13 mai 2011
[Lectures en partage —
Insultes littéraires… retour de flamme.]

Il y a une semaine, le vendredi 6 mai, à l’invitation du Festival Paris en toutes lettres, avait lieu une soirée consacrée à «L’insulte littéraire». Outre des extraits de classiques de l’outrage et des chapelets de jurons tirés d’œuvres déjà classiques, on devait y donner lecture de lettres ouvertes d’écrivains contemporains, dont la mienne, intitulée «What the fuck Am I Writing about ?», à découvrir in extenso ci-dessous :

«Chères organisatrices et organisateurs de cette soirée,
Vous m’avez demandé d’écrire une lettre d’insulte, oui, commandé un libelle injurieux et, comme c’est assez rare qu’on soit payé pour ça, je vais m’efforcer — sans trop me forcer — d’obéir, vu que c’est pas souvent qu’on nous rétribue au quolibet, qu’on nous finance à la ligne de tir, qu’on nous soudoie pour aboyer… Ou alors si, bien sûr que ça a déjà existé, mais c’était pendant l’Occupation, quand nos chers hommes de lettres ont mis à bas la doxa dominante, brisé tous les tabous, rivalisé d’imagination, outrepassé le politically correct… Ah non là y’a erreur dans le texte, c’est pas du tout ça que je veux dire. En fait, chez ces insulteurs à gages, aucune audace ni bravoure, mais un sens affûté du carriérisme. Les anticonformistes d’alors ont juste vendu leur âme et leur plume mercenaires pour pisser de la copie xénophobe, bouffer du juif, du métèque, du polack, du manouche, du négro & autres sangs impurs. Et histoire de les remercier d’avoir conchié le métissage apatride dans leurs pamphlets, pièces de théâtre, entretiens radio, etc., on les a grassement promus,  et puis académisés. Ils ont touché les dividendes de leur collaboration à la France des terroirs et des mémoires… sélectives. Aiguiser à plaisir le lazzi pro-nazi… c’est un alexandrin je crois, ai-gui-ser-à-plai-sir-le-la-zzi-pro-na-zi, oui un vers blanc, et même petit blanc, dont l’allitération zazou a pas mal rapporté, dans l’intelligentsia franco-française de vieille souche entre 39 et 45, non, entre 1937 — «plutôt Hitler que le Front Populaire» —, et le 11 septembre 2001 — «Plutôt Le Pen que Ben Laden». Bref, un pur bizness qui douille sa race en monnaie sonnante et peu ragoûtante.
Ouf, ça y est, j’ai déjà rempli un tiers de ma tâche, mille huit cents signes, sans trop me salir les mains d’accord, mais là, va bien falloir entrer dans le vif du sujet, m’exécuter illico, diffamer quelque chose ou quelqu’un … Bon ben alors malgré tout quoique néanmoins… essayons-nous à cet exercice de sinistre lignée dans l’Empire du Milieu littéraire… Même si, vous allez me dire quand Antonin Artaud insultait les médecins chefs des Asiles de fous, rien à dire, ça avait de la gueule… Ou quand Picabia moquait le refoulé colonialiste dans la fascination d’André Breton pour l’Art Nègre ou quand Aragon premier style «conchiait l’armée française dans sa totalité», ou quand ,vingt ans plus tard, Jean Malaquais pointait dans l’Aragon deuxième manière un triste « Patriote professionnel » ou quand Armand Robin, en 1941, dans une lettre d’auto-dénonciation à la Gestapo, traitait les hitlériens d’assassins en se  réjouissant d’être bientôt, à cause de cela même, fusillé aux côtés de «ses frères, les travailleurs allemands», là, on tire son chapeau, grande classe polémique. Sur un mode plus mineur et plus contemporain, ça me rappelle un cortège de chômeurs & précaires en colère qui criait ce slogan : «Crachons dans la soupe ! elle est dégueulasse !». Parce qu’aujourd’hui, ce sont plutôt les insulteurs plumitifs qui vont à la soupe, qui s’en pourlèche, qui s’en servent des louches entières et pire encore qui sont eux-mêmes la soupe – le soap comme en dit en franglais. Disons que, depuis Aristophane ou Agrippa d’Aubigné pas mal d’eaux troubles ont coulé sous les ponts, et ce qui change la donne aujourd’hui, c’est ce soap multi-média, qui inverse le sens des paraboles, met la marge satirique au centre et banalise l’attaque ad hominem, avec beaucoup beaucoup beaucoup de buzz pour rien. D’où ce nouvel imposteur qui en découle: l’iconoclaste sur écran plasma.
On en est là, avec un art de l’outrage qui fait même plus tache, ni débile ni indélébile, juste une touche de couleur dans l’incolore ordinaire. Dire du mal, c’est du dernier chic culturel, un gimmick d’ironiste sur télécommande avec ses figurants obligés sur le plateau, à ma droite le populiste Eric Zemmour, à ma gauche le populiste Eric Noaulleau, deux Eric sans Ramzy, bonnets blancs et blancs benêts. S’ils savaient comme on s’en bat de ces putains de clones tristes. Ah merde, ça y est, je crois que je viens de m’y mettre aussi, de m’y commettre, mais difficile de ne pas se prendre au jeu. Et y’a pas qu’eux qui m’énervent. Y’en a des plus rassis dans leur Panthéon. Philippe Murray, le ressentimenteur perpétuel, Emile Cioran, pareil, avec sa décomposition en dix leçons… euh, non, là, faut que j’arrête avec les macchabées, on ne crache pas sur les morts, c’est trop mal élevé et puis un peu lâche. Injurions d’abord les vivants, du moins les presque encore vivants. Rien à foutre de collectionner de nouveaux smiley sur Facebook, je préfère décompter la somme de mes ennemis au compteur. Name-trashing, ça s’appelle. Un nom bien propre et le gros mot qui va avec. Allez, on y va : Richard Millet, le chien de guerre et de rut champêtre; Christine Angot, la piteuse pythie du trauma-bizness, Michel Houellebecq, le névropathe à quatre pattes, Christophe Donner, la born again vieille teigne, Olivier Rolin, le Mao-Tseu à la sauce aigre-douce… Désolé, c’est déjà fini. Ce soir, j’aurais pu m’en faire plein, des ennemis, dix feuillets recto verso, mais ça nous menait très au-delà du temps qui m’est imparti.»

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