14 octobre 2011
[Lectures en partage — Le plagiat, pourquoi pas?]
Dans le dernier numéro de la revue Décapage, on trouvera un petit dossier intitulé «J’avoue, j’ai plagié, pas vous?» Une poignée d’auteurs, dont Gaëlle Obiégly ou Camille de Toledo, ont relevé ce petit défi aux us et coutumes de la propriété intellectuelle, hors le leurre des vaines querelles juridiques, en replaçant cette question dans le processus même de toute écriture?
J’ai déjoué le même piège dans ma petite contribution à lire in extenso ci-dessous:
Mon semblable, mon frère, ce nègre qui me sert de prête-main, désirerait faire son autocritique. Oui, il y a en moi un moine copiste dont l’âme encapuchonnée attend l’heure de la confession publique, un recycleur sélectif impatient de faire le tri entre le bon grain d’autrui et l’ivraie intime, un imitateur indélicat sur le point d’expier ses voix de fausset à la source, mais comme parmi cette bande d’avatars, tous sont d’une timidité crasse, je vais essayer de m’en faire l’interprète. Foutus alter égaux et imposteurs clandestins ! Me voilà contraint de demander pardon à leur place, de prendre sur mon compte propre chaque détournement de fonds typographiques, rapine textuelle, usurpation d’identité sans copyright ni guillemets. Heureusement, c’est du plagiat si bénin qu’on dirait presque… rien.
À peine cinq six flagrants délits d’effraction littéraire, touchant des œuvres plutôt marginales d’auteurs assez bas sur l’échelle Lagarde et Michard des sommités à plumes. Pas de quoi grimper au rideau, ni au pinacle ni sur l’échafaud ; que les puristes de la propriété intellectuelle se rassurent. Parmi les rares crimes qui m’imputent vraiment, ou plutôt qu’on m’importune souvent, ou alors dont ils m’importent peu, même si j’en perds jusqu’à ma syntaxe de base, mais justement c’est bien preuve que ma bonne foi n’est pas au cause, sauf que si, attention là, ça finirait par ressembler à du sophisme pré-socratique.
Mea maxima plagiat.
Donc, ces pauvres crimes lèse-littérarité, de qui ou quoi s’agit-il ? Allez, vidons le sac à malices. J’ai picoré de maigres passages de Notre Métier D’amant – Confidences d’un séducteur moderne du lettriste Isidore Isou dans mon premier roman ; j’ai parasité quelques poux derrière la tête du Requiem des innocents de Calaferte dans Les Gauchers ; dans en le soumettant au ridicule de ses pires traducteurs ; j’ai raconté l’histoire d’un agent de liaison par pigeons voyageurs à l’image d’un certain Armand Robin dans Plutôt que rien ; j’ai retourné à ses dépends la distanciation Brechtienne dans Labo-Lubbe, une pièce sur l’incendiaire du Reichstag; j’ai paraphrasé quelques « impératifs » catégoriquement mal traduits d’Emmanuel Kant et rewrité en pire un article de Paris-Match signé par l’ancien secrétaire de Jean-Sol Partre, le premier néo-réac Jean Cau dans Le Soi-disant…
Et je dois en omettre d’autres, pêchés ici ou là, de plus bénins encore. Même si, mégalomanie secrète oblige, j’ai aussi tenté d’espérer d’arriver un jour à faire mon Jacques le fantaisiste, mon Pécuchet de boulevard, mon Bardamu sur le zinc, mon Zazou dans le métro, mon Barthes post-cryptologique et autre droit d’inventaire à la Perec. Mais un abîme plus vertigineux encore s’ouvre sitôt que j’interroge les pièces rapportées qui de longue date m’inspirent, ces bribes de trottoirs bruissant de paroles inattribuables, ces graffiti d’humeurs éphémères, ces cahiers d’intentions de prières de la Chapelle Saint-Rita, ces affiches de films classés X datant de seventies sur le boulevard Sébastopol, ces récits d’expérience de laboratoire aux cobayes si familiers, ces effets secondaires de posologie médicamenteuse, ces extraits de règlement bureaucratique désopilants à leur insu, ces cartes de visites à la syntaxe maraboutée, ces dépositions circonstancielles de police, toute cette non-littérature grise, dyslexique et d’origine incontrôlable qui, une fois repassée dans ma chambre d’échos, s’invente des issues de secours, des lieux-dits, juste un bouche à oreille qui me traverse de part en part, un «je» d’enfant qui dit «nous» «vous» «ils» ou «elle», enfin rendu au grand ensemble flou de ses pronoms d’emprunt.
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