10 novembre 2012
[Portraits crachés (suite sans fin)
Écriture prémonitoire, démasquée sur le tard.]

Occupé en ce moment à remanier et ajouter de la matière à mes anciens Portraits crachés, en vue d’une réédition en mars 2013, je suis retombé sur cet extrait :

«Mauricio gagne sa vie en faisant l’embaumé devant la queue de touriste qui serpente jusqu’à l’imposante pyramide de verre de l’esplanade du Louvre. Comme chaque jour, il prend sa pause vers 14 heures, d’un sandwich vite avalé puis cinq six bouffées de Marlboro rouge, avant de remettre son déguisement, une housse noire et or renforcée de tiges rigides, figurant le sarcophage d’Aménophis III ou IV, père ou fils, peu importe lequel du moment qu’il ne bouge pas d’un cil.
Au pied du mort debout Mauricio, un chapeau où s’amoncelle de la menue monnaie et ce petit carton à l’intention des passants : “Record de fixité : 3 heures 37 minutes.” Soit, à raison de deux spectacles statiques quotidiens – sauf le mardi, les momies du musée faisant relâche – plus de 39 heures de travail posté par semaine, pour cet ouvrier-automate modèle.»

Un croquis d’après nature inspiré par la vision répétée de ce gisant sur pied, croisé du regard lors de mes trajets en scooter pour aller bosser chez Verticales, vers 2003. Depuis lors, j’ai souvent aperçu la silhouette de ce momifié vivant sur le parvis de Notre-Dame, mais de trop loin et sans avoir le temps de sortir mon appareil photo pour lui faire un sort.
Il aura donc fallu attendre presque dix ans, et à un voyage à Rome, pour que l’occasion se présente d’illustrer a posteriori mon hommage à cet homme-stèle. Au détour d’une promenade, à mi-chemin du Colisée et du Forum. C’est bien lui, le même travesti se dorant la parure au soleil, ou du moins sa réplique exacte.

Et à ses pieds indivisibles, un seau pour recueillir les oboles.

Rien qui mérite le détour ni plus ample commentaire, juste un lieu commun touristique en voie de mondialisation. Sauf qu’il est 14 heures, et plus que temps pour le poseur de faire une petite pause justement, dans une rue à l’écart. Passant par là, j’aurais pu ne pas le reconnaître, rhabillé en civil, mais il y avait ce masque posé sur le paquetage de son déguisement. Un semblant de dialogue s’improvise, le temps de griller chacun sa clope. Lavorare stanca, écrivait Cesare Pavese. Je brode à partir de ça – travail, fatigue, etc – avec mon italien plutôt basique. En souvenir de ce bref échange… une photo? Il propose de renfiler son masque.

Le voilà immortalisé dans l’entre-deux de ses apparences.

Rebroussant chemin sur le même trottoir, j’arrive à la hauteur de deux types en bleu de chauffe qui avaient prêté l’oreille à notre conversation. Ils pressent le pas pour rejoindre leur chantier, un grand échafaudage à l’arrière d’une ruine antique en pleine restauration. À peine ai-je le temps de saisir au vol leurs phrases de conclusion.
En substance et en français approximatif :
— Et si y’a plus de boulot pour nous…?
— Bah, faudra aller faire le Pharaon!

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