11 septembre 2011
[Commémoration à reculons —
Destruction des Halles de Paris.]

Il y a 40 ans, en plein été 1971, les douze pavillons Baltard (édifiés là sur ordre de Napoléon III un siècle auparavant) s’effondraient sous les premiers coups de boutoir des pelleteuses.

Face aux critiques, le maître d’œuvre de cette destruction, Georges Pompidou, rejouait la querelle des anciens contre les modernes, mais à front renversé. Lui, le néo-gaulliste iconoclaste, voulait inventer, anticiper, créer du neuf, tandis que ses opposants de tous bords se retrouvaient confinés dans une posture conservatrice, un passéisme stérile. Et puisque, depuis 1969, les activités du marché alimentaire avaient été transférées à Rungis, à quoi pouvait bien servir ces bâtiments fantoches ? Autant mettre à bas ces « parapluies » désormais inutiles. D’où ce charcutage estival du ventre de Paris, suivi d’un monumental trou, jusqu’à l’inauguration du Forum des Halles en 1979.

À force de se focaliser sur la controverse architecturale de l’époque – défense aveugle du patrimoine versus réalisation de projets innovants –, on en oublierait presque que ce coup de force marque le début de la gentrification du centre ville parisien. Une fois les Halles détruites, de brutales opérations immobilières se sont enchaînent dans les arrondissements limitrophes, avec pour conséquence un nettoyage social du quartier et un exode massif des plus pauvres vers des banlieues lointaines.

Mais s’il fallait se dépêcher de faire place nette, c’est aussi parce que ces hangars désaffectés étaient devenus, dans l’après 68, un épicentre contre-culturel au cœur de la capitale, un lieu de théâtre sauvage, de concerts alternatifs (celui de Sun Ra dispersé par la police en novembre 70) et de squats parfois politiques (à l’initiative du Front de Libération de la Jeunesse), un abcès de fixation qui inquiétait les autorités, bref un mélange détonnant entre «classes dangereuses» et chienlit étudiante, où voisinaient prolos du coin, baba-cool hirsutes, tapineuses de trottoir, noctambules encanaillés et bande de loubards.

Cette réappropriation festive de l’espace urbain faisait mauvais genre, et peut-être tache d’huile. Il fallait étouffer dans l’œuf ce foyer de contestation au grand air. Et renvoyer toutes les marges à de plus invisibles périphéries. Sur place, chantier oblige, un grand trou de mémoire ferait table rase, avant d’y édifier la seule utopie urbaine qui vaille désormais, un centre commercial.

Pour faire circuler ce texte, le lien est ici même