7 janvier 2012
[Lectures en partage —
Extraits d’un livre en cours,
Pseudo-dico, idiot & logique.]
Parmi d’autres textes courts en chantier, il y a ce petit opuscule :
Pseudo Dico, idiot & logique, qui s’épaissit peu à peu, sans urgence ni échéance aucune.
Dans sa «pseudo-intro», j’ai essayé de revenir sur le «Comment du pourquoi » de ce projet qui hésite entre le goût du fautif et la faute de goût.
« […] Repérer un mot dans le babil quotidien de la langue vibrante, s’en saisir parce qu’on est saisi soi-même, mis en doute ou à mal, et puis l’épingler hors contexte dans un petit carnet qui tienne compagnie dans la poche revolver du pantalon, herbier verbeux ou pense-bête idéal, on verra bien. Et avec ces mots qui attendent en rangs d’oignons leur définition, s’improviser lexicographe amateur, sans aucun secours livresque, juste en puisant parmi quelques décennies de blabla en stock dans ma chambre d’échos: phrases d’emprunt glanés au dehors et sous-titres gardés pour soi.
Seul défi minimal, commenter chaque mot par association d’idées, esprit de conflagration, étymologie intuitive, amalgame accidentel, contresens inopiné, déduction analogique, méprise significative, sinon par défaut mineur ou faute d’étourderie. Et surtout, lâcher la bride, perdre contrôle, laisser sortir les bouts d’énoncé à l’oreille, faire confiance aux courts-circuits intérieurs, aux paradoxes venus d’ailleurs. Projet impur et simple, trivial et mégalo. D’où son sous-titre – idiot & logique – qui me revient de loin, l’éternel adolescent jamais lassé de singer les sapiences de l’homo academicus, avec force grimaces et effets de manches. […]
Répétez «idiot & logique» d’une seule traite, deux trois fois de suite, ça vous rappellera quelque chose phonétiquement, une hantise du XIXe siècle: idéologique. Ça y est le mot est lâché. Ce dictionnaire n’inaugure rien, il a sa fonction bien ancrée depuis Flaubert ou Bloy: traquer partout idées reçues et lieux communs, derrière les pires banalités, chaque tic du langage. Ce Pseudo-dico a le même goût du ridicule démasqué. Il puise dans l’ignorance crasse des castes dominantes, avec leurs barbarismes cache-misère, issus de management et du jargon des sciences trop humaines. Il lorgne tout autant du côté des préjugés bistrotiers ou de la philosophie de comptoir.
Sus à la bêtise universelle, donc, mais un bémol s’impose. Tant qu’à se moquer du monde, attention à ne pas renier le bouffon en soi, faute de quoi la satire tourne vite au concours d’aphorismes édifiants. Et je n’ai pas le surplomb du moraliste de l’âge classique ou des récents adorateurs de feu Debord. Aucune envie de redresser les torts, de m’arbitrer donneur de leçons – ni même d’anti-leçons.
Le travail de subversion se situe ailleurs. Il suffit de jouer sur tous les malentendus, trahisons, décalages entre le mot et la chose, le vocable fossilisé et son référent d’origine, le moule du signifiant et sa réalité contrefaite. C’est mon principe de base: mettre en relief des hiatus poétiques. J’ai dû croiser cette drôle d’intuition entre 15 et 16 ans, à force de dévorer du Nietzsche en n’y comprenant qu’une ligne sur trois, puis en laissant décanter ma lecture d’alors. Et j’y suis encore fidèle, à ma façon bâtarde. Une fois détrôné le surmoi littéraire, tout redevient permis: métaphores bancales, alexandrins boiteux, citation détournée, faux amis volontaires, coq-à-l’âne ou amalgame abusifs. Ça passe ou ça lasse, peu importe.
Bien sûr, j’aurais pu faire le tri au départ, chasser la blague facile, neutraliser le calembour dérisoire, ne garder que le meilleur du début à la fin. Mais quand on vide son sac de vocabulaire, il vous passe de drôles de couacs par les méninges, et c’est souvent d’assez mauvais goût, entre autres foutaises et débilités. J’aurais pu me cacher derrière mon petit doigt d’auteur, mais l’idiotie a sa logique implacable.»
Pour se faire une idée du glossaire en question,
quelques entrées alphabétiques…
et leurs issues de secours.
ACCOUCHEMENT: ouverture pour travaux.
ALPHABÉTISATION: un homme azerty en vaut deux.
AUTONYMIE: celui qui le dit qui l’est.
BARRICADE: jeu de déconstruction.
BÉGAIEMENT: bouche bée… bée… bée… bée… bée… bée… bée…
CHIQUÉ: bluff par trop remâché.
COMA DÉPASSÉ: point à la ligne (voir Ultime atome & Ultimatum).
DÉCÈS: congé jamais payé de retour.
DEMI-TEINTE: néant plus, néon moins.
EXCEPTION: non mais des fois.
FILS DE: parvenu à naître.
FŒTUS: fétu tiré à la courte paille (voir In utero & In extremis).
GRENADE LACRYMOGÈNE: larmes de dispersion massive.
HOLD-UP: franglish, retour à la caisse départ.
IMPÉRATIF CATÉGORIQUE: si et seulement si tout le monde faisait idem, alors là, ça se peut que ça se peut pas (dans le même K d’école, voir Kant-à-soi & Kif-kif).
JEMENFOUTISTE: indécis heureux.
KAKOU: jongleur à deux balles.
LOTOBIOGRAPHIE: jeux du moi et de hasard (voir Auto-affliction & Roulette russe).
MAUVAISE CONSCIENCE: défense de s’en ficher (voir Amnistie & Amnésie).
NOIR (écran): peinture seiche.
ONANISME: manutention de soi par soi.
PAPILLONNE: polyvalence, de ses propres ailes.
QUARANTAINE : psycho. maritime, sas d’isolement sanitaire avant la cinquantaine.
RÉSISTANCE PASSIVE: poings de suspension.
SEVRAGE (danger du): s’arrêter tue.
TALION (loi du): match nul (voir Œil pour Œil & Cent pour Cent).
USAGER DES TRANSPORTS : pigeon et voyageur (Cf. De l’intersegmentation des clientèles et des bénéfices induits pour tous en moyenne dans la limite des places disponibles et chacun sous certaines conditions – voir astérisque en bas de page, bro- chure SNCF, épuisé).
VITRAUX: dessins allumés.
W.-C. : fosse d’aisance où dévider en toute discrétion son witæ curriculum.
ZÉLATEUR: l’être de motivation (voir Non-gréviste & Lèche-bottes).
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