23 octobre 2010
[Inscriptions murales — no copyright.]
En 68, les murs de la fac de Nanterre puis du Quartier Latin ont «pris la parole», l’espace d’un printemps. Durant les années 70, chaque lutte, occupation, grève, cortège a marqué son territoire à l’encre souvent noire, côtoyant d’autres traces de révoltes loubardes, junkies, baba cool, punk, sans oublier l’humour corrosif de l’anti-sexisme et la provoc des pédés sortis du bois. Mais cette contagion-là n’a pas eu les honneurs de l’édition commémorative. Et rarement droit de cité puisque, selon une légende rétrospective, tout était déjà écrit en mai-juin 68. Comme si l’imagination avait eu le pouvoir deux mois durant, et puis plus rien. Ou alors de pâles copistes, émules redondants, scribouilleurs sans intérêt. Bref, après l’âge d’or des premiers mots «d’ordre & de désordre», serait venu l’âge mûr, vite faisandé, de la contestation stéréotypée.
Et pourtant, ça n’a jamais cessé depuis… de faire des petits, avec des flux et des reflux, des moments de crispation dogmatique et des états d’expressivité massive. Sauf qu’à force de fétichiser le seul graffitisme made in 68, de lui faire un sort si particulier que séparé et réifié, on a manqué ses multidiffusions ultérieures, ses subjectivations protéiformes, ses renouvellements vivaces.
Pas facile d’assurer le lien, de tenir ensemble, de refaire émerger la permanence anonyme & clandestine de la poésie subversive depuis quatre décennies. D’où ce petit livre numérique, comme un chantier à ciel ouvert, qui voudrait recenser les bombages méconnus de nos quarante dernières années, retrouvés dans des livres, revues, albums de photos, sites web ou, pour les plus contemporains, au coin des rues. Aucun souci d’exhaustivité, la tâche est infinie par définition même. Pour donner envie à quelques amateurs de me prêter main forte, pour enrichir la liste de leurs récentes trouvailles ou pour en inventer d’autres à faire soi-même, quelques tags piochés parmi près de 600 autres déjà compilés ici…
En grève jusqu’à la retraite ha ha ha!
[Paris, Odéon, octobre 10]
Sous france doux leurres
Soyons désinvoltes
n’ayons l’air de rien
On s’arme de patience
mais pas seulement
[Le Mans, 12 octobre 10]
«Allah is dead like me»
Nietzsche
[Bruxelles, 8 octobre10]
Ni taf ni cotine
[Paris, quartier Saint-Blaise, octobre 10]
Assombrissons les nuits
pour mieux s’y égarer
J’aime le mot genou
et la ketamine [moi aussi!]
[Lyon, Croix-Rousse, fin septembre 10]
Pauline partout Justine nulle part
[Rennes, 1er mai 10]
En raison de l’indifférence générale
demain est annulé
[Lille, rue de Cambrai, mars 10]
Notre monde est en sommeil
faute d’imprudence
[Paris, rue des Francs-Bourgeois, à la craie, mars 10]
Il n’y a pas d’ailleurs où guérir d’ici
[Montreuil, à la craie, février 10]
Trop de chefs
pas assez d’indiens
[Besançon, place Pasteur, 16 octobre 09 ]
Tiens, t’es radié!
[Lens, mur de l’antenne Assedic
incendiée la veille, 17 janvier 06]
Le travail est à la vie
ce que le pétrole est à la mer
[Paris XIX, rue Haxo, 03]
Ici personne n’est normal
[Sarajevo, 95]
La melancolie est une style de vie
[Uruguay, Montevideo, «leyenda ingeniosa», 89 ]
La masturbation produit de l’amnésie
et je ne me souviens plus quoi d’autre
[Buenos Aires, «leyenda ingeniosa», 85-87]
Chiez sur les cadres
tapez dans le décor
[Paris XX, passage Stendhal, 81]
Rasez les alpes qu’on voit la mer
Nous ne voulons pas d’un monde
où la garantie de ne pas mourir de faim
se paie par le risque de mourir d’ennui
[Lausanne, Lôsane Bouge, été 80 ]
Votez les visions
[Nice, mars 78 ]
Futurs ancêtres
que vos os pourissent sous la lune
[Paris, pro MLF, juin 71]
Y a–t–il une vie avant la mort ?
[Belfast, Bogside, 71]
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