4 octobre 2011
[Bribes d’auteurs posthumes —
Mémoires de l’inachevé (1954-1993)
Grisélidis Réal, retour de flammes.]

Depuis plusieurs années, un ultime volume d’œuvres posthumes de l’écrivain & prostituée Grisélidis Réal était en chantier. Ça y est, il vient de prendre sa forme aussi définitive que possible. Mémoires de l’inachevé, ça s’appelle justement, couvrant la période 1954-1993 et remettant ainsi en lumière les premiers pas de sa vie de mère divorcée et d’artiste bohème, avant que tant d’accidents de parcours, dérives amoureuses, chutes de tension et combats acharnés ne figent cette destinée féminine hors norme en une légende scandaleuse qui n’avait pas encore révélé ses vertiges équivoques, ses frustrations partielles, ses générosités consumantes jusque dans leurs plus subtiles nuances.

Et pour donner envie de (re-)parcourir l’épopée existentielle de cette femme multiple, autant reproduire ici le mode d’emploi qui ouvre ce recueil…
«À l’heure de sa mort, le 31 mai 2005, l’écrivain et prostituée Grisélidis Réal emportait avec elle bien des secrets d’une existence scandaleuse, non sans avoir accumulé dans son petit appartement genevois une masse de documents où les photos, dessins, tracts et coupures de presse voisinaient avec des poèmes manuscrits, des liasses de brouillons plus ou moins paginés, des projets demeurés à l’état d’esquisse, diverses versions d’un même article, quelques tapuscrits complets et tout un tas de lettres de sa main, photocopiées pour mémoire. À ses quatre enfants est revenue la tâche délicate d’opérer un premier classement, avant que les Archives littéraires suisses (ALS) n’entament un fastidieux inventaire. En allant puiser à cette source, on aurait pu se contenter de repérer l’ensemble des textes inédits et, faute d’en connaître la date ou la destination, de les éditer pêle-mêle, selon un ordre arbitraire. Mais opter pour une telle compilation, animée par le seul souci d’exhaustivité, c’était risquer le syndrome du «fond de tiroir». Pour ne garder que le meilleur de sa prose, on a préféré trancher dans le vif en écartant les ébauches trop maladroitement précoces ou définitivement inabouties, les variantes d’articles recyclés presque à l’identique ou l’immense majorité des poèmes qui, à nos yeux, devraient un jour faire l’objet d’un recueil à part chez un éditeur spécialisé.
Un second vivier restait à explorer au sein de la foisonnante correspondance que Grisélidis Réal n’a cessé d’entretenir depuis les années 50 avec des proches de tout acabit, des plus illustres au plus réprouvés. Dès lors on risquait un autre écueil, l’embarras du choix. Comment s’en tenir au strict essentiel, et selon quels critères? Problème a priori insoluble si l’auteur de ces courriers ne nous avait pas préparé le terrain, et facilité la tâche, en élisant au fil du temps tel ou tel confident attitré auquel elle réservait les épisodes successifs de ses aventures. Parmi ses destinataires figurent quelques personnalités de renom, dont l’écrivain Maurice Chappaz, le journaliste et peintre Henri Noverraz, la photographe Suzi Pilet, les éditeurs Bertil Galland et André Balland, mais aussi sa sœur cadette Corinne Beutler-Réal, plusieurs amants mémorables, notamment le gigolo tunisien Hassine Ahmed, ou Tania, une adolescente fugueuse et future prostituée. Au total, plus d’une centaine de lettres fournissent la matière principale de l’ouvrage, lui donnent sa cohérence chronologique. Et c’est très naturellement que se dessine, au fur et à mesure des extraits reproduits, un véritable récit autobiographique… en pointillés. Celui dont l’écrivain épistolaire posait les jalons, dans l’intervalle des ses textes publiés, sans parvenir à en recomposer l’ensemble d’une seule traite romanesque. C’est ici chose faite, en espérant du moins avoir su respecter de si secrètes consignes à la lettre.
Quant au titre de l’ouvrage, il n’est pas de notre fait, mais emprunté à une liste de titres provisoires établie par l’auteur alors que se profilait à l’horizon la parution des Sphinx, le deuxième volume de sa correspondance avec Jean-Luc Hennig. Mémoires de l’inachevé donc, on ne pouvait rêver mieux. […]
Espérons qu’avec cet ultime ouvrage de Grisélidis Réal, chacun fera la part des origines cachées et des recoins obscurs d’une aventure humaine riche en événements dramatiques et contradictions intimes. On y verra apparaître une mère aussi aimante que fuyante, un être d’appétit charnel quoique de santé précaire, une artiste contrariée mais toujours en devenir, une amoureuse souvent déçue jamais rassasiée, une intraitable pessimiste prête au combat, une putain iconoclaste au plus près de son miroir brisé. »

Parallèlement à la publications de ces Mémoires posthumes, la réédition du livre de Jean-luc Hennig, Grisélidis Courtisane, paru il y a près de 30 ans, propose une série d’entretiens qui n’ont rien perdu de leur fulgurance avec celle qui incarnait alors la plus dérangeante et paradoxale figure du courant d’émancipation sexuelle issue des années 70.

On trouvera par ailleurs sur la page d’archyves consacrée à Grisélidis Réal, une série de nouveaux documents exhumés au cours de mes recherches : une brève pièce de théâtre datant de 1966, Les Myrtilles, plusieurs lettres au premier éditeur du Noir est une couleur, André Balland et quelques coups de gueule à propos des enjeux sociopolitiques de la prostitution. Ça se compile et diversifie au fur et à mesure, ici même.

Pour plus de détails sur les tenants et les aboutissants de cette aventure éditoriale, on se reportera à un récent entretien que j’ai eu avec Nathalie Jungerman, c’est en ligne de ce côté-là.

Pour faire circuler ce texte, le lien est ici même