouchoirs
[Paris, rue Quincampoix, au tampon encreur, 10 juin 09]
Je veux mourir vivant
[Nantes, quartier des Olivettes, au pochoir, 3 juin 09]
Ils investissent,
nous aussi
[Montreuil, squat La Clinique, 5 février 09 ]
Soyons désinvoltes
n’ayons l’air de rien…
[Nantes, 23 juin 08]
Tous ensemble tous en cendres
[Paris, mai 07]
Qui brûle qui?
[Paris XX, novembre 05 ]
Ce mur n’est pas de berlin
mais il va tomber aussi
[Montreuil, avenue de Chanzy, 01]
Ici personne n’est normal
[Sarajevo, 95]
Bourvil’s not dead
[Lyon, entrée fac Lyon II, 86]
Chiez sur les cadres
tapez dans le décor
[Paris XX, passage Stendhal, 81 ]
Marchez noir
[Paris Ve, quai de Seine, 79 ]
L’imagination détruira le pouvoir
et un éclat de rire vous enterrera
[Rome, fronton Université La Sapienza, hiver 77]
Pour faire circuler ce texte, le lien est ici même
17 février 2012
[Texticules et icôneries —
Modèle d’ambivalence publicitaire.]

Coller à son image sans y adhérer vraiment.
Pour faire circuler ce texte, le lien est ici même
15 février 2012
[Souviens-moi — (suite sans fin).]
De ne pas oublier que, peu après avoir reçu une lettre d’avertissement du syndic, me rappelant aux devoirs de tout locataire et exigeant qu’en ces lieux on se comporte «en bon père de famille» sous peine d’expulsion prématurée, le hasard a bien fait le choses, le test de grossesse de ma compagne étant positif, j’allais devenir papa.
De ne pas oublier cette vamp adolescente qui, lors d’un atelier théâtral à l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches, parmi d’autres apprentis comédiens atteints de dégénérescence musculaire, avait passé la répétition entière à se redessiner les lèvres, bâton de lipstick entre les orteils du pied gauche, son seul membre valide, tandis que ses prétendants défilaient à tour de rôle en chaise roulante au pied de l’estrade où la beauté muette se maquillait, chacun perdant ses faibles moyens au moment d’avouer son impossible amour, pas moins de huit Roméo se relayant sous le balcon de cette fatale Juliette.
De ne pas oublier que, même si c’était son vœu le plus cher, ma mère n’a pas eu le droit de s’inscrire en médecine, parce qu’aux yeux de ses parents, tous deux maître d’école, ce genre d’études supérieures, si longues et coûteuses, étaient réservées entre gens de la haute et que, «ma pauvre petite, suffit pas de se croire douée pour rivaliser avec les gosses de riche», bref que, selon leur morale laïque et obligatoire, vouloir trahir la modestie de ses origines tenait du pire péché d’orgueil.
De ne pas oublier que, en 1254, à son retour de Palestine, Saint Louis avait ordonné, selon deux édits inspirés d’un même esprit de croisade, que les Juifs se convertissent au christianisme et que les prostituées se teignent en roux «couleur des feux de l’enfer & de la luxure», à croire que tout ce temps écoulé depuis n’y a pas changé grand-chose, du pareil au même: assimilation ou chasse aux sorcières.
De ne pas oublier qu’à l’âge où elle croyait encore au Père Noël ma fille avait par contre du mal à croire que ses prétendus parents puissent l’être pour de vrai, et, d’après de récentes confidences, l’ombre de ce doute a subsisté plusieurs années encore, au pied du sapin familial, comme si tant de cadeaux étaient destinés à racheter quelques imposture orginelle.
De ne pas oublier que, pour avoir bombardé de peinture le monument aux morts du lycée, coup d’éclat prémédité ensemble au nom d’éphémères Brigades Roses, l’ami Laurent est passé en conseil de discipline – exclu à six mois du bac – et moi entre les mailles du filet – bachelier de justesse –, et que, par après, lui seul a récidivé en ripolinant d’un jaune tournesol l’intégralité de sa chambre – plafond, moquette, fenêtre, table, chaise, lunettes et chaussures y compris – ce nouvel attentat pictural lui valant d’être accepté en cure de sommeil à Maison Blanche, puis repêché in extremis aux Beaux-Arts de Paris.
De ne pas oublier que, faute d’avoir retenu ou noté son numéro d’immatriculation cinéraire, je n’ai pas réussi, lors de ma dernière visite au Columbarium du Père-Lachaise, à retrouver le casier où repose l’urne paternelle, mais découvert en chemin celui de Félix Fénéon, à qui je dois tant de «nouvelles en trois lignes», dont celle-ci.

