31 mars 2011
[En roulant en écrivant, stylo-scooter —
Défense d’apostropher]

Il y a plus de trois mois, à la mi-décembre 2010, suite à une soirée très arrosée, j’avais aperçu sur le mur d’enceinte d’un dépôt RATP, non loin de la place Gambetta, un drôle de mirage typographique. Si troublant que j’étais revenu sur les lieux dès le lendemain matin, pour en avoir le cœur net, du moins l’esprit moins flou, et m’assurer que je n’avais pas halluciné la chose… en forme d’éléphant rose.
À l’époque, j’en avait fait le récit illustré, à revoir ici même.

Faussemblance oblige, l’inscription légale, amendée d’un seul mot, aura donc tenu plus de trois mois sans autre modification. Elle aura tenu ses promesses aussi, se confondant au décor urbain pour mieux le légender en douce. Lapsus visuel plus vrai que nature, si bien que les piétons alentour n’y prêtaient aucune attention, juste huit lettres volées sous nos yeux sans que ça se voie.
Ensuite, histoire de rendre un discret hommage à cet incident poétique de peu de réalité – petit acte subversif justement sans prétention –, je l’avais remis en scène sous un angle différent, sticker à l’appui, pour y glisser un écart de langage supplémentaire.

Et puis ce qui devait arriver a eu lieu. Les sous-traitants du nettoyage de la Mairie de Paris ont fini par œuvrer, avec un temps de retard plutôt exceptionnel, vu leurs cadences infernales depuis l’été dernier. Faute de plaintes des riverains, ce piratage subliminal, dédoublé presque à l’identique, avait dû échapper à la vigilance des brigades anti-graffiti. Ce sursis provisoire est arrivé à son terme hier matin : un coup de peinture gris souris.
Sauf que les effaceurs d’encres patentés n’avaient pas le matériel ni le savoir-faire pour rétablir les majuscules du mot manquant à la place de l’impropre ÉLÉPHANT. Alors, ils ont grisé un mot sur deux et laissé l’apostrophe en l’air, suspendue dans le vide, et cette DEFENSE d’on ne sait quoi au péril de son inachèvement…

Comme quoi, les redresseurs de tort ont parfois le plus retors des humours involontaires. Un esprit frondeur mis à nu par ses censeurs même.
Et à la veille du premier avril – avec son lot de fausses bonnes nouvelles et autres canulars rituels – disons que ça tombe plutôt bien.

Post-scriptum du 6 avril 2011 :
Après l’ajout mutin d’un pseudonyme animal
puis le suspense d’une apostrophe extralégale
retour typographique à la fichue normale…

Post-scriptum du 30 avril 2012 :
Autre quartier, autre éléphant mis en réserve typographique, sur le mur d’une école, rue Louis Blanc, il y a un an, fin avril 2011. À y regarder de plus près, la substitution des lettrages rend un effet différent, ce qui tendrait à prouver qu’ici ce ne sont pas les mêmes mains anonymes à l’œuvre. Faut-il y voir un emprunt conscient ou la réinvention d’une idée similaire à l’insu de ses graffiteurs ?

Influence directe ou confluence accidentelle…? Impossible de trancher dans ce vieux débat, d’autant que l’excellent site de l’Archéologie du quotidien m’a renvoyé depuis sur la trace d’une inscription antérieure, datant de 2006, à Beziers.

Retour à la source d’une impure et complexe coïncidence.

Pour faire circuler ce texte, le lien est ici même