24 avril 2013
[Tractatus Politicus
Best-of des années 68-75.]

À la demande de la revue Charles, je suis allé exhumer, dans le foutoir de mes archives, une dizaine de tracts datant des années 68-75. En m’efforçant de remettre chacun dans son contexte.


Ci-dessous le texte intégral de l’avant-propos.

«Le tract s’est colporté bien avant que le mot n’existe. D’abord sous forme d’opuscule polémique, de bref pamphlet, de libelle. Ensuite, une fois le terme inventé par les Anglais à l’approche du XIXe siècle, ça a perdu des feuillets, c’est devenu un dépliant élémentaire de quatre pages, puis un simple recto-verso, voire un recto sans rien écrit derrière, bref un bouquin d’une seule feuille volante. Révolution industrielle oblige, le tract s’est imposé comme un mode de propagande soit politique, soit commercial : Appel à manifester vs Accroche promotionnelle.
Et dans ce dernier cas, l’originel tractatus s’est rebaptisé prospectus. Même si ce distinguo importe peu, vu que la plupart du temps, ce genre de sous-littérature – d’agit-prop ou de pub –, on s’en débarrasse illico à la poubelle.

Pourtant, les tracts, ça me renvoie à une autre histoire, à deux légendes familiales. La première concernant mon défunt père qui, pendant l’Occupation, était membre d’un groupe clandestin en rupture avec le trotskisme (l’Organisation Communiste Révolutionnaire) et faisait circuler sous le manteau des tracts bilingues (en franco-deutsch) pour appeler les soldats allemands à déserter les rangs du nazisme au nom de la fraternisation prolétarienne. Le récit de cet acte de résistance ultraminoritaire, en marge du credo «anti-boche» des staliniens, m’a sans doute marqué. Je me souviens d’ailleurs que mon père utilisait le mot «papillon» pour désigner ces feuillets qu’il allait déposer ou coller non loin des casernements de la Wehrmarcht. Ce «papillon» a dû faire son chemin dans ma tête… jusqu’à l’apparition du flyer peu avant l’an 2000.
Côté maternel, autre flash-back. Quelques années avant sa mort, j’ai appris que ma mère, gréviste active pendant le printemps 68 au sein d’un Laboratoire de psychologie sociale, avait relevé systématiquement tous les graffiti de la Sorbonne occupée (recension dont j’ai fait un livre aux éditions Verticales). Plus tard, en rangeant ses affaires posthumes, j’ai découvert les milliers de tracts collectés par ses soins de 1968 à 1975. N’étant membre d’aucun parti ni groupuscule, juste du Comité d’Action de son quartier, elle avait vécu cette période avec la passion solidaire des électrons libres, tout en ressentant l’intime nécessité de conserver, puis classer les tracts qui se démultipliaient alors, hors sentiers (re-) battus et langues-
de-bois.

Ainsi cette archive, tant partielle que partiale, rend-elle compte des terrains de lutte d’un «gauchisme» non encarté. Je n’y ai puisé qu’une dizaine de spécimens marquants. Entre les lignes, on y découvre un refus épidermique de la hiérarchie, des «petits chefs» ou des «notations», le goût de l’aventure communautaire chez la jeune génération et l’émergence d’une parole féministe & homosexuelle. Certains n’y verront que grandiloquence verbeuse et germes de désillusion. Tant pis pour eux. Ces documents, écrits à chaud, nous offrent pourtant l’occasion de saisir le ton d’une époque, à rebours du récit dominant des témoins professionnels de l’Histoire, tant journalistes qu’universitaires ou, pire encore, ex-leaders contestataires en voie de repentance accélérée.
On notera que, faute de temps et de moyen, la plupart de ces tracts sont trop ou insuffisamment encrés, que leur bloc texte a tendance à pencher d’un côté, bref que ça doit se lire de travers. Même si ce n’était pas fait exprès, ce genre de vice de forme aide à se replonger dans l’urgence du contexte, à y préserver la part irréductible d’un certain désordre.»

Quant à la reproduction en format lisible des dix tracts, ainsi que de leur petite légende associée, on les lira plus aisément sur le document pdf de la revue, et sa mise en page très soignée. C’est juste là.
Avec d’autres documents sur la même époque dans les parages.

Pour faire circuler ce texte, le lien est ici même