18 avril 2012
[Sciences-Po & cas de conscience —
Après la disparition de Richard Descoings
quelques petits points… d’interrogation.]
On peut presque tout ignorer de la carrière fulgurante de ce briant énarque, tout en constatant via internet que Richard Descoings a préféré œuvrer dans le monde de l’éducation plutôt que bifurquer vers des voies plus royales; on peut moquer son cursus scolaire archétypal (lycée Montaigne, Louis-le-Grand, Henri VI), non sans souligner son obstination à ouvrir les portes de l’Institut des Sciences Politiques à des lycéens ayant fait leurs études loin des quartiers huppés de la Capitale ; on peut critiquer le modèle made in USA de la «discrimination positive» sous-tendu par sa filière d’accès à Science-Po pour les méritants issus des Zone d’Éducation Prioritaire, mais remarquer aussi que cette réforme lui a valu des procès de l’UNI, le syndicat étudiant de la droite bon chic bon genre ; on peut exprimer sa lassitude devant trop de démagogie communicationnelle à propos d’un si petit coup de canif dans la reproduction des élites, même si on ne peut qu’applaudir à l’idée que les premiers concernés, ces promus de banlieues fraternisant souvent avec les étudiants étrangers, sèment le trouble dans l’entre-soi de ce temple de l’homogénéité sociale ; on peut regretter divers points sensibles dans le rapport remis à N. Sarkozy en 2009 sur une réforme du lycée, et se souvenir que deux ans plus tôt, il avait refusé, malgré des pressions amicales, un poste de Secrétaire d’Etat à «l’égalité des chances» dans le gouvernement UMP, contrairement à certains de ses pairs & compères de la gauche gestionnaire décoplexée ; on peut s’offusquer qu’il ait brutalement augmenté les frais de scolarité en 2007 (avec renforcement des bourses néanmoins) et se soit consenti l’année dernière des «superbonus» en complément de salaire ainsi que d’importants avantages en nature (appartement de fonction, chauffeurs, etc.), mais on doit bien se féliciter qu’en 2009 ce même chef d’établissement ait dénoncé sur son blog la violence du service d’ordre de Jean-Marie Le Pen dans ses locaux et perdu son procès en diffamation contre le leader du Front National ; on peut s’étonner enfin qu’au lendemain de son décès dans un grand hôtel de New-York tous les médias aient cru bon de rester mutique sur la sexe & drug party qui avait hélas tourné au drame, sans pour autant aprouver le journaliste du Monde qui avait cru utile de révéler son homosexualité sitôt après son mariage en 2004 avec sa collègue de L’IEP Nadia Marik ; on peut quand même regretter que, pour s’accomoder de la morale bourgeoise, il faille trop souvent à tel ou tel homo notoire se pourvoir d’une caution conjugale, à ceci près qu’il est tout à fait plausible que ces noces ne soient pas que de commodité et que chacun a le droit d’avoir plusieurs types de sexualité ; on peut, en tant que fidèle lecteur du site Minorités et des coups de gueule de Didier Lestrade contre les pédés néo-réacs, se demander si Richard Descoing n’était pas «homo avec les puissants et hétéros pour les autres», mais on peut également se méfier des effets secondaires de l’outing, surtout posthume, et respecter l’intimité de son épouse en pleine période de deuil ; on peut enfin remarquer combien l’émotion des étudiants le jour des obsèques ne semblait pas feinte et témoignait d’une touchante proximité, tout en apprenant d’un ami, bien payé pour le savoir, que le défunt était peu apprécié, sinon détesté, par la plupart des mandarins de son propre Institut ainsi que le sérail de l’enseignement supérieur public et privé. Bref, on peut s’interroger sur ce cas d’école ambigu et, faute de savoir comment conclure, laisser parler un graffiti photographié rue Saint-Dominique quelques jours après le décès de Richard Descoing.
Une fois encore, les murs ont la parole, testamentaire.
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