11 janvier 2012
[Lectures en partage —
Les arts pauvres du micro-récit,
en leurs plus simples expressions.]

L’envie de composer un recueil de formes brèves – qui m’était venue, il y a quelques années, chez Verticales – a migré ici, pour contourner l’épineux problème du droit de «citation partielle» des auteurs décédés il y a moins de 70 ans et, a fortiori des vivants. Précisons d’emblée la nature du projet : distinguer parmi toutes sortes de textes courts ceux qui auraient à voir avec du récit, non pas le roman ni la nouvelle, mais tous les états – naissants, inaboutis, lacunaires, poreux, écourtés exprès ou gâchés d’avance – du pré-narratif. Et d’un seul coup, les neuf dixièmes des écrits fragmentaires s’excluent du corpus – de la maxime sentencieuse à la micro-notation intime en passant par le commentaire critique –, non par manque d’intérêt, juste pour s’en tenir à notre quête initiale : l’ébauche d’une fiction, encore embryonnaire ou interrompue avant terme, peu importe, du moment que ça commence à raconter l’ombre du soupçon d’une trace d’une situation quelconque ou à esquisser la silhouette de quelque personnage.
Vaste programme minimaliste…

Au sommaire de cette compilation de micro-récits, on compte déjà plusieurs dizaines d’auteurs morts ou vifs :
Max Aub, Roland Barthes, René Belletto, Thomas Bernhard, Pierre Bettencourt, Ambrose Bierce, Jorge Luis Borges, Henri Calet, Elias Canetti, Lewis Carroll, Chaval, Marcel Cohen, Julio Cortazar, Diogène, roland Dubillard, Marcel Duchamp, Félix Fénéon, F. Scott Fitzgerald, Gustave Flaubert, Max Frish, Carlo Emilio Gadda, Dora Garcia, Jean Genet, Ramon Gomez de la Serna, Héraclite, Régis Jauffret, Franz Kafka, Hervé Laroche, Hervé Le Tellier, Édouard Levé, Georg C. Lichtenberg, Raymonde Linossier, Pierre Louÿs, René Magritte, Marcel Mariën, M. V. Martial, Loys Masson, Harry Mathews, Henri Michaux, Augusto Monterroso, Ito Naga, Paul Nougé, Istvan Örkeny, Yves Pagès, Georges Perec, Benjamin Péret & Paul Éluard, Georges Perros, Raymond Queneau, Grisélidis Réal, Érik Satie, Jane Sautière, Louis Scutenaire, Pierre Senges, Sei Shônagon, Stendhal, Jacques Sternberg, Jean Tardieu, Gianni Toti, Antoine Volodine, Gabrielle Wittkop.
On compte aussi par mal d’écrits minuscules, légendes durables & propos rapportés de quelque génie collectif & d’autres mains anonymes :
Augures nocturnes, Bottin des filles de joie, Comptines, Diaporama psychométrique, Avis de recherche, Décompte des hivers (peuple sioux), Billets d’erratum, Témoignages de femmes battues, Graffiti de chiottes, Haïkus érotiques, Impostures prophétiques (arabo-persanes), Légendes urbaines, Livres d’or, Messages personnels (BBC), Monnaie de signes, Confidences de soldats (Front russe), ex-Petites annonces de Libération, Proverbes exotiques, Rêves prémonitoires, Inscriptions murales (Sorbonne 68), Vœux pieux, Procès-verbaux de migrants.

[Le recueil des Enfin Brefs ne cessant
de s’enrichir au fil du temps,
on en trouvera la somme provisoire
à feuilleter ou télécharger ici même.]

Pour les mordus de blind test, ou, à l’inverse, pour la amateurs de lecture transversale, hors surmoi littéraire & étiquetage référentiel, quelques extraits du recueil remis dans le désordre, sens dessus dessous et sans aucune mention d’auteur. Bien évidemment nous avons choisi parmi les plus concis, faute de place.

Je ne peux le prouver, et d’ailleurs je n’accuse personne, mais je crois qu’on m’a jeté dans la fosse commune.

Selon un mythe islamique, Kuyata est un grand taureau doté de quatre mille yeux, quatre mille oreilles, quatre mille nez, quatre mille bouches, quatre mille langues et quatre mille pieds. Pour se transporter d’un œil à un autre ou d’une oreille à une autre, il suffit de cinq cents ans. Kuyata est soutenu par le poisson Bahamut; sur le dos du taureau il y a un rocher de rubis, sur le rocher un ange et sur l’ange notre terre.

Mademoiselle Nila, une amie avec qui je partage la chambre, à repris mon passeport pour retourner en Albanie. On en avait qu’un pour toutes les deux.

Se servir d’un Rembrandt comme planche à repasser.

Avez-vous vu Boguslaw ? Je cherche mon père qui a disparu depuis quelques années. Aidez-moi si vous le reconnaissez.

Pouvez-vous vous rappeler à partir de quel âge il vous a semblé aller de soi que quelque chose vous appartienne ou, le cas échéant, ne vous appartienne pas?

La mante religieuse a deux fois envie de son mari.

Cet homme qui porte une si grande vitre sur l’épaule, on dirait que la vitre va couper ses vêtements et descendre à travers lui, le partager en deux moitiés parfaitement sectionnées.

Ce soir, je suis crevé. Toute la journée, j’ai chassé les mouches avec un tournevis.

Persuader une personne qu’en réalité elle est morte.

Il se transformait en tout animal qui manifestait l’envie de le manger.

Dialogues à la Prudhomme exprimant des passions de cannibales dans un milieu gigantesque. L’homme devrait paraître là plus petit et plus ridicule que partout ailleurs.

Ils ont éternué, chuinté, toussé et fait deux autres sortes de son pour lesquelles nous n’avons pas de mots dans notre langue.

Une jeune fille a vitriolé son amant, un Toulousain haut placé, qui s’évadait, l’ayant rendue mère.

Mon mari a été pris d’une jalousie rétrospective.

Je serais une VIERGE et je ferais un concours de qui pourrait me déflorer en me soufflant dessus. Pour cela des milliers d’hommes paieraient. Ça chatouillerait.

Lâchée du trentième étage, une caméra filme sa chute.

Il y a dans mon appartement une porte que je n’avais pas remarquée jusqu’à aujourd’hui.

Quand on tue d’extase si grand est l’embarras de subir une enquête.

Prière pour cette église, pour qu’un jour elle puisse accepter l’amour de deux personnes du même sexe. Faites que l’amour que j’éprouve pour François perdure. N’arrachez pas cette page, la honte vous tuera, Fabrice.

À quoi tu penses? Je pense qu’en roulant sur l’autoroute, on aperçoit de très jolis châteaux, où l’on aimerait bien habiter. Et puis on se rappelle qu’ils sont près de l’autoroute.

Nos lecteurs veulent bien prendre note qu’une faute de frappe s’est produite dans l’astrologie du vendredi 19 mars. Pour le signe du Lion, il aurait fallu lire: «Évitez de perdre votre temps avec des gens qui ne sont bons qu’à le tuer.», et non à «les tuer».

Ça c’est vrai que le corps n’a rien à voir avec l’âme. Ainsi, quand je vais à l’assaut, mon corps se promène sans âme pendant des heures; c’est seulement pour ça que je suis brave.

Il posait des réponses.

40 ans distingué, discret, aimerais rencontrer une femme pour lui lècher les pieds, qu’elle m’insulte, en me faisant regarder ses chaussures en train d’écraser du pain, sans que je le mange, bien sûr ceci est mon plaisir. En remerciement, j’aimerais satisfaire son plaisir si celui-ci est équilibré et je promets de bien faire (sado maso homo exclus)

«Examine mon cas», dit le héros à l’héroïne.

Je sais qu’avant de m’évanouir, je me suis raccroché au regard d’un chien dans le métro.

Donne un cheval à celui qui dit la vérité; il en aura besoin pour s’enfuir.

Dans la rue, un homme qui porte sous le bras un tableau représentant le ciel rencontre un homme qui porte sous le bras un tableau représentant la forêt.

Pour fuir un ennemi, F. s’est fait hara-kiri. Las! n’est-il pas insensé de vouloir, comme il l’a fait, mourir pour n’être pas tué?

Hippolyte Chaystre, menuisier à Dakar, tout en travaillant dur, cultivait aussi sa paresse. Ainsi, il rêvait souvent aux moyens vraisemblablement chimériques qui feraient l’arbre accoucher naturellement d’une armoire ou d’une table comme la Vierge fit du dieu blanc, sans avoir eu besoin de la semence de l’homme.

Je l’ai tuée pour ne pas lui faire de peine.

Pour faire circuler ce texte, le lien est ici même