20 janvier 2011
[Souviens-moi — (suite sans fin).]
De ne pas oublier que sur le double-décimètre en bois, retrouvé sur le bureau de ma mère, peu après sa mort, et conservé précieusement depuis, on peut encore déchiffrer ce petit mot de sa main sur l’étiquette collée au revers : Je m’appelle reviens.
De ne pas oublier que nous possédons 7500 terminaisons nerveuses sous la plante des pieds, comme si les racines nous poussaient par la tête, et que, à l’inverse des végétaux, nous développions notre arborescence du haut vers le bas.
De ne pas oublier que, au sortir de l’adolescence, profitant d’une plaquette contraceptive oubliée au pied de mon lit, j’ai tenté le diable une semaine entière, en avalant les pilules amères de celle qui venait de mettre un terme à nos faux semblants amoureux.
De ne pas oublier que cet ami, qui cinq hivers durant a donné son temps sans compter pour distribuer des rations alimentaires aux usagers des Restos du Cœur, est passé depuis Noël dernier de l’autre côté de la file d’attente.
De ne pas oublier qu’entre le chameau et le dromadaire il y a une bosse de différence, et pour savoir à coup sûr lequel en a une de plus que l’autre, je crois qu’il y a vieux truc mnémotechnique, mais rien à faire ça ne me revient pas.
De ne pas oublier qu’en septembre 1968 l’intransigeant maoïste Robert Linhart, de retour de Chine Populaire où il avait eu l’insigne privilège de rencontrer le Grand Timonier, résuma d’une formule choc la priorité politique du moment — «Feu sur les intellectuels bourgeois!» —, devant un parterre enthousiaste d’étudiants rentiers de l’École Normale Supérieure.
De ne pas oublier que je n’ai jamais osé regarder le dernier épisode de la série Le Prisonnier, de peur qu’un dénouement trop abrupt ou déceptif ne vienne crever l’abcès de mon addiction masochiste.
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