[La série des Souviens-moi ayant fait son
chemin par extraits sur ce Pense-bête,
on en retrouvera la somme remaniée et
augmentée dans un volume à paraître
aux éditions de l’Olivier en mars 2014.]
Pour faire circuler ce texte, le lien est ici même
13 février 2012
[Texticules et icôneries — Symétrie de façade.]

R de rien, regard en coin.
Pour faire circuler ce texte, le lien est ici même
10 février 2012
[Pour copie (non) conforme : Proudhon, 1848 —
Idées générales de la révolution… managériale]
«Être gouverné, c’est être évalué, motivé, relooké, forwardé, expertisé, formaté, radié, traçabilisé, retoqué, vérifié, auto-censurée, culpabilisé, muté, calibré, délocalisé, téléporté, invalidé, flexibilisé, recadré, consumé, dégraissé par des corps intermédiaires qui n’ont ni visage ni scrupule ni remord… Être gouverné c’est être, à chaque phase de spéculation ascendante, aimanté par l’espoir, désinhibé sur parole, porté au pinacle, transcendé par sa fonction, et à chaque krach intérieur qui s’ensuit, pris au dépourvu, dominé par la peur, mis en pièces détachées, privé d’issues de secours. C’est, sous prétexte de capital risque et de développement personnel, être pris en tenaille maniaque & dépressive, associé à l’innovation & essoré pire qu’un citron, addicté à l’adrénaline & sevré dès que ça piétine, sondé chacun son avis & quantifié négligeable aussi, offert à la demande & déstocké si ça débande, boursicoté à la hausse & replongé dans le fond de sauce, subjugué à la tâche & réduit au sujet qui fâche, apprivoisé dans le sens du poil & liposucé jusqu’à la moelle, promu à taux préférentiels & recyclé dans la poubelle, maximisé ès qualité spéciale & réduit au minimum vital, encouragé au subjectif pluriel & soustrait à son bilan virtuel, dopé aux objectifs chiffrables & voué à tricher sous la table, surqualifié en vue polyvalence & soumis à délais de carence, augmenté au mérite & préretraité dès l’arthrite, distingué parmi la masse & étouffé dans la nasse, tenu pour irremplaçable & ravalé en bout de table, mis à libre contribution & vidé de soi comme un con, bonifié à la dépense & endetté dès la naissance, valorisé en participatif & soldé avec le passif, satisfait de son triste sort & résigné more and more, pistonné pour ton bien & biodégradé à la fin; puis au moindre écart d’inconduite, au premier éclat de voix dissonante, c’est être décloisonné & atomisé, renfloué & floué, consulté & insulté, boosté & débouté, coaché & décoché, impliqué & dupliqué, briefé & biffé, primé & déprimé. C’est paraître son propre chef & se self-contrôler derechef. Voilà la gouvernance managériale, voilà son éthique équivoque, son ressort à double extension, son épuisant double bind, viscéralement désirable et désespérément comptable. […]»
Pour faire circuler ce texte, le lien est ici même
7 février 2012
[Texticules et icôneries — Oiseau d’incertaine augure.]

Serments d’amour verrouillés à double tour.
Pour faire circuler ce texte, le lien est ici même
6 février 2012
[Inventaire à la précaire —
Sur la mauvaise pente]
Alcoolique
Vit ailleurs
Séropositif
Alzeimer aveugle
Violence conjugale
Personne cardiaque
Tentative de suicide
Sous chimiothérapie
Maladie de parkinson
Violent très procédurier
Pas de nationalité française
Ancien SDF addiction boisson
Dépression hôpital psychiatrique
Fils cancer Mme malade des poumons
Cancer des intestins opération du cerveau
Accusé de viol par Mme et a gagné le procès
Souffrant d’une pathologie respiratoire et chronique
Personne très difficile à vivre de tempérament agressif
[Données confidentielles figurant en 2011 dans le fichier IKOS
des locataires de l’office HLM Paris Habitat (ex-OPAC.)]
Pour faire circuler ce texte, le lien est ici même
5 février 2012
[Recherche avis de recherche —
Juste fais-le toi-même…
jeu de piste, indice n°1.]



Pour faire circuler ce texte, le lien est ici même
3 février 2012
[En roulant en écrivant, stylo-scooter —
Gymnastique virtuelle & Vie éternelle.]
Pas un jour sans que je longe le cimetière du Père-Lachaise où la plupart de ma famille est partie en cendres et fumerolles, et d’autres proches reposant dans le dédale du cimetière, Thomas, Michel, Germaine… dont j’effleure le souvenir en dévalant l’avenue Gambetta… et puis Juliette.
Pensée fugitive, à mi-pente, tout en mordant la ligne blanche. Ensuite, c’est la grande trouée haussmanienne qui descend vers la place de la République. Cinq ou six feux plus ou moins synchro jusqu’à la station suivante du chemin de croix : le Service funéraire de la ville de Paris, réhabilité de fraîche date. Un hall flambant neuf, avec deux semblants de colonne néo-classique, au 5 avenue de la République.

Et là, il suffit de lever la tête pour apercevoir, à travers les baies vitrées du premier étage, une rangée de silhouettes en plein effort sur leur vélo d’appartement ou quelque tapis de course dernier cri. Drôle de purgatoire mitoyen, avec ses zombies piétinant sur place, sinon voués à pédaler au-delà de leur force.

Ainsi vivent les morts, avait imaginé Will Self, retrouvant sa défunte mère logée avec ses semblables aux confins d’une banlieue dortoir de Londres. L’outre-cité des trépassés. Deadzone suburb.
Et là, en plein cœur de Paris, une hypothèse similaire fait son chemin, insoupçonnable et évidente à la fois, dans cet immeuble hébergeant Pompes Funèbres et Fitness Park, la confirmation discrète qu’une survie posthume n’a pas besoin de septième ciel, mais juste d’un club de rencontre à l’étage au-dessus. Archanges mitoyens.
Mouvement perpétuel du self-training.
Un corps sain dans un saint esprit.
Nos limbes d’ici-bas.
Pour faire circuler ce texte, le lien est ici même
1er février 2012
[En roulant en écrivant, stylo-scooter —
Zéro pointé, retour à la case départ.]
À force de parcourir depuis toujours la ville où l’on est né, on n’en finit plus de se prendre en filature, de remonter le cours de ses propres errances, d’y croiser quelques avatars familiers à vingt trente ans de distance, devant le porche d’un immeuble, à l’horizon d’une rue, en contrebas d’une façade, au miroitement de telle vitrine, sans s’encombrer d’un souvenir précis, ni s’appesantir en détail, juste entrevoir la trace d’un lieu-dit intime qui surgit dans le flux d’indifférence urbaine, le raccourci irréel d’un flash-back dilué dans les gaz d’échappement, entre accélération mentale et coup d’œil rétro. Mais ça ne dure qu’un laps infime, avant de filer aux oubliettes sitôt le feu vert suivant, aperçu spectral brûlé aux hydrocarbures, mirage perso déjà éventé cinquante mètres plus loin, fondu au noir macadam. L’amorce d’un compte à rebours sur la pellicule, et rien qui s’imprime par après, sinon le prochain carrefour en ligne de mire, tandis qu’en vigilance latérale, le continuum automobile défile sur fond d’immeubles banalisés. Ça circule du dedans dehors, et du dehors dedans aussi, recyclage perpétuel, sans aucune pensée qui fasse halte nulle part. À moins qu’un signe accidentel ne s’interpose, comme la semaine dernière, ce bombage intempestif, repéré sur ma droite, au 211 rue Saint-Martin.

Et soudain marche arrière, qu’est-ce qui est marqué, là, sous la fenêtre du concierge de mon ancienne école primaire, avec des lettres bien attachées comme sur ce tableau noir qui me revient de loin, l’écriture modèle de la maîtresse, à recopier avec des boucles rondelettes et des queues de cerises comme il faut, sauf que mince, elle va ramasser les feuilles…
— J’ai presque fini m’dame, effacez pas déjà!
— Trop tard.
— Et moi alors comment je fais pour le ravoir ?
— Pour avoir quoi ?
— Ben, le dernier mot.
Drôle de souvenir anticipé, ça se duplique en boucle frustrante,
tout qui me revient au même, surtout ce manque de
Pour faire circuler ce texte, le lien est ici